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Conditions matérielles de détention : un recours complexe contre l’indignité

La Cour de cassation apporte des précisions vis-à-vis de l’étendue des exigences du caractère contradictoire de la procédure visant à la reconnaissance de l’indignité des conditions matérielles de détention et des modalités d’appréciation des allégations des personnes détenues. 

La notion de dignité des personnes détenues s’est positionnée comme le moteur de la normalisation du droit pénitentiaire défini, longtemps, par son caractère dérogatoire au droit commun en matière de droits et libertés fondamentaux. La prise en considération de la dignité des personnes détenues a émergé initialement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme avant d’être expressément consacrée en droit français par le biais de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (Loi n° 2009-1436, art. 22, Dalloz actualité, 26 nov. 2009, obs. S. Lavric ; C. pénit., art. L. 6). Dès lors, l’incarcération ne peut engendrer une suppression pure et simple des droits et libertés fondamentaux (hormis la liberté d’aller et de venir) ainsi qu’un renforcement des devoirs puisque la personne détenue prétend, malgré l’incarcération, au respect de sa dignité (A. Jennequin, La dignité de la personne détenue, RFDA 2015. 1082 ).

Cet impératif a pris une nouvelle tournure au début des années 2020. Par un arrêt du 8 juillet 2020 (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C. Margaine ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774 , note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 517, obs. D. Zerouki-Cottin ; RTD civ. 2021. 83, obs. P. Deumier ; Gaz. Pal. 29 sept. 2020. 12, note J.-P. Céré ; 19 août 2020, n° 20-82.171, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. M. Récotillet ; AJ pénal 2020. 478, obs. J. Falxa ; 16 sept. 2020, n° 20-82.389, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. F. Engel ; D. 2020. 1840 ; AJ pénal 2020. 535, obs. J.-P. Céré ), la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu que des conditions de détention non respectueuses de la dignité peuvent constituer un obstacle au maintien en détention : dans cet arrêt opérant un revirement de jurisprudence, la Haute juridiction acte du passage de « l’indignité réparatrice » à « l’indignité libératrice » en matière de détention provisoire (F. Engel, Les nouvelles frontières de la détention, Dalloz actualité, 9 oct. 2020 ; v. aussi, M. Giacopelli, Le raz de marée du principe de dignité, Lexbase Pénal n° 32, 19 nov. 2020 ; A. Morineau, Huit ans de bataille pour la dignité des personnes détenues, de la CEDH au Conseil constitutionnel, La Lettre juridique n° 844, 19 nov. 2020).

En 2021 (Loi n° 2021-403 du 8 avr. 2021, Dalloz actualité, 13 avr. 2021, obs. D. Goetz), le législateur français a fait un pas supplémentaire en venant consacrer expressément au sein de l’article 803-8 du code de procédure pénale une possibilité de recours destiné à faire cesser la détention d’une personne prévenue ou condamnée dans des conditions indignes. Sans préjudice de la possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, il s’agit de saisir le juge des libertés et de la détention lorsque l’intéressé est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, s’il est condamné et incarcéré en exécution d’une peine privative de liberté.

Une requête portant sur le caractère indigne des conditions de détention d’une personne condamnée est à l’origine de l’arrêt commenté. La Haute juridiction apporte des précisions tant d’un point de vue procédural que vis-à-vis des modalités d’appréciation des allégations présentées.

Précisions sur les modalités de la contradiction 

Le premier moyen est un moyen de procédure : le demandeur au pourvoi retenait que le président de la chambre d’application des peines a méconnu les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale et 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme en se prononçant sur l’appel interjeté par le ministère public sans que cet appel n’ait été porté à la connaissance du détenu ou de son avocat. Ce défaut d’information a empêché la personne détenue ou son avocat de faire valoir leurs observations.

Rappel du caractère contradictoire de la procédure 

La Cour de cassation a d’abord rappelé le caractère équitable et contradictoire de la procédure relative aux conditions de détention. En se fondant sur une jurisprudence antérieure de 2022 (Crim. 16 nov. 2022, n° 22-80.807, D. 2022. 2042 ; ibid. 2023. 421, chron. L. Ascensi, M. Fouquet, P. Mallard, L. Guerrini, B. Joly et O. Violeau ; AJ pénal 2023. 48, obs. É. Senna ), les juges ont indiqué que ces exigences sont effectivement respectées lorsque le détenu, informé de l’appel formé par le parquet, n’a pas sollicité que les éventuelles observations de l’appelant lui soient communiquées, et n’en a pas obtenu communication. L’impérative information de la personne détenue vis-à-vis du recours est ainsi mise en exergue afin qu’elle, ou son avocat, soit en mesure d’user de ses droits.

Précisions sur l’étendue de l’exigence d’information de la personne détenue 

Le principe étant posé, la Haute juridiction a relevé que l’affirmation de l’absence de connaissance de l’appel par le détenu ne saurait faire grief dès lors que le greffe du juge de l’application des peines a transmis à l’administration pénitentiaire copie de la déclaration d’appel du procureur de la République, aux fins de notification et que l’intéressé a refusé de se rendre auprès de l’agent chargé d’y procéder. En définitive, une réelle démarche positive de la personne détenue est nécessaire dans ce cadre du recours de l’article 803-8 du code de procédure pénale, ce qui questionne nécessairement sur un...

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