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Conditions de détention à Fresnes : l’administration ne souhaite pas rendre des comptes

L’OIP a présenté, lundi 11 février, un référé mesures utiles au tribunal administratif de Melun, pour connaître l’état d’avancement dans la mise en œuvre des mesures ordonnées par le même juge il y a deux ans, dans le cadre d’un référé-liberté.

par Julien Mucchiellile 13 février 2019

Après avoir saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun de deux référés-liberté, afin d’obtenir que des mesures soient prises pour garantir le respect de la dignité des personnes détenues à la maison d’arrêt de Fresnes, dit l’avocat de l’OIP, le même juge était saisi, lundi 11 février, d’un référé mesures utiles, afin qu’il soit enjoint à l’administration de dire à l’OIP, partie à la procédure, où elle en est de l’exécution des injonctions formulées dans les deux ordonnances, rendues respectivement le 6 octobre 2016 et le 28 avril 2017. « On engage cette procédure car deux ans après, on ne sait pas ce qu’il en est de la réalisation des travaux et aménagements ordonnés par les juges. Visiblement, l’administration ne souhaite pas nous rendre des comptes, alors que nous sommes partie à la procédure », déplore Nicolas Ferran, juriste à l’OIP et présent à l’audience à laquelle nous n’avons pas assisté.

Ces injonctions sont au nombre de onze. Elles ordonnent notamment d’améliorer l’accès au travail des détenus ainsi que l’hygiène des cellules, d’aménager les cours de promenade, de rendre les parloirs plus propres. Hélas, depuis deux ans, l’OIP peine à connaître les actions de l’administration en ce sens.

Déjà, par cinq courriers au directeur de la maison d’arrêt, écrits entre le 25 octobre 2016 et le 30 mars 2017, l’OIP s’était enquis des actions engagées pour assurer l’exécution de l’ordonnance du 6 octobre 2016 prescrivant le renforcement de la lutte contre les nuisibles. L’administration n’avait pas répondu. Dans un courrier du 17 mars 2017, envoyé probablement par erreur à l’OIP qui n’en était pas destinataire, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, monsieur Ridel, indiquait d’ailleurs très clairement au directeur de l’administration pénitentiaire qu’il n’entendait pas répondre aux demandes d’informations de l’association. C’est à la suite d’un avis favorable de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), saisie par l’OIP, qu’un tableau de suivi des actions de lutte contre les nuisibles, menées au sein de l’établissement, fut transmis.

En revanche, l’OIP continue à se heurter à un manque de transparence de l’administration s’agissant des mesures prises pour exécuter l’ordonnance du 28 avril 2017. Là encore, cinq courriers furent envoyés entre le 15 juin 2017 et le 22 janvier 2018, restés sans réponse, à la suite de quoi la CADA fut une nouvelle fois saisie et émit là aussi un avis favorable, le 8 février 2018. Mais l’OIP a considéré que les informations étaient à la fois peu actualisées et insuffisantes, et a formulé de nouvelles demandes d’informations par écrit, restées sans réponse. « Ce mutisme de l’administration est d’autant plus problématique que, depuis le prononcé de l’ordonnance du 28 avril 2017, les conditions de détention ne se sont pas notablement améliorées à la maison d’arrêt de Fresnes alors que l’établissement reste touché par une surpopulation alarmante. L’urgence qui s’attache à la mise en œuvre complète des mesures ordonnées par le juge des référés demeure donc indiscutablement patente », estime Me Laurent Stouff, qui représente l’OIP à l’audience. Hygiène déplorable (la prison est en ruine), taux d’occupation autour de 200 %. Ce constat est unanime : il est fait par les avocats, les parlementaires, le contrôleur des prisons, le comité contre la torture. Il se trouve par ailleurs que rats et punaises pullulent, en dépit des injonctions faites dans l’ordonnance du 6 octobre. Deux détenus expliquent bloquer les espaces entre les barreaux avec des bouteilles d’eau, pour empêcher les rats de s’inviter dans leur cellule – qui tient plus du cloaque. Les conséquences sur la santé des détenus sont alarmantes (certains sont entièrement couverts de piqûres).

Concrètement, le requérant demande donc au tribunal de prescrire la communication des documents lui permettant de contrôler le respect par l’administration pénitentiaire du caractère obligatoire et exécutoire de l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de Melun le 28 avril 2017. Dans la mesure où les pièces obtenues démontreraient le maintien de conditions de détention alarmantes et contraires au respect de la dignité des personnes détenues, l’association requérante disposerait alors des éléments nécessaires pour former les recours adéquats en vue d’obtenir l’exécution des décisions de justice qu’elle a précédemment obtenues et d’engager la responsabilité de l’État pour faute en raison de leur inexécution.

Pour appuyer cette demande, l’OIP fait état des documents qui lui ont été communiqués par l’administration. Il s’agit d’un tableau, mis à jour le 18 janvier 2018, mais qui, selon l’association, ne permet pas de savoir si les mesures dont l’engagement a été programmé en 2018 ont bien été mises en œuvre. Ainsi, l’administration n’a pas confirmé à l’OIP-SF si l’équipe dédiée à la surveillance sanitaire dispose désormais d’un directeur technique hygiène et sécurité ou si les opérations de dégorgement des canalisations d’égouts du domaine pénitentiaire et d’installation d’un second compacteur ont été engagées ou sont sur le point de l’être.

Par ailleurs, un rapport de visite de l’agence régionale de santé (ARS) constatait que, « depuis juillet 2017, le prestataire [dératisation et désinsectisation] n’intervient, contre les punaises de lit, qu’une fois par semaine » contre trois fois auparavant. L’ARS écrivait également que « les résultats concernant la lutte contre les nuisibles ne sont pas encore totalement satisfaisants ». Il semblerait donc, dit l’OIP, qu’à l’opposé de ce qui avait été prescrit par le juge administratif, la lutte contre les nuisibles a été réduite. Quoi qu’il en soit, l’association requérante n’a pas de nouvelles depuis plus d’un an.

S’agissant des actions de nettoyage, l’OIP n’a eu pas de nouvelles depuis mai 2018, lorsque l’administration avait fourni des documents qui ne faisaient pas état d’une augmentation des personnels dédiés ni même d’une intensification des opérations de nettoyage. L’ARS, le 21 septembre 2017, constatait que « de nombreux détritus étaient encore présents » là où ils n’auraient pas dû l’être. L’OIP fait le constat du manque de transparence sur la question de l’hygiène, de l’accès au travail, et sur toutes les autres mesures ordonnées (en urgence) par le juge.

L’administration s’oppose à la demande, contestant d’abord que les conditions du référé mesures utiles soient remplies. La garde des Sceaux tient à rappeler que l’association ne tient d’aucune disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire un quelconque pouvoir de contrôle sur l’action de l’administration pénitentiaire qui obligerait celle-ci à la tenir informée régulièrement de l’avancée des opérations qu’elle réalise en dehors des procédures juridictionnelles. Elle rappelle qu’une procédure est en cours devant la Cour européenne des droits de l’homme (une requête individuelle d’un ancien détenu de la maison d’arrêt de Fresnes) et qu’elle sera informée, comme tout le monde et en temps voulu, de l’état d’avancement du dossier.

Il résulte de tout cela qu’il semblerait que l’administration ne fait pas grand cas des injonctions formulées par le juge, qui, le 11 février, s’est étonné de la situation et a demandé si « cela arrivait souvent », rapporte Nicolas Ferran. Il se trouve que c’est très fréquent en la matière. « En octobre 2014, le juge du référé-liberté a enjoint à l’administration une série de mesures urgentes à mettre en œuvre à la prison de Ducos, en Martinique, commente Nicolas Ferran. Or nous venons juste de récupérer des documents qui montrent que la moitié des injonctions n’a pas été exécutée ».

S’agissant de Fresnes, le juge administratif devrait rendre sa décision à la fin de la semaine.