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Complicité de recel pour des surveillants pénitentiaires

Sont complices de recel les surveillants pénitentiaires qui ont averti, en toute connaissance de cause, un détenu d’une future fouille, contribuant ainsi à faciliter une dissimulation d’objets détenus illicitement, même sur une courte période et malgré la découverte des objets.

par Méryl Recotilletle 1 juillet 2019

La complicité de recel est punissable en application du droit commun, c’est-à-dire en vertu des articles 121-6 et 121-7 du code pénal. Elle suppose de la part de l’agent un acte matériel de complicité et le désir de s’associer au recel incriminé à l’article 321-1 du code pénal (v. Rép. pén.,  Recel, par P. Maistre-du-Chambon, n° 82). C’est sur la réunion de ces « éléments constitutifs » de la complicité de recel ainsi que sur la motivation de la peine que la Cour de cassation s’est prononcée dans l’arrêt du 5 juin 2019.

En l’espèce, à l’occasion d’une fouille réalisée dans un centre de détention, dont la préparation avait été tenue secrète, ont été découverts, dans la cellule occupée par un détenu, un téléphone mobile, une carte SIM, un kit « mains libres », de la résine de cannabis, une clé USB, ainsi que, dans la cuvette des toilettes, un morceau de papier supportant la mention manuscrite « Planque ton tél. Fouille ». Une enquête a aussitôt été ouverte. Le surveillant pénitentiaire a reconnu être l’auteur du message d’alerte retrouvé dans la cellule et affirmé avoir agi à l’instigation de son collègue. Ce dernier a admis être à l’origine de la mise en garde adressée au détenu et déclaré avoir agi par reconnaissance envers le détenu qui avait rendu service aux personnels de surveillance en permettant de retrouver un tournevis volé. À l’issue de l’instruction, le détenu a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour recel d’objets dont la remise est interdite à un détenu, ces objets provenant, selon lui, d’un autre détenu. Les deux surveillants ont été renvoyés pour complicité de recel. Le tribunal correctionnel les a relaxés au motif que les éléments constitutifs de la complicité n’étaient pas caractérisés. Le ministère public a interjeté appel de cette décision.

En cause d’appel, pour infirmer le jugement et déclarer les prévenus coupables, l’arrêt a retenu qu’à la demande de son collègue, un surveillant pénitentiaire a alerté un détenu et lui a enjoint, aux termes du mot glissé sous la porte, de dissimuler son téléphone. Les surveillants, en informant le détenu du caractère imminent d’une fouille et en lui donnant le temps nécessaire à la dissimulation des objets, ont tous deux accompli un acte positif favorisant le recel, délit continu, d’objets illicites par ce détenu, peu important que les objets aient finalement été découverts. Les juges ont ajouté que les termes de l’avertissement démontraient que les deux surveillants savaient que le détenu était en possession d’un téléphone portable et que leur qualité de surveillants pénitentiaires et leur connaissance des règlements applicables à la vie carcérale établissent qu’ils avaient parfaitement conscience de l’illicéité du fait principal imputable au détenu et ont cependant sciemment fait le choix de s’y associer. Les prévenus ont alors formé un pourvoi en cassation divisé en deux moyens : le premier portait sur la qualification de la complicité de recel et le second sur la motivation de la peine.

Énonçant la décision de la cour d’appel, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi. D’une part, le délit de recel étant continu, l’avertissement fourni par les deux prévenus a contribué à faciliter une dissimulation visant à permettre, même sur une courte période et malgré la découverte des objets durant la fouille, la poursuite de la détention illicite caractérisant la complicité du délit de recel retenue par la cour et, d’autre part, l’aide ou l’assistance apportée, en connaissance de cause, à l’auteur du délit, même par l’intermédiaire d’un autre complice, constitue la complicité incriminée par l’article 121-7 du code pénal. Afin de comprendre cette décision, il importe de revenir sur les trois arguments du premier moyen au pourvoi.

La première question était de savoir si le fait de contribuer à une infraction principale continue qui a déjà commencé permet de retenir la responsabilité pénale de son auteur au titre de la complicité. En effet, pour que la complicité soit retenue, il est impératif que l’acte du comparse soit antérieur ou concomitant à la réalisation de l’infraction principale. Selon les demandeurs au pourvoi, cette condition de temporalité n’était pas remplie dans la mesure où le détenu était déjà en possession des objets lorsqu’il a été averti de la fouille. Un tel raisonnement vaudrait si le recel était une infraction instantanée. Or tel n’est pas le cas ; le recel est une infraction continue comme l’a souligné la Cour de cassation (v. Rép. pén.,  Recel, par P. Maistre-du-Chambon, n° 85). Par conséquent, mettre en garde le receleur afin qu’il dissimule les objets illicites contribue à perpétuer leur détention.

La deuxième problématique concernait justement cette infraction principale de recel. Les prévenus ont mis en avant que l’infraction de recel n’était pas consommée (C. pén., art. 121-5) car les objets qui devaient être dissimulés ont été découverts. Si, effectivement, le recel avait été seulement tenté, il aurait été impossible de retenir la complicité puisque la tentative de recel délictuel n’est pas punissable (v. Rép. pen., Recel, par P. Maistre-du-Chambon, n° 83). En effet, le concours apporté n’aurait reposé sur aucune infraction principale, empêchant toute complicité de tentative. Les demandeurs au pourvoi ont également apparenté la situation à une tentative de complicité, laquelle est définie comme « l’hypothèse de l’individu qui accomplit un acte matériel de complicité pour s’associer à une infraction que l’agent ne commet finalement pas » (v. Rép. pén., Tentative, par D. Rebut, n° 74). Cependant, la jurisprudence admet la consommation du recel dès la simple réception de l’objet (Crim. 2 janv. 1869, DP 1869. 1. 533 ; 1er oct. 1986, Bull. crim. n° 262 : Gaz. Pal. 1986. 2. 745, rapp. D. Bayet ; RSC 1988. 93, obs. P. Bouzat ; 6 sept. 2000, n° 99-84.406, inédit ; v. égal. DP 1927. 2. 17, note A. Henry). La découverte des objets n’a pas fait avorter le recel, elle y a simplement mis un terme. Ainsi, la cour d’appel pouvait légitimement conclure à la consommation du recel alors que les objets dissimulés ont été découverts.

Le troisième point concernait le fait, pour la cour d’appel, d’avoir déclaré le prévenu coupable aux motifs qu’il a alerté le détenu d’une fouille tandis qu’elle a constaté que c’est un autre surveillant qui y a procédé. Il y a clairement deux sortes d’implications : celui qui a « donné l’ordre » à son collègue et celui qui a matériellement révélé l’information. Cela soulève deux observations. D’une part, cette situation pourrait s’apparenter à une forme de complicité où l’on voit se dessiner une sorte de hiérarchie dans la chaîne des éléments qui ont abouti à la dissimulation des objets (v. not. C. Girault, Le relâchement du lien de concertation entre l’auteur principal et le complice, D. 2008. 1714 ). La répression du premier prévenu paraît alors discutable. D’autre part, il semble contradictoire pour les juges du fond de retenir une complicité par aide ou assistance à un prévenu qui a donné une instruction. Cela n’a pas empêché la chambre criminelle de conclure à la complicité par aide ou assistance (C. pén., art. 121-7, al. 1) pour les deux comparses.

Sur la peine, le pourvoi reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision prononçant à l’encontre de chacun des requérants une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à titre complémentaire, l’interdiction d’exercer une fonction publique pendant une durée de cinq ans. Précisément, elle n’aurait pas pris en compte les circonstances concrètes de l’infraction, la personnalité du prévenu et sa situation personnelle. La Cour de cassation a pourtant estimé que les juges du fond ont relevé la gravité des faits commis au sein d’un établissement pénitentiaire, par un fonctionnaire dépositaire de l’autorité publique, auquel il revenait de faire respecter les règles et non de les violer, en dépit de la personnalité et de la situation de chacun d’eux qui n’avaient pas auparavant fait l’objet de remarques négatives ou de sanctions. Les juges ont ajouté que le comportement des intéressés a entraîné une perte de confiance dans leur capacité à exercer une fonction publique et à en respecter tous les devoirs, le premier étant celui du respect de la loi. Opérant son contrôle de la motivation des peines (v. par ex. Crim. 7 nov. 2018, n° 17-84.616, Dalloz actualité, 6 déc. 2018, obs. M. Recotillet ), la haute juridiction a conclu qu’en l’état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et répondent à l’exigence résultant des articles 132-1 et 321-9 du code pénal et 485 du code de procédure pénale, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes et principes susvisés.

En définitive, malgré sa sévérité envers les surveillants, cette décision paraît logique au regard du droit en vigueur. Elle constitue aussi l’occasion de s’interroger sur l’autorisation des téléphones portables en milieu pénitentiaire (v. par ex. Nîmes, 31 mars 2005, JCP 2006. IV. 1780 ; Toulouse, 24 mars 2004, D. 2004. 1563 ). Le problème n’est pas résolu et mérite qu’on s’y intéresse de façon plus approfondie car il concerne des intérêts contradictoires. D’un côté, on peut se demander s’il ne serait pas opportun de légaliser les téléphones en prison à une époque où les technologies de la communication font partie intégrante du quotidien et lorsqu’on sait qu’en milieu pénitentiaire, la détention de mobiles est une situation presque banale. De l’autre, il faut prendre en considération le risque qu’un détenu communique avec un ou plusieurs autres malfaiteurs, à l’extérieur. Cet arrêt questionne également la relation entre les détenus et le personnel de l’administration pénitentiaire chargé de les surveiller, mais aussi d’assurer leur réinsertion.