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Condamné à onze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse

La défense a plaidé un homme sous emprise et humilié, espérant une peine inférieure aux douze ans de réclusion criminelle requis jeudi matin.

par Pierre-Antoine Souchardle 21 février 2020

Après trois heures de délibéré, la cour d’assises du Val-de-Marne a condamné, jeudi 20 février, Serge D… à onze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse, le 1er août 2016, et modification d’une scène de crime. Dans la matinée, l’avocate générale avait requis douze ans contre cet ancien postier.

Un homme peut-il être sous l’emprise d’une femme, accepter les humiliations, les injures, les coups, sans jamais partir ? Ce fut la question centrale du procès de Serge D…, homme docile, effacé à l’extrême, incapable de poser des mots pour expliquer son acte criminel.

Un dossier en apparence simple puisque l’accusé a reconnu les faits. « La complexité est ailleurs, dans la compréhension de ce geste irréparable qui aurait pu être évité », a relevé l’avocate générale dans un réquisitoire intelligent et sensible.

« Il faut avoir l’humilité d’admettre que nous ne saurons pas tout de l’intimité de ce couple qui avait un fonctionnement pathologique », admet-elle. Une couple où « il y a une dominante », Élisabeth, et « un dominé », Serge. Les témoignages du dossier convergent pour dire qu’elle est une épouse dure, méchante, qu’elle ne supportait plus son mari. Réduit au rang du « mobilier », selon les mots d’un enquêteur. Au fil des ans, Élisabeth est devenue un tyran domestique. Sans que cela soit « le monstre » ou « la furie » évoqué par l’accusé, souligne l’avocate générale.

À ce procès, il n’y avait pas de partie civile. Pas de membre de la famille de la victime. Encore moins son fils, pris dans un conflit de loyauté entre la mémoire de sa mère et de la compassion pour son père. C’est donc le ministère public qui a brossé un portrait, forcément imparfait, d’Élisabeth, morte à 66 ans. Une femme pleine de contradictions, gaie, drôle, intelligente mais malheureuse et frustrée. Une mère aimante. Une femme débordant d’énergie, supportant mal la contradiction. « Un excès d’énergie qui éteignait un peu plus monsieur ».

« Comment expliquer la passivité de M. D…. Il se laisse faire depuis le début », s’interroge l’avocate générale. Qu’il ne porte pas plainte, elle peut le comprendre. La honte et la peur. « Mais pourquoi n’est-il pas parti ? » À la barre, avec ses mots simples, Serge D… a expliqué être resté par devoir. Il avait juré fidélité lors de ses vœux de mariage.

Alors l’emprise ? Le ministère public n’y croit pas. « Ce n’est pas quelqu’un qui vit dans la peur et la terreur ». Plutôt une relation de dépendance. Il reste car elle le rassure, le canalise. « Par sa passivité, il a participé à son malheur conjugal. C’est cette passivité qui va le mener à ce passage criminel ». Car le contexte de brimades et de violences « ne peut en aucun cas justifier ce qui est arrivé ».

La mort d’Élisabeth survient après une énième provocation de sa part, explique l’avocate générale. Serge bricole dans le jardin, un cutter dans sa poche arrière. La lame était-elle rentrée, comme le soutient l’accusation, ou sortie, comme l’affirme l’accusé ? C’est l’explosion brutale de colère. Son geste est « celui d’un meurtrier ». Il sait, dit-elle, « qu’il va la tuer ».

Les multiples coups sont portés à la gorge. Selon le médecin légiste, la scène a duré entre vingt secondes et une minute. Difficile de les dénombrer tant la zone est lacérée. Les quatrième et cinquième vertèbres cervicales sont touchées. « Il a frappé à un endroit vital, il est déterminé. Il ne s’arrête pas au premier coup, au sang qui coule. Il la met par terre, il lui maintient la tête et la frappe. »

Il s’est « acharné jusqu’à anéantir Élisabeth. » La mort de sa femme est « l’épilogue tragique de ce couple mal assorti qui vivait ensemble depuis trente ans ». Alors, la juste peine, l’avocate générale la situe à douze ans de réclusion criminelle. Ce qui signifie un retour en prison. Et l’accusé, qui la regarde, acquiesce de la tête.

« Si c’était une femme, dirait-on que par sa passivité elle a participé à son propre malheur ? Ne vous avisez pas de dire de l’accusé ce que vous ne diriez pas pour une femme », réplique, en défense, Me Laure Heinich-Luijer, dans une plaidoirie enflammée. Difficile de défendre un homme soupçonné d’en faire trop ou pas assez, dont la souffrance est sujette à caution.

Les brimades, les violences, « on ne vient pas vous dire que c’est une excuse », plaide-t-elle. « Il n’est pas doué pour parler. Je ne crois pas qu’il la noircisse », répond-elle à l’avocate générale. Oui, Serge D… était un homme sous la domination de sa femme. C’est, à entendre l’avocate, ce qui dérange dans ce dossier, car « la société aime les hommes virils ».

« L’emprise n’a rien à voir avec le genre. » Il y a les humiliations, les coups, le huis clos, l’éloignement de la famille. Serge D… n’est pas un homme dominé par sa peur, mais un homme dominé par les humiliations, avance l’avocate. « Après trente ans d’humiliation, il devient personne. Et quand on devient personne, on ne part pas. La société aime les hommes virils. »

Pourquoi n’est-il pas parti ? « Il faisait partie du mobilier. Et quand on est un meuble, c’est difficile de partir », souffle l’avocate. De là à dire qu’il est l’artisan de son propre malheur, non, rétorque l’avocate qui demande à la cour de ne pas le renvoyer en prison.

À l’énoncé de la peine, Serge D… est allé chercher le gros sac qu’il avait préparé, a salué ses deux sœurs et son beau-frère et s’en est allé, docile et résigné, entre deux policiers. Docile et résigné, à l’image de sa vie.