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Conclusion d’un PACS par un majeur sous tutelle : conditions de l’autorisation du juge

La seule opposition des enfants du premier lit ne suffit pas à justifier le refus d’une mesure conforme à la volonté clairement exprimée de la personne protégée.

par Nathalie Peterkale 4 décembre 2017

L’arrêt du 15 novembre 2017 s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus vaste illustrant l’attachement de la Cour de cassation au respect de la volonté et de l’autonomie de la personne protégée, fût-elle placée sous tutelle. Rappelons qu’en écho à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par la France et entrée en vigueur en 2010 (CIDPH, 13 déc. 2006 ; E. Pecqueur, A. Caron-Déglise et T. Verheyde, Capacité juridique et protection juridique à la lumière de la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées, D. 2016. 958 ), l’article 415 du code civil érige au rang des principes directeurs du droit de la protection juridique des majeurs la promotion de l’autonomie de la personne protégée, le respect de ses libertés individuelles, de ses droits fondamentaux et de sa dignité. Loin de se réduire à une déclaration de principe, le texte irrigue l’ensemble de la matière où il trouve des traductions très concrètes.

La première, et non des moindres, réside dans le régime des actes personnels de la personne protégée. Cette dernière conserve sa capacité juridique dans le domaine des décisions personnelles, qu’il s’agisse d’organiser son mode de vie, ses loisirs, ses relations avec les tiers, de choisir son lieu de résidence ou de la prise de décision en matière médicale, sous réserve des dispositions particulières du code de la santé publique (P.-O. Danino, Observations pratiques et contrastées sur la santé du majeur protégé, in Nouveau droit des majeurs protégés. Difficultés pratiques (G. Raoul-Cormeil, dir.), Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2012, p. 183). Le code civil pose ici, exception faite du choix du lieu de vie et des relations personnelles du majeur (C. civ., art. 459-2), un système d’autonomie graduée (C. civ., art. 459). C’est en principe la personne protégée qui décide et elle seule. Si elle n’est pas en état d’exprimer une volonté personnelle éclairée, le juge des tutelles peut autoriser la personne en charge de la mesure de protection à l’assister ou, après l’ouverture d’une tutelle, la représenter dans le cadre du processus de prise de décision. Applicable aux actes simplement personnels, ce système cède devant les actes strictement personnels, c’est-à-dire les actes si intimes qu’il n’est pas concevable que la personne protégée soit assistée ou représentée pour les effectuer (V., par ex., Civ. 1re, 6 nov. 2013, n° 12-23.766, D. 2014. 467 , note G. Raoul-Cormeil ; ibid. 2259, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2013. 717, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2014. 84, obs. J. Hauser ; Gaz. Pal. 2013. 3787, obs. J. Massip ; JCP 2014. 14, obs. N. Peterka ; Dr. fam. 2014. comm. 9, note I. Maria). De deux choses l’une. Soit, elle bénéficie d’une lucidité suffisante pour faire l’acte et elle le fait seule, ce qui n’exclut pas le cas échéant l’accompagnement de son protecteur (Sur cette notion, au demeurant controversée, V. dossier, L’accompagnement des personnes majeurs vulnérables : entre nécessité juridique et exigence éthique, Dr. fam. 2017. 17 s.) Soit, elle ne bénéficie pas d’une telle lucidité et, alors, il n’y a d’autre choix que de renoncer à l’acte. La promotion de l’autonomie peut ainsi se retourner, dans certaines hypothèses, contre la personne protégée (Civ. 1re, 8 oct. 2008, n° 07-16.094, D. 2008. 2832 , note V. Norguin ; ibid. 2663, obs. V. Egéa ; ibid. 2009. 773, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2183, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2008. 435, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ. 2008. 655, obs. J. Hauser  ; JCP 2008. Act. 615, obs. Y. Favier ; ibid. 2009. II. 10012, note Y. Favier ; Dr. fam. 2008. 173, note P. Murat ; Defrénois 2008. 2431, obs. J. Massip ; P. Salvage-Gerest, Les actes dont la nature implique le consentement strictement personnel du majeur en tutelle : une catégorie à revoir d’urgence, Dr. fam. 2009. Étude 17).

Ces règles générales subissent un infléchissement dans le domaine de certains actes qui relèvent pourtant de l’intime de la personne. Ces derniers présentent la particularité de revêtir une double dimension, tout à la fois patrimoniale et éminemment personnelle. Le code civil procède, pour ces actes mixtes, à un aménagement de l’autonomie de la personne protégée. L’accomplissement de l’acte est ici subordonné à l’autorisation du juge des tutelles. Il en est ainsi du testament du tutélaire (C. civ., art. 476, al. 2 ; N. Peterka, Les libéralités du majeur protégé dans la loi du 5 mars 2007, Dr. fam. 2007. Étude 20) ainsi que du mariage de la personne sous tutelle ou curatelle (C. civ., art. 460). Le contrôle du juge se limite ici à vérifier que la personne est apte à émettre une volonté claire. Il ne s’étend pas, en revanche, au contenu de l’acte (V., pour le testament, Civ. 1re, 8 mars 2017, n° 16-10.340, D. 2017. 1490, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ fam. 2017. 250, obs. G. Raoul-Cormeil ; RTD civ. 2017. 354, obs. J. Hauser ; ibid. 465, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 2017. 27, obs. J. Combret). Son caractère éminemment personnel rejaillit non seulement sur les règles gouvernant sa conclusion mais, encore, sur les modalités de saisine du juge. Seule la personne protégée peut le saisir, à l’exclusion de son tuteur (Civ. 1re, 2 déc. 2015, n° 14-25.777, D. 2016. 875 , note G. Raoul-Cormeil ; ibid. 1334, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1523, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2016. 107, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2016. 83, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2016. Comm. 36, note I. Maria ; Civ. 1re, 8 mars 2017, préc.).

C’est à cette même logique qu’obéissent les dispositions de l’article 462 du code civil, relatives à la conclusion d’un PACS par le majeur sous tutelle, dont fait ici application l’arrêt du 15 novembre 2017. En l’espèce, un homme avait été placé en tutelle en 2014 et son fils désigné en qualité de tuteur. Par la suite, la personne protégée avait demandé au juge des tutelles l’autorisation de conclure un PACS avec sa compagne. Le fils reproche à la cour d’appel d’avoir autorisé le PACS au motif notamment qu’elle s’était bornée à constater que « si l’atteinte aux fonctions exécutives relevée par le médecin expert justifie le maintien d’une mesure de tutelle, force est de constater que la parole [du majeur protégé] est claire quant à sa volonté actuelle de donner un statut et avantager sa compagne ». Un tel motif étant selon le pourvoi impropre à caractériser un consentement libre et éclairé, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 462 du code civil.

De manière parfaitement orthodoxe, la Cour de cassation rejette le pourvoi en décidant que « faisant application de l’article 462 du code civil, l’arrêt relève, d’une part, que [le majeur protégé] et [sa compagne] ont eu un enfant en 1979 et vivent maritalement depuis 1981, d’autre part, qu’il résulte des débats qu’après son divorce, [le majeur protégé] a proposé à sa compagne de se marier et que celle-ci, qui avait alors refusé, souhaite aujourd’hui conclure un pacte civil de solidarité, enfin, que si l’état de santé de l’intéressé justifie le maintien de la mesure de protection, sa parole est claire quant à sa volonté de donner un statut à sa compagne, de sorte que la seule opposition des enfants du premier lit ne peut justifier le refus d’une mesure conforme à la volonté exprimée par le majeur protégé ».

L’arrêt est riche d’enseignements sur le terrain du recueil de la volonté du majeur. Ce dernier peut être tiré non seulement de l’audition du majeur, d’où il résulte une parole claire, mais encore événements antérieurs à l’ouverture de la mesure de protection de nature à conforter cette parole, tels que l’ancienneté du concubinage du couple, la naissance d’un enfant commun et une précédente demande en mariage formulée par le majeur. Ces éléments peuvent être de nature à contredire, comme en l’espèce, l’avis défavorable des parents et de l’entourage à la conclusion du PACS.

Reste alors à régler la signature de la convention de PACS, ainsi autorisé. S’il affranchit la déclaration conjointe devant l’officier d’état civil ou le notaire instrumentaire de l’assistance ou de la représentation du tuteur, l’article 462, alinéa 2 soumet la signature de convention à son assistance. C’est dire qu’en cas d’hostilité du tuteur au PACS, il conviendra de solliciter du juge la désignation d’un nouveau tuteur si le conflit familial empêche le tuteur initialement désigné d’exercer la mesure dans l’intérêt de la personne protégée. A tout le moins, la désignation d’un tuteur ad hoc sera nécessaire. Le juge des tutelles peut y procéder à la demande de tout intéressé ou d’office (C. civ., art. 455 ; N. Peterka et A. Caron-Déglise, Protection de la personne vulnérable, Dalloz Action, 2017-2018, nos 332-71 et 332-81 s.).