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Condition de la renonciation à l’immunité d’exécution des États : abandon d’une « doctrine isolée »

L’objectif de cohérence et de sécurité juridique impose de revenir à la jurisprudence antérieure, confortée par la loi nouvelle n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 non applicable au présent litige, qui subordonne la validité de la renonciation par un État étranger à l’immunité d’exécution de ses missions diplomatiques à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale. Est donc abandonnée la doctrine isolée résultant de l’arrêt de la 1re chambre civile du 13 mai 2015.

par Guillaume Payanle 24 janvier 2018

Bénéficiant d’une très large diffusion et appelé à être abondamment commenté, le présent arrêt relatif aux conditions de la renonciation de l’immunité d’exécution des États retient l’attention tant par la solution qu’il consacre que par le raisonnement suivi pour y parvenir.

Dans cette affaire, la république du Congo s’était engagée auprès d’une société à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution. En exécution d’une sentence arbitrale prononcée en décembre 2000 sous l’égide de la Chambre de commerce internationale, cette société créancière a donc fait pratiquer, dans un établissement bancaire, une saisie-attribution de comptes ouverts au nom de la mission diplomatique à Paris de la république du Congo et de sa délégation auprès de l’UNESCO. La mainlevée de cette saisie est pourtant ordonnée par la cour d’appel de Versailles dans un arrêt confirmatif prononcé en novembre 2012, au motif que, selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale. Or, en l’espèce, la renonciation opérée par la république du Congo, dans une lettre d’engagement signée par le ministre des finances, n’était nullement spéciale (la république du Congo y renonce expressément à se prévaloir de son immunité d’exécution à l’égard de la société créancière sur l’ensemble des biens susceptibles d’en bénéficier, qu’ils soient ou non affectés à l’accomplissement d’une mission diplomatique). Saisie du pourvoi formé par la société créancière, la première chambre civile casse et annule cet arrêt d’appel en jugeant que les règles du droit international coutumier n’exigent « pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution » des États (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-17.751, Bull. civ. I, n° 107 ; Dalloz actualité, 29 mai 2015, obs. F. Mélin , note S. Bollée ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2015. 652, note H. Muir Watt ; Gaz. Pal. 5 sept. 2015, n° 248, p. 11, obs. C. Brenner ; JCP 2015. 759, note M. Laazouzi ; JDI n°1, 2016, 4, note S. El Sawah et P. Leboulanger) et, ce faisant, opère une rupture avec la jurisprudence antérieure (v. par ex. Civ. 1re, 5 mars 2014, n° 12-22.406, Dalloz actualité, 19 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1466, obs. A. Leborgne ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ). Les parties sont alors renvoyées devant la cour d’appel de Paris, laquelle déclare régulières les saisies pratiquées par la société créancière, en faisant sienne la justification figurant dans l’arrêt de cassation. Or c’est précisément le fait de s’être conformée à la « doctrine de l’arrêt qui l’avait saisie » qui est reproché à la cour d’appel de renvoi ! En effet, de nouveau saisie pour connaître de cette affaire, dans son arrêt du 10 janvier 2018, la première chambre civile annule sans renvoi l’arrêt attaqué de la cour d’appel de Paris prononcé le 30 juin 2016, au visa des articles 22 et 25 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et les règles du droit international coutumier relatives à l’immunité d’exécution des États, ensemble les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution.

En application des possibilités offertes par l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire, estimant que l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie, les hauts magistrats cassent donc l’arrêt attaqué et statuent au fond, après en avoir avisé les parties et les avoir invitées à présenter leurs observations (C. pr. civ., art. 1015). À cet égard, après avoir indiqué que les titulaires des comptes visés par la saisie sont soit l’ambassade de la république du Congo en France, soit la délégation permanente de cet État auprès de l’UNESCO, la Cour de cassation juge que « la présomption d’affectation à l’accomplissement des fonctions de ces missions diplomatiques est confortée par l’intitulé de ces comptes et que, alors qu’il le lui incombait, le créancier n’a pas rapporté la preuve contraire devant aucune des juridictions saisies ». Par voie de conséquence, la décision d’ordonner la mainlevée de la saisie est confirmée.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour de cassation retient ainsi la solution suivant laquelle la renonciation à l’immunité d’exécution de ses missions diplomatiques, par un État étranger, est subordonnée « à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale ».

Par son originalité, la motivation avancée au soutien de cette solution appelle quelques observations. Dans un souci de cohérence et de lisibilité, les hauts magistrats y mettent en perspective la jurisprudence relative à la portée de l’immunité d’exécution, en prenant appui sur l’évolution législative récente opérée en ce domaine, au risque de contourner la portée des règles traditionnelles d’application de la loi dans le temps. Plus précisément, la Cour de cassation prend tout d’abord le soin de rappeler que le code des procédures civiles d’exécution s’est enrichi des articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3, dont la rédaction est issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (JO n° 287, 10 déc., texte n° 2). Rappelant que ces articles imposent que la renonciation d’un État étranger à son immunité d’exécution soit expresse et spéciale pour être valable, elle poursuit en soulignant que ces nouvelles dispositions législatives « contredisent la doctrine isolée résultant de l’arrêt du 13 mai 2015, mais consacrent la jurisprudence antérieure (Civ. 1re, 28 sept. 2011, n° 09-72.057, Bull. civ. I, n° 153 ; Dalloz actualité, 3 nov. 2011, obs. C. Tahri ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2012. 124, note H. Gaudemet-Tallon ; 28 mars 2013, nos 10-25.938 et 11-10.450, Bull. civ. I, nos 62 et 63 ; Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet , note D. Martel ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2013. 671, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ) ». Ensuite, la Cour de cassation concède que ces dispositions concernent les seules mesures d’exécution mises en œuvre postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi et qu’en conséquence, elles ne trouvent pas application dans le présent litige. Cependant, elle ajoute aussitôt que, « compte tenu de l’impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires, l’objectif de cohérence et de sécurité juridique impose de revenir à la jurisprudence confortée par la loi nouvelle ».

Il est permis de souligner la pédagogie avec laquelle la Cour de cassation explique l’interprétation qu’il convient désormais de faire des règles du droit international coutumier relatives à l’immunité d’exécution des États. De plus, la poursuite de l’objectif de cohérence et de sécurité juridique n’est nullement critiquable en soi, quand bien même elle se traduirait par une rupture avec une jurisprudence antérieure. À ce propos, on remarque le choix des termes utilisés pour qualifier et réduire la portée de la solution privilégiée dans l’arrêt du 13 mai 2015, le tout en tentant d’atténuer l’apparente instabilité de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Cet arrêt de 2015 est présenté comme une « doctrine isolée » et non comme un revirement de jurisprudence, sur lequel la Cour serait revenue au moyen d’un nouveau revirement.

En revanche, l’utilisation de la législation nouvelle au soutien de la justification avancée dans le présent arrêt laisse davantage perplexe. On peut en effet parfaitement envisager qu’une loi nouvelle, non applicable au litige soumis à l’examen de la Cour, puisse constituer une source d’inspiration pour les hauts magistrats (à comparer avec la jurisprudence de la Cour de cassation à l’égard de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, RTD civ. 2017. 837, note H. Barbier ). Cependant, il apparaît discutable d’inclure les dispositions issues de cette loi – en l’occurrence, les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution – dans le visa de l’arrêt.