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Concentration des prétentions et procédure collective, maîtres du suspense

Dès lors que la procédure collective et la déclaration de créance sont antérieures aux premières conclusions de l’intimé qui sollicitent la confirmation de condamnations prononcées par le premier juge, une cour d’appel ne peut juger recevable la demande de fixation de la créance au passif de la procédure collective contenue dans des conclusions déposées au-delà du délai imparti pour conclure.

Soupçons

Même s’ils en ignoraient encore les contours exacts à lecture du décret du 6 mai 2017, les avocats avaient raison d’être soupçonneux en découvrant l’article 910-4 du code de procédure civile. L’arrêt du 20 octobre 2022 permet d’en découvrir une nouvelle facette.

Le 18 octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris condamne une société, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard et par véhicule manquant, à restituer à une compagnie d’assurances des véhicules qu’elle détenait en exécution d’un contrat signé entre elles puis résilié en raison d’impayés. Le 29 janvier 2019, une procédure de sauvegarde est ouverte à l’égard de cette société par le tribunal de commerce d’Antibes et, par décision du juge de l’exécution du 5 mars 2019, l’astreinte est liquidée à hauteur de 920 000 €. La société relève appel du jugement et, le 1er avril 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence liquide l’astreinte prononcée par le tribunal de commerce et fixe à la somme de 920 000 € la créance de la compagnie d’assurances à la procédure collective. La société demanderesse au pourvoi soutenait, au côté de ses mandataire judiciaire et administrateur judiciaire, une violation de l’article 910-4 du code de procédure civile par la cour qui avait jugé recevables les prétentions de la compagnie d’assurance alors que celle-ci avait déposé des conclusions sollicitant la confirmation du jugement dont appel puis, dans de nouvelles conclusions notifiées au-delà du délai imparti pour conclure à peine d’irrecevabilité, la fixation de sa créance au passif. Pour les juges d’appel, cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée et était parfaitement recevable. Mais reprenant le visa de l’article 910-4, la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt en ce qu’il a fixé la créance dans la procédure collective :

« 5. Selon ce texte, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

6. Pour fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l’arrêt retient que dans des conclusions du 24 février 2020, la société Allianz Iard sollicitait la confirmation du jugement frappé d’appel, ce qui emportait condamnation financière de la société Demax alors que la procédure collective la concernant a été ouverte le 29 janvier 2019, mais qu’avant que la cour ne statue, dans ses dernières écritures du 21 octobre 2020, elle a opportunément ajusté sa demande pour solliciter uniquement la fixation de la créance dans la procédure collective, ce qui tend à la même prétention que celle initialement formulée, sauf à tenir compte de l’élément juridique nouveau et en déduit que l’irrecevabilité ne sera pas retenue.

7. En statuant ainsi, alors que la demande de fixation de la créance de la société Allianz Iard constituait une prétention, qu’elle n’était pas destinée à répliquer aux conclusions de l’appelant ni à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d’un fait, la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz Iard étant antérieures aux premières conclusions déposées par celle-ci, la cour d’appel, qui ne pouvait que déclarer irrecevable cette prétention, a violé le texte susvisé ».

Sueurs froides

La découverte d’un arrêt débouche parfois sur un moment de flottement, voire d’inquiétude, lorsque la règle de procédure civile dégagée, et publiée, conduit à une sanction à première vue difficilement imaginable ; elle engage le présent, comme le passé et l’avenir.

Un (trop) rapide aller-retour entre les moyens et la solution de cet arrêt n’invite pas à la sérénité tant on aurait tôt fait de comprendre que la partie qui ignore la procédure collective de son adversaire en appel en présentant une demande de condamnation puis, en un prolongement ou mouvement naturel, une fixation au passif dans son dispositif, encourt l’irrecevabilité de sa prétention. On pense immédiatement aux si nombreux dossiers d’appel en cours dans lesquels les premiers délais pour conclure sont expirés et à ceux à venir dans lesquels les parties apprendront le placement en procédure collective de l’une d’elles. Jusque-là, elles avaient l’habitude d’ajuster leurs écritures en fonction de cette situation juridique nouvelle, selon le terme même de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Sans suspense aucun, on basculait alors d’une demande de condamnation à une demande de fixation de la créance au passif de la procédure collective. Avec cet arrêt, la nuance est de mise.

La solution de la deuxième chambre civile doit s’appréhender au regard d’une situation d’espèce précise, née d’une procédure collective prononcée en première instance et non à hauteur d’appel. Il faut ici se reporter à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, aux dates des précédentes décisions et des évènements, notamment de procédure collective, pour comprendre la solution. Mais si entre confirmation, condamnation, fixation, concentration des prétentions, tout finit par...

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