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Concilier dénigrement et liberté d’expression : rebondissement inattendu pour YUKA dans la saga des additifs nitrés ?

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, estimant notamment que la société YUCA n’avait pas commis d’actes de dénigrement et donc de concurrence déloyale en alertant les consommateurs, via son application, sur les risques liés aux additifs nitrés sur la santé humaine, et que cela relevait de sa liberté d’expression, qui inclut le droit de critique.

La concurrence déloyale sans situation de concurrence, admise en matière de dénigrement et que certains ont pu qualifier – par mimétisme avec les « agissements parasitaires » – de théorie « des agissements dénigrants » (Dalloz actualité, 23 janv. 2019, obs. X. Delpech), est susceptible d’avoir un impact considérable sur la liberté d’expression. En témoignent les nombreuses actions en justice intentées par les industriels de la charcuterie à l’encontre de la société ayant développé l’application mobile YUKA.

Dans la présente décision, le litige opposait la société ABC, spécialisée dans la fabrication de charcuterie et principalement de jambons cuits, dont certains sont produits et commercialisés sous la marque Noixfine, qui incorpore un additif, le nitrite de sodium, à la société YUCA, dont l’application YUKA a pour but de renseigner les consommateurs sur les produits proposés sur le marché, notamment alimentaires.

Pour avoir attribué au produit de la première société la note de 9/100 et un commentaire « mauvais » en raison de la présence de nitrites, la seconde société a été assignée devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence afin de se faire condamner au paiement de dommages et intérêts et obtenir diverses mesures d’interdiction et de publicité. La juridiction de première instance a donné raison à la société ABC et a estimé qu’elle s’était livrée à des pratiques commerciales déloyales et trompeuses, ainsi qu’à des actes de dénigrement. La société YUCA a donc décidé d’interjeter appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Si les développements relatifs aux pratiques commerciales déloyales et trompeuses alléguées ne sont pas dénués d’intérêt et de critiques (CCC 2023. Comm. 22, obs. M. Malaurie-Vignal), nos observations seront consacrées aux actes de dénigrement qui appartiennent à la catégorie des actes de concurrence déloyale et à leur conciliation avec la liberté d’expression.

L’articulation entre le dénigrement et la diffamation

À titre liminaire, l’arrêt indique que l’activité de la société YUCA, qui consiste à fournir un service d’information, à savoir une application permettant aux consommateurs de faire de meilleurs choix pour leur santé et inciter les industriels à proposer de meilleurs produits, est protégée par la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le fait que la société ait un statut commercial et réalise à ce titre quelques bénéfices n’est pas de nature à remettre en cause cette constatation.

Par la suite, la cour d’appel a recherché si les faits pouvaient être requalifiés en diffamation. À cet égard, les juges du fond rappellent que lorsque les allégations concernent un produit, le délit pénal de diffamation prévu par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 n’est constitué que lorsqu’elles portent atteinte à l’honneur ou à la considération de son fabricant ou de son distributeur clairement identifié. En d’autres termes, pour constituer une diffamation, les propos doivent viser la personne morale en tant que telle (Civ. 2e, 5 juill. 2000, n° 98-14.255, D. 2000. 359 , obs. A. Marmontel ; Crim. 10 sept. 2013, n° 11-86.311, D. 2013. 2276 ; ibid. 2014. 508, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2014. 34, obs. N. Verly ; Légipresse 2013. 520 et les obs. ; ibid. 526 et les obs. ; ibid. 609, Étude G. Lécuyer ; JT 2013, n° 158, p. 14, obs. X. Delpech ). Or, les informations diffusées ne visaient pas la société ABC, mais le produit commercialisé sous la marque Noixfine. C’est donc à juste titre que la cour d’appel n’a pas retenu la diffamation. En revanche, le dénigrement, qui doit viser les produits et services de la personne concernée pour constituer une concurrence déloyale, apparaît comme un fondement plus...

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