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Conditions de détention : examen global des facteurs en cas de surpopulation carcérale

En cas de surpopulation carcérale, il importe de tenir compte de la surface personnelle du détenu, et de procéder à l’examen global d’un ensemble de facteurs afin d’apprécier le caractère indigne des conditions de détention.

par Méryl Recotilletle 19 janvier 2021

D’après la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC, AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158 , note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs. , note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ), le législateur français se doit d’assurer aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité humaine afin qu’elles cessent. Le 15 décembre 2020, la chambre criminelle, se prononçait justement sur une telle problématique.

En l’espèce, un individu du centre pénitentiaire de Seysses était placé dans une cellule prévue pour deux personnes, mais occupée la plupart du temps par trois personnes. Il disposait précisément d’un espace individuel de 3,83 m2. Le mis en examen formait un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la chambre de l’instruction qui confirmait l’ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire. La cour d’appel avait en effet écarté le moyen pris des conditions indignes de détention. Dans son arrêt du 15 décembre 2020, la Cour de cassation exposait méthodiquement la façon d’examiner les conditions de détention en cas de surpopulation carcérale. Au visa de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle raisonnait en deux temps, faisant du facteur spatial le pivot de son analyse. Elle citait les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, fondamentaux en la matière, à savoir l’arrêt du 20 octobre 2016, Mursic c/ Croatie (CEDH 20 oct. 2016, n° 7334/13, AJDA 2017. 157, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ pénal 2017. 47, obs. A.-G. Robert ) et l’arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c/ France (CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15, §§ 256 et 257, AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064 , note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs. , note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré ) ; « chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d’une surface personnelle minimale au sol de 3 m2 hors installations sanitaires » : l’examen des conditions de détention varie selon que la surface personnelle est inférieure ou supérieure à 3 m2. La Cour de cassation ajoute qu’il se déduit de cette jurisprudence européenne « que l’appréciation du caractère indigne des conditions de détention en cas de surpopulation carcérale relève d’un ensemble de facteurs devant être globalement envisagés ».

Lorsque la surface personnelle est inférieure à 3 m2, il existe une « forte présomption » de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qu’il sera difficile de réfuter. En effet, seule la réunion d’un ensemble de facteurs permettra de la renverser. Les juges insistent sur la présence de « tous les facteurs », qui peuvent être regroupés en deux catégories : les conditions de réduction de l’espace personnel et la décence des conditions de détention, au sens des conditions de vie. D’une part, les limitations de l’espace personnel par rapport au minimum requis doivent être courtes, occasionnelles et mineures. Il importe que l’individu puisse circuler suffisamment en dehors de sa cellule et bénéficie et d’activités hors cellule adéquates. D’autre part, l’établissement pénitentiaire doit offrir, de manière générale, des conditions de détention décentes. Les juges vérifient la présence de tout autre élément de nature à aggraver des conditions de détention déjà mauvaises.

Lorsque la surface personnelle est supérieure à 3 m2, la Haute cour opère une sous distinction selon que l’individu est enfermé dans un espace compris entre 3 et 4 m2, ou supérieur à 4 m2. Dans l’hypothèse où le détenu dispose de plus de 4 m2 d’espace personnel, le facteur spatial paraît mis de côté. Seuls « les autres aspects de ses conditions matérielles de détention demeurent pertinents » pour apprécier le caractère adéquat de ses conditions de détention au regard de l’article 3. Dans l’autre hypothèse, qui était celle de l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de cassation a rappelé l’importance du facteur spatial tout en précisant que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en considération pour examiner le respect de l’article 3 de la Convention. Elle dressait alors une liste, visiblement non limitative. Parmi ces éléments, on trouve : « la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Concernant les installations sanitaires et l’hygiène, les détenus doivent jouir d’un accès facile à ce type d’installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité et ne pas être seulement partiellement cloisonné. La présence d’animaux nuisibles doit être combattue par les autorités pénitentiaires, par des moyens efficaces et des vérifications régulières des cellules, en particulier quant à l’état des draps et des endroits de stockage d’aliments ». En l’espèce, les juges d’appel affirmaient que la cellule disposait d’une fenêtre et que son équipement permettait de satisfaire aux besoins essentiels de la vie quotidienne. Ils avaient souligné que des moisissures étaient présentes, mais seulement sur un mur de la partie sanitaire. Le respect de l’intimité est assuré par la présence d’un drap utilisé comme rideau, mais les juges notaient que le détenu ne s’en était jamais plaint. L’argument nous paraît relativement facile, lorsqu’on connaît les difficultés des détenus à faire remonter leurs revendications. Peut-être s’était-il tout simplement résigné. La chambre de l’instruction observait ensuite qu’il était affecté aux ateliers, passait 6h30 par jour hors de sa cellule en semaine, et qu’il pouvait accéder, en outre, une heure par jour à la cour de promenade et à la bibliothèque le samedi matin, « même s’il ne paraît pas s’y rendre ». Son accès aux soins semblait effectif et l’administration apportait la preuve de ses efforts afin de remédier à la présence de nuisibles « résultant notamment du jet de détritus ». À en croire les formules des juges d’appel, il semblerait que le détenu ne sache pas apprécier ses conditions de détention… (v. a contrario, Nouméa, 8 oct. 2020, n° CHI 2020/0036, AJ pénal 2020. 597, note B. David ).

Pour la Haute cour, la chambre de l’instruction, qui a appliqué les principes et normes définis par la CEDH, en a exactement déduit que les conditions de détention de l’intéressé n’étaient pas indignes. L’arrêt étonne peu eu égard à la jurisprudence récente de la chambre criminelle (Crim. 25 nov. 2020, n° 20-84.886, D. 2020. 2347 ; Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. S. Fucini ; 19 août 2020, n° 20-82.171, D. 2020. 1622 ; Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. M. Recotillet) mais il est décevant par rapport à sa décision du 8 juillet 2020 (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, Dalloz actualité, 31 aout 2020, obs. C. Margaine ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774 , note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; AJ fam. 2020. 498, obs. Léa Mary ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ). En outre, on peut regretter que cette appréciation « globale » devienne la norme en ce qui concerne l’appréciation de la violation d’un droit fondamental. En effet, ces termes rappellent l’examen de « l’équité globale » de la procédure énoncée dans l’arrêt Beuze c/ Belgique (CEDH 9 nov. 2018, n° 71409/10, § 136, Dalloz actualité, 22 nov. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2019. 30, note E. Clément ; RSC 2019. 174, obs. D. Roets ) pour apprécier la violation du droit à l’assistance d’un conseil. Or, il est à craindre que le respect de la dignité protégé par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme perde en force, à l’instar du droit à l’avocat.