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Condamnation du formalisme excessif : la Cour de cassation dans les pas de la CEDH

En faisant prévaloir dans la procédure de retour immédiat engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le principe de l’obligation, pour le ministère public, qui avait un rôle central et particulier en la matière, de remettre sa déclaration d’appel par voie électronique, ce qui a eu pour effet de rendre irrecevables les prétentions tendant au retour des enfants, formées par l’appelant incident, la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif.

1. L’attendu de principe rapporté au chapô est celui d’un arrêt, publié, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 avril 2023 et non celui d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ses termes sont pourtant inspirés par – pour ne pas dire calqués sur – une décision récente de la Cour européenne, à savoir celle du 9 juin 2022 (devenue définitive le 9 sept. suivant), à savoir l’arrêt Lucas c/ France (CEDH 9 juin 2022, n° 15567/2, Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. C. Bléry ; ibid. 13 juill. 2022, J. Jourdan-Marques ; Lexbase hebdo privé n° 327, 8 juill. 2022, obs. M. Dochy ; Gaz. Pal. 26 juill. 2022, p. 34, obs. S. Amrani-Mekki).

Le 5 avril 2023, la Cour de cassation reprend la condamnation du formalisme excessif induit par une application stricte des règles relatives à la communication par voie électronique, l’arrêt s’inscrivant tout autant dans la lignée de l’arrêt Henrioud c/ France (CEDH 5 nov. 2015, n° 21444/11, D. 2016. 1245 , note G. Bolard ; Procédures 2016. Comm. 15, obs. N. Fricero) d’ailleurs mentionné par la première chambre civile dans son arrêt. Il atteste de la difficulté à trouver une ligne de partage entre l’excès de formalisme, condamnable, et le formalisme, qui se veut une protection des justiciables ; il témoigne du risque d’insécurité qui résulte de la mise en balance d’intérêts antagonistes – ici le droit substantiel et la procédure civile.

2. Un couple a trois enfants, tous encore mineurs. Alors que la famille s’est installée à l’Île Maurice en décembre 2014, la mère – partie avec les enfants en France fin 2019, s’oppose à leur retour à l’Île Maurice.

Début 2020, le père saisit l’autorité centrale de l’Île Maurice en vue d’obtenir le retour immédiat des enfants, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

À l’été 2020, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Amiens saisit, à cette fin, le juge aux affaires familiales. Le père intervient volontairement à l’instance.

Par ordonnance de référé du 10 juillet 2020, le juge aux affaires familiales constate que le non-retour des enfants à l’Île Maurice est illicite ; pour autant, il rejette la demande de retour, au motif qu’il existait un risque grave que celui-ci ne les expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne les place dans une situation intolérable.

Le ministère public interjette appel de cette ordonnance : la déclaration d’appel est effectuée sur papier, faute qu’il soit parvenu à la transmettre par voie électronique. De son côté, le père forme un appel incident.

La cour d’appel déclare la déclaration d’appel irrecevable et, par voie de conséquence, n’examine pas l’appel incident du père. Selon la cour d’Amiens, la déclaration d’appel papier est irrecevable car l’échec de la transmission par voie électronique est dû, non pas à une cause étrangère autorisant le retour au papier, mais à une « erreur du ministère public sur le type d’adresse mel accepté par le RPVA ».

Le père se pourvoit en cassation par un moyen divisé en deux branches : la première invoque une violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, l’arrêt constituant une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

La première chambre civile, d’abord, réfute les critiques de la mère quant à la recevabilité du pourvoi : le père a bien intérêt à se pourvoir et son moyen est de pur droit ; ensuite, casse l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens et renvoie les parties devant la cour d’appel de Rouen.

Vu l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, les articles 6 et 7 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et l’article 1210-4 du code de procédure civile :

13. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.
14. En application des deuxièmes, les autorités centrales instituées par la convention doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants. En particulier, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour immédiat de l’enfant.
15. Selon le troisième, l’autorité centrale désignée dans le cadre des instruments internationaux et européens relatifs au déplacement illicite international d’enfants transmet au procureur de la République près le tribunal judiciaire territorialement compétent la demande de retour dont elle est saisie. Lorsque la demande concerne un enfant déplacé ou retenu en France, le procureur de la République peut, notamment, saisir le juge compétent pour qu’il ordonne les mesures provisoires prévues par la loi ou introduire une procédure judiciaire afin d’obtenir le retour de l’enfant.
16. Le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même
17. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Henrioud c/ France du 5 novembre 2015 (n° 21444/11), a retenu qu’au vu des conséquences entraînées par l’irrecevabilité du pourvoi provoqué du père, tenant essentiellement à l’irrecevabilité du pourvoi principal due à une négligence du procureur qui avait un rôle central et particulier dans la procédure de retour immédiat des enfants sur le fondement de la Convention de La Haye, le père s’était vu imposer une charge disproportionnée qui rompait le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d’autre part, le droit d’accès au juge. En effet, le requérant n’avait pu voir examiner par la Cour de cassation l’argument principal soulevé, à savoir qu’il n’existait aucun élément susceptible de constituer une exception au retour immédiat des enfants au sens de l’article 13 a) de la Convention de La Haye, alors que la procédure de retour d’enfants est susceptible d’avoir des conséquences très graves et délicates pour les personnes concernées.
18. Pour déclarer irrecevable l’appel du ministère public formé contre l’ordonnance de référé du 31 juillet 2020, l’arrêt, après avoir énoncé qu’il résulte des dispositions de l’article 2...

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