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La condamnation de Marcel Campion pour diffamation envers DSK jugée conforme à la Convention

La Cour européenne juge que la condamnation du forain pour avoir imputé à DSK des faits de corruption était nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation d’autrui. 

par Sabrina Lavricle 21 mars 2019

En pleine affaire dite du « Sofitel », le magazine VSD publia, dans son numéro du 19 au 25 janvier 2012, un article intitulé « DSK et le fric les liaisons dangereuses » et sous-titré « Depuis sa chute, langues se délient. À l’instar de Marcel Campion, certains lèvent le voile sur les rapports entre DSK et l’argent », comprenant notamment une interview dans laquelle le forain expliquait qu’il avait sollicité l’homme politique en 1990 pour la reprise d’un parc de loisirs et que ce dernier aurait exigé le versement de cinq millions d’euros en contrepartie de son intervention. Le 9 février 2012, Dominique Strauss Kahn déposa une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation contre le directeur de publication de l’hebdomadaire, le journaliste signataire de l’interview et Marcel Campion. Renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, le premier pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, les deux autres pour complicité de ce délit (en application de la responsabilité « en cascade » de l’art. 42 de la loi du 29 juill. 1881), ils furent tous trois déclarés coupables et condamnés, le tribunal estimant que la bonne foi du requérant ne pouvait être reconnue et que le journaliste avait repris ses allégations diffamatoires au mépris de son devoir d’enquête sérieuse. La cour d’appel de Paris confirma ce jugement en 2015. Puis la Cour de cassation, par un arrêt du 15 novembre 2016, rejeta le pourvoi du requérant, en retenant que « les propos en cause, même s’ils concernaient un sujet d’intérêt général relatif à la probité d’un homme politique de premier plan, étaient dépourvus de base factuelle ».

Dans sa requête portée devant la Cour de Strasbourg, le requérant invoquait une violation de l’article 10 de la Convention, reprochant en particulier aux juridictions nationales de ne pas lui avoir accordé le bénéfice de la bonne foi. Dans sa décision, la Cour analyse la condamnation pénale du requérant comme une ingérence dans son droit à la liberté d’expression, ce qui la conduit à examiner sa conventionnalité éventuelle au regard des critères posés à l’article 10 § 2 : pour être légitime, l’ingérence doit être prévue par la loi, poursuivre l’un des buts légitimes énoncés et être nécessaire dans une société démocratique. Ainsi, la Cour relève que l’ingérence, fondée sur les articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, était bien prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, la Cour renvoie expressément aux principes posés dans son arrêt Morice contre France (CEDH, gr. ch., 23 avr. 2015, no 29369/10, Dalloz actualité, 13 mai 2015, obs. O. Bachelet ; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron ; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 740, obs. D. Roets ) et rappelle notamment que « l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression sans limites même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général […] l’information rapportée sur des questions d’intérêt général [étant] subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit » (§ 21), et qu’une déclaration, même apparentée à un jugement de valeur, doit se fonder sur une base factuelle suffisante, faute de quoi elle est abusive (§ 23).

Face à l’imputation d’avoir exigé la remise d’une importante somme d’argent pour favoriser la reprise d’un parc d’attractions, les juridictions nationales ont exigé du requérant qu’il produise des éléments de nature à étayer ses allégations, ce en quoi il a échoué, ce qui a entraîné le rejet de l’excuse de bonne foi (laquelle est subordonnée à la réunion de quatre critères : la poursuite d’un but légitime, la prudence dans l’expression, l’absence d’animosité personnelle et l’existence d’une base factuelle suffisante ; V. Rép. pén., v° Diffamation, par S. Détraz, nos 291 s.). Ce faisant, « les juridictions françaises n’ont pas excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient » (§ 24) et « les motifs avancés par [elles] pour condamner le requérant étaient pertinents et suffisants » (§ 25). Ces éléments, combinés à la peine prononcée (2 000 € d’amende avec sursis et 1 500 € in solidum de dommages et intérêts), conduisent la Cour à conclure que « la condamnation du requérant pour complicité de diffamation publique et la sanction qui lui a été infligée n’étaient pas disproportionnées aux buts légitimes visés » (§ 27). Sa requête est donc déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement.