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Conclusions d’appel et formalisme excessif : fini le surréalisme, place au réalisme

Doit être censuré pour formalisme excessif l’arrêt d’une cour d’appel qui confirme le jugement motif pris que le dispositif des conclusions de l’appelant, contenant une demande de réformation du jugement, s’adresse en réalité au tribunal, que celles-ci ne la saisissent donc d’aucune demande et que cette absence de demande adressée par les appelants à la juridiction d’appel équivaut à une demande de confirmation du jugement frappé d’appel.

Dans un litige instruit devant la Cour d’appel de Montpellier, les parties avaient constaté à la lecture de l’arrêt que la cour avait relevé d’office le moyen selon lequel les sociétés appelantes s’adressaient, au dispositif de leurs conclusions, au tribunal de grande instance plutôt qu’à la cour et que dès lors la confirmation du jugement en toutes ses dispositions était prononcée. Les demanderesses au pourvoi avaient soutenu la simple erreur matérielle contenue au dispositif car le débat était bien là : l’erreur était-elle matérielle ou substantielle ? De récents arrêts publiés de la deuxième chambre civile invitaient à dégager la solution, l’erreur ne pouvait qu’être vénielle. Cassant et annulant l’arrêt puis renvoyant les parties devant la Cour d’appel de Nîmes, au visa des articles 954 et 961 du code de procédure civile et, pour la première fois sur ce sujet précis, de l’article 6, § 1, de la Convention européenne de des droits de l’homme, la Cour de cassation prend de la hauteur et offre une solution qui mérite d’être citée in extenso :

« 4. Selon le premier de ces textes, les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues au second, notamment s’il s’agit d’une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
5. Selon la Cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A n° 333-B). Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Baka c. Hongrie [GC], n° 20261/12, § 120, 23 juin 2016, AJDA 2016. 1738, chron. L. Burgorgue-Larsen ; et Ali Riza c. Suisse, n° 74989/11, § 73, 13 juillet 2021, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J Jourdan-Marques). Cette réglementation par l’État peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A n° 93, et Stanev c. Bulgarie [GC], n° 36760/06, § 230, CEDH 2012, RDSS 2012. 863, note K. Lucas ). Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Zubac c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 78, 5 avril 2018, Dalloz actualité, 17 avr. 2018, obs. J. Jourdan-Marques).
6. Les critères relatifs à l’examen des restrictions d’accès à un degré supérieur de juridiction ont été résumés par la Cour dans l’affaire Zubac (précitée, §§ 80-99). Afin d’apprécier la proportionnalité de la restriction en cause, la Cour prend en considération les facteurs suivants : i) sa prévisibilité aux yeux du justiciable (Henrioud c. France, n° 21444/11, §§ 60-66, 5 novembre 2015, Dalloz actualité, 18 nov. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1245 , note G. Bolard ; Zubac, précité, §§ 85 et 87-89, et C.N. c. Luxembourg, n° 59649/18, §§ 44-50, 12 octobre 2021), ii) le point de savoir si le requérant a dû supporter une charge excessive en raison des erreurs éventuellement commises en cours de procédure (Zubac, précité, §§ 90-95 et jurisprudence citée) et iii) celui de savoir si cette restriction est empreinte d’un formalisme excessif (CEDH 2002-IX, Henrioud, précité, § 67, et Zubac, précité, §§ 96-99). En effet, en appliquant les règles de procédure, les tribunaux doivent éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (Walchli c. France, n° 35787/03, § 29, 26 juillet 2007, Dalloz actualité, 30 août 2007, obs. M. Léna ; D. 2007. 2304, obs. M. Léna ; AJ pénal 2007. 490, obs. C. Porteron ).
7. Pour...

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