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Conclusions et pièces : un sort nécessairement lié dans le débat contradictoire ?

Le sort des pièces de dernière minute n’est pas indissociablement et systématiquement lié au sort des conclusions de dernière minute auxquelles elles sont jointes. Ainsi l’exige la nécessité de vérifier concrètement que le principe du contradictoire a bien été respecté par les parties.

par Anaïs Danetle 7 janvier 2019

Dans cette affaire, une ordonnance de référé avait constaté la résiliation du bail commercial d’un local appartenant à une société civile immobilière (la SCI Immobilia), faute pour le preneur à bail (la société Les trois étoiles) de s’être libéré des causes d’un commandement visant la clause résolutoire du bail. La société Les trois étoiles a donc interjeté appel de cette ordonnance de référé et a déposé dans le cadre de l’instance d’appel des nouvelles conclusions accompagnées de nouvelles pièces le 26 décembre 2016 soit la veille de l’ordonnance de clôture qui a été prononcée le 27 décembre 2016.

Devant se prononcer sur le sort de ces conclusions et pièces « de dernière heure » (sur lesquelles, v. A. Blaisse, Le problème des pièces et conclusions tardives, JCP 1988. I. 3317 ; R. Thominette, Procédure et mise en état : pour un respect efficace du principe de la contradiction, D. 2006. 1764 ; v. égal. le guide méthodologique publié par la Cour de cassation à destination des juges du fond, BICC 15 mars 2005), la cour d’appel de Montpellier a procédé à une appréciation concrète, au cas par cas, la conduisant à déclarer les conclusions recevables tout en écartant dans le même temps les pièces nos 12 à 17 produites par l’appelante la veille de l’ordonnance de clôture.

C’est précisément cette dissociation du sort des conclusions et des pièces – et en particulier ses conséquences sur la mise à l’écart du débat de certaines pièces – que reprochait à la cour d’appel la société Les trois étoiles dans son pourvoi. La demanderesse au pourvoi se fondait en effet sur le moyen selon lequel le juge ne pouvait pas dissocier le sort des conclusions et des pièces produites la veille de l’ordonnance de clôture et ne pouvait pas par conséquent écarter des pièces produites au soutien de conclusions recevables. Par ailleurs, la deuxième branche du premier moyen du pourvoi arguait que le juge ne s’était pas expliqué sur ce qui aurait concrètement empêché le respect du principe de la contradiction si les pièces litigieuses avaient été jugées recevables. En d’autres termes, le pourvoi reproche à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment motivé, de façon concrète, l’irrecevabilité de ses pièces.

La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la possibilité pour le juge d’écarter du débat, pour cause d’absence de communication en temps utile, des pièces jointes à des conclusions qui avaient été jugées recevables.

La question de la mise à l’écart du débat des conclusions et pièces communiquées peu de temps avant l’ordonnance de clôture semblait pourtant être réglée. Rappelons que la réponse à cette question avait pu faire l’objet d’hésitations en raison de l’absence de texte réglant le sort de ces conclusions et pièces de dernière minute. Si l’article 783 du code de procédure civile prévoit expressément l’irrecevabilité des conclusions et pièces déposées après l’ordonnance de clôture, aucun texte ne précise le sort qui doit être réservé à celles déposées juste avant. Il est pourtant désormais de jurisprudence constante que les juges peuvent écarter du débat ces pièces de dernière minute lorsque la tardiveté d’une telle production porte concrètement atteinte au principe du contradictoire sur le fondement de l’article 135 du code de procédure civile (Civ. 2e, 27 févr. 1977, RTD civ. 1977. 920, obs. R. Perrot ; 21 oct. 1981, RTD civ. 1982. 466, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 1982, 21, note Viatte ; 9 mai 1983 : Gaz. Pal. 1984. 298, note du Rusquec) ; la solution est également parfaitement admise pour les conclusions, sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure, faute d’un texte qui leur soit spécialement consacré ( Civ. 2e, 27 avr. 1981, Gaz. Pal. 1981. 630, note Viatte ; RTD civ. 1981, 897, obs. R. Perrot ; 28 avr. 1982, D. 1983. IR 157, obs. Julien ; RTD civ. 1983. 194, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 1983. 131, note du Rusquec ; 27 févr. 1985, RTD civ. 1985. 447, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 1985. Pan. 253, obs. Guinchard et Moussa ; Com. 17 déc. 1985, Gaz. Pal. 1986. Somm. 419, obs. Guinchard ; Civ. 1re, 16 juill. 1998, Procédures 1998, n° 242, obs. R. Perrot).

La question méritait pourtant ici d’être reposée dans la mesure où la cour d’appel a dissocié le sort des conclusions et des pièces qui y étaient jointes – conclusions recevables mais pièces irrecevables –, et ce quatre ans après un arrêt d’assemblée plénière retenant que des pièces produites au soutien de conclusions irrecevables devaient nécessairement être écartées, semblant ainsi lier indissociablement le sort des pièces à celui des conclusions (Cass., ass. plén., 5 déc. 2014, n° 13-27.501, rapport Andrich et avis Lesueur de Givry ; D. 2014. 2530 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; D. avocats 2015. 80, Article C. Lhermitte ; RTD civ. 2015. 200, obs. N. Cayrol ; JCP 2014. 1300, obs. P. Gerbay).

C’est pourtant à une conclusion différente que parvient la Cour de cassation ici, en affirmant que la cour d’appel avait souverainement retenu que la société Les trois étoiles n’avait pu valablement s’expliquer sur les dernières pièces produites la veille de l’ordonnance de clôture, ce dont il résultait qu’elles n’avaient pas été communiquées en temps utile ; et que, par conséquent, ces pièces devaient être écartées des débats quand bien même les dernières conclusions déposées par la société avaient été déclarées recevables.

Cette solution de la Cour de cassation appelle ainsi deux séries de remarques, les unes portant sur l’indissociabilité du sort des conclusions et des pièces, les autres portant sur la réaffirmation ici opérée par la Cour de cassation de son attachement à l’appréciation in concreto du respect du principe du contradictoire.

En premier lieu, sur l’indissociabilité du sort des conclusions et des pièces, il faut souligner que cette solution ne revient pas sur l’arrêt rendu en assemblée plénière mais vient seulement en préciser les contours. Les circonstances ayant conduit la cour à se prononcer dans les deux affaires n’étaient en effet pas les mêmes. D’une part, la question posée à la Cour de cassation sur le sort lié des conclusions et des pièces était ici sensiblement différente puisqu’en 2014, la cause de l’irrecevabilité résultait de la tardiveté du dépôt des conclusions non au regard du principe du contradictoire mais au regard des délais impératifs de la procédure d’appel avec représentation obligatoire. D’autre part, et surtout, le statut des conclusions n’était pas le même dans les deux affaires : en 2014, la question était celle du sort de pièces jointes à des conclusions irrecevables, tandis que, dans l’arrêt ici commenté, les conclusions ont été jugées recevables. Il faut en déduire que, pour la Cour de cassation, la recevabilité des conclusions est certes une condition nécessaire de la recevabilité des pièces qui y sont jointes mais cette condition n’est pas une condition suffisante. La Cour semble donc admettre la possibilité de conclusions sans pièces, ce qui peut paraître regrettable du point de vue de la pertinence des conclusions toujours recevables, qui risquent de devenir « une prose décharnée dépourvue d’éléments probatoires » pour reprendre l’expression du professeur R. Perrot (note sous Cass., avis, 25 juin 2012, n° 12-00.005, D. 2012. 2435 , note C. Alcalde ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; AJDI 2012. 610 , obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2012. 772, obs. R. Perrot ). La solution nous paraît pourtant devoir être ici approuvée en raison de l’attachement qu’elle traduit au respect du principe du contradictoire.

C’est qu’en second lieu, la Cour de cassation réaffirme ici son attachement à l’appréciation in concreto à laquelle doivent se livrer les juges du fond pour trancher le sort des conclusions et pièces de dernière heure, sans pour autant se livrer elle-même à un contrôle approfondi de cette motivation.

D’une part, il faut relever que la Cour de cassation réaffirme que l’appréciation de la notion de communication en temps utile est une question relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il n’y a là aucune surprise puisque si les juges de cassation ont longtemps opéré un contrôle de la motivation des juges du fond (v. par ex. Civ. 1re, 6 juin 2000, n° 98-13.806, Bull. civ. n° 174 ; Civ. 1re, 17 févr. 2004, n° 01-16.659, Bull. civ. I, n° 53 ; D. 2004. 1995 , note A. Bolze ), ce contrôle s’est considérablement allégé depuis un arrêt rendu en chambre mixte le 3 février 2006 (Cass. ch. mixte, 3 févr. 2006, n° 04-30.592, D. 2006. 1268 , note A. Bolze ; RTD civ. 2006. 376, obs. R. Perrot ; JCP 2006. 299). La Cour de cassation a en effet abandonné la question à l’appréciation souveraine des juges du fond, se contentant pour sa part d’opérer un seul contrôle formel de la motivation.

D’autre part, nonobstant cette légèreté du contrôle de la Cour de cassation, celle-ci rappelle tout de même implicitement que les juges doivent s’assurer que le principe du contradictoire a bien été violé, pour pouvoir écarter les pièces du débat. En effet, pour entériner la décision, la Cour de cassation reprend la motivation de la cour d’appel, laquelle avait provoqué des explications de la part de la société non diligente sur le dépôt des pièces mais avait jugé ces explications insuffisantes pour en déduire le caractère tardif de ce dépôt de pièces. La Cour de cassation semble saluer ici la prise en compte des circonstances concrètes de l’affaire par la cour d’appel pour justifier le rejet de ces pièces. Il est d’ailleurs à ce titre intéressant que, sans le dire explicitement, la cour d’appel semble avoir apprécié le respect du contradictoire en prenant en compte la loyauté des parties (ou plus précisément leur déloyauté) : l’absence d’explication « valable » justifiant un dépôt aussi tardif des pièces fait irrémédiablement soupçonner une stratégie procédurale frisant la déloyauté… Ce n’est pas tant l’impossibilité pour la partie adverse de prendre connaissance de ces pièces en temps utile que la volonté de sanctionner un comportement déloyal qui semble avoir motivé le rejet de ces pièces du débat. Cela étant, en reprenant la motivation de la cour d’appel tout en rappelant son caractère souverain, la Cour de cassation confirme l’exigence de motivation qui pèse sur les juges du fond, ceux-ci ne pouvant se contenter de viser simplement la date des conclusions et de l’ordonnance de clôture sans préciser les circonstances particulières ayant empêché le respect de la contradiction (Civ. 1re, 5 déc. 2012, n° 11-20.552, Procédures 2013, n° 38, note R. Perrot ; Com. 17 nov. 2015, n° 14-15.270, Gaz. Pal. 9 févr. 2016, n° 6, p. 36, obs. L. Mayer).

C’est d’ailleurs précisément ce contrôle concret opéré par les juges du fond qui a permis de conclure à une dissociation du sort des conclusions et des pièces. En d’autres termes, la question du lien entre les conclusions et les pièces déposées à leur appui ne peut être réglée de façon générale et systématique puisqu’elle est dépendante de l’appréciation concrète que feront les juges du fond du respect du principe du contradictoire.

S’il est désormais acquis qu’il ne peut y avoir, dans le débat, de pièces sans conclusions, la Cour de cassation affirme ici qu’en revanche, il peut y avoir, en fonction des circonstances, des conclusions sans pièces.