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Condamnation de l’ex-Front national pour abus de biens sociaux

Les faits de recel d’abus de biens sociaux, commis pour le compte du Front national, en qualité de trésorier, engagent la responsabilité du parti.

par Méryl Recotilletle 6 juillet 2020

Affaire « Jeanne », « Riwal » ou « des kits de campagne », autant d’appellations pour désigner le scandale qui a éclaté au sein du Rassemblement national (RN). Pas moins de dix prévenus étaient poursuivis pour escroquerie, financement illégal de campagnes électorales, abus de biens sociaux, recel, ou encore faux et usages de faux. Alors que la principale représentante du parti affirmait, le 15 avril 2014, que toute cette affaire se terminerait « comme à chaque fois par un non-lieu ou une relaxe dans quelques mois » (I. Valerio, Une information judiciaire ouverte sur le micro-parti de Marine Le Pen, Le figaro.fr, 15 avr. 2014) le tribunal judiciaire a conclu, dans une décision du 16 juin 2020 à de multiples condamnations, dont celle du RN lui-même, pour recel d’abus de biens sociaux.

L’un des principaux prévenus, Frédéric Chatillon, était le dirigeant de la société Riwal, une agence de communication avec laquelle le Front national (le FN, devenu le Rassemblement national, RN) avait conclu un contrat de prestation de services. Il était poursuivi pour avoir fait un usage des biens ou du crédit de la société Riwal (C. com., art. L. 241-3), contraire à l’intérêt de celle-ci, pour favoriser le parti politique du Front national. Ce dernier était, quant à lui, inquiété pour recel d’abus de biens sociaux (C. pén., art. 321-1).

L’usage contraire à l’intérêt social (Crim. 20 nov. 2019, n° 18-82.277, Rev. sociétés 2020. 179, note B. Bouloc ; RTD com. 2020. 157, obs. B. Bouloc ) qui constitue l’abus de biens sociaux se définit par l’absence de contrepartie et l’exposition de l’actif social à un risque injustifié (v. Rép. pén., Abus de biens sociaux, par D. Rebut, nos 39 s.).

Le tribunal correctionnel s’est tout d’abord intéressé au risque que Frédéric Chatillon a fait encourir à sa société. Il résulte, en l’espèce, du crédit sans intérêt (CE, avis, 9 févr. 2017, Section de l’intérieur, n° 392602, Dalloz actualité, 27 févr. 2017, obs. J.-M. Pastor) consenti par la société Riwal au Front national tout au long de la période de prévention, alors que la situation financière du parti faisait courir, à la société prêteuse, un risque financier au regard de son montant, voire un risque pénal. Le tribunal a jugé que cela constituait un usage des biens contraire à son intérêt social. Ce risque résultait ensuite de l’acceptation, par Frédéric Chatillon, de salarier fictivement des cadres du FN. Enfin, le délit d’abus de biens sociaux est constitué pour avoir fait prendre en charge les factures d’achat de duplicopieurs pour 44 fédérations du FN, avec tambours et deux photocopieurs pour un montant de 160 820 € commis courant 2012 et 2013 à Paris.

Le délit d’abus de biens sociaux étant constitué, il était alors reproché au FN d’avoir recelé le produit de cet abus de biens sociaux (v. réc. Crim. 30 janv. 2019, n° 17-85.304, Dalloz actualité, 15 févr. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 254 ; ibid. 1858, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2019. 207, obs. M.-C. Sordino ; Rev. sociétés 2019. 540, note B. Bouloc ; RSC 2019. 355, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2019. 513, obs. B. Bouloc ) par l’intermédiaire de son trésorier.

Le recel n’étant pas subordonné à une qualité quelconque de son auteur, toutes les personnes physiques ou morales peuvent être poursuivies pour recel d’abus de biens sociaux. Le ministère public doit prouver « la connaissance de l’origine frauduleuse du bien chez celui qui le détient ou en profite » (v. Rép. pén., Abus de biens sociaux, par D. Rebut, nos 223-225). En l’espèce, selon le tribunal correctionnel, le trésorier du FN a non seulement accepté, en connaissance de cause, le crédit fournisseur accordé par la société Riwal, mais il l’avait lui-même sollicité auprès de son dirigeant. L’implication matérielle du trésorier du FN dans les faits qui lui sont reprochés et l’élément intentionnel du délit de recel d’abus de biens sociaux étaient ainsi démontrés. De plus, le trésorier du FN reconnaissait qu’il avait la responsabilité d’établir les contrats de travail et les fiches de paie des salariés du FN. Il avait également la responsabilité du paiement des factures émises par la société Riwal. À ce titre, en tant que directeur de campagne adjoint, comme les autres membres du bureau exécutif, le trésorier connaissait les responsabilités et le rôle des deux salariés employés fictivement.

Cette conclusion a conduit, par la suite, à l’engagement de la responsabilité pénale du Front national. En application de l’article 121-2 du code pénal, « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Le tribunal correctionnel a rappelé d’entrée de jeu la jurisprudence du 16 décembre 1997 (Crim. 16 déc. 1997, n° 96-82.509, Bull. crim. n° 428 ; Rev. sociétés 1998. 402, note B. Bouloc ; RTD com. 1998. 696, obs. B. Bouloc  ; Dr. pén. 1998. Comm. 51, note M. Véron ; JCP 1998. IV. 1876, p. 734), selon laquelle « justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer le prévenu coupable de recel de fonds provenant d’un trafic d’influence, retient que des fonds provenant d’un trafic d’influence ont été affectés au paiement de dépenses d’un parti politique dont le prévenu était trésorier, à la rémunération de salariés permanents de ce parti, et énonce que des charges dont le paiement incombait à l’intéressé en sa qualité de trésorier dudit parti ont été réglées par des tiers au moyen de sommes dont il connaissait la provenance frauduleuse ». De façon assez expéditive, le tribunal a jugé que, dans la mesure où le recel d’abus de biens sociaux a été commis pour le compte du Front national, en sa qualité de trésorier, la responsabilité pénale du parti est engagée (sur la responsabilité pénale de la personne morale, v. réc. Crim. 7 janv. 2020, n° 19-83.737, Rev. sociétés 2020. 254, obs. B. Bouloc ).

Le FN a ainsi été déclaré coupable de recel, par personne morale, du produit d’un délit d’abus de biens sociaux au préjudice de la société Riwal. Il a été condamné au paiement d’une amende de 18 750 €. En revanche, le tribunal a relaxé le FN pour les faits de complicité d’escroquerie par personne morale dans le cadre de la campagne électorale législative 2012 aux kits de campagne commis courant 2012 et 2013 à Paris.

Aux termes de l’article 313-1 du code pénal, « l’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » (v. Rép. pén., Escroquerie, par C. Mascala). Le parti était renvoyé devant la juridiction de jugement pour s’être rendu complice d’escroqueries et tentatives d’escroquerie. Des instructions validées par le délégué général du FN auraient été données et auraient permis de commettre l’escroquerie qui résultait de la subordination de l’investiture des candidats aux élections législatives à la souscription d’un kit de campagne obligatoire facturé par le micro-parti de Marine Le Pen, l’association Jeanne, et fourni par la société Riwal, ce kit étant non modulable à la baisse. Les juges ont reconnu que la majorité des candidats du FN aux élections en 2012 ont été obligés de commander des kits de campagne dont le contenu leur a été imposé par le parti. Toutefois, le contenu des kits campagne, la relative homogénéité des circonscriptions, l’existence de versions spéciales adaptées à certaines circonscriptions, ainsi que les témoignages concernant le déroulement de la campagne ne permettent pas d’établir que leur mise en place ne correspondait pas aux besoins des candidats. La dimension politique et électorale de ces kits de campagne ainsi que la volonté de présenter des comptes de campagne qui ne soient pas rejetés doivent être prises en considération dans l’appréciation de l’escroquerie et ils ne permettent pas de considérer que l’unique but du dispositif était de tromper l’État. En conséquence, la manœuvre frauduleuse n’est pas caractérisée. Ainsi, le prix du kit de campagne mis en place pour les élections législatives de 2012 ne paraît pas manifestement surévalué au regard du contenu des prestations proposées.

S’il a pu être soutenu que « la production jurisprudentielle récente de la chambre criminelle confirme que les moyens de la tromperie font l’objet d’une interprétation plutôt lâche », les magistrats du tribunal correctionnel se sont, au contraire, montrés plutôt stricts (C. Renaud-Duparc, Apports jurisprudentiels à la délimitation des contours de l’escroquerie, AJ pénal 2017. 211 ). Pour Marine Le Pen, cette décision « sonne comme une victoire » tandis que le ministère public, qui avait requis contre le FN 500 000 € d’amende, interjette appel de cette décision (C.  Sapin, Le parquet de Paris fait appel dans l’affaire Riwal après la relaxe du RN, Le Figaro, 16 juin 2020). L’affaire est donc à suivre…