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La confidentialité de la médiation et ses conséquences

Le processus de médiation est protégé par un principe de confidentialité. En conséquence, le juge ne peut statuer au vu de pièces couvertes par ce principe ; il doit, au besoin d’office, les écarter des débats.

Le principe de confidentialité constitue, à n’en pas douter, l’un des piliers de la justice participative (M. Reverchon-Billot, La justice participative : naissance d’un vrai concept, RTD civ. 2021. 297 , spéc. n° 21). L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 prévoit en ce sens que « sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité ». Voilà qui permet aux parties de s’engager pleinement dans le processus de médiation en sachant que l’avis ou les constatations du médiateur ne seront pas utilisés ultérieurement à leur encontre devant une juridiction. Ce principe, que l’on pourrait qualifier de grand, concerne toute médiation, judiciaire ou conventionnelle (C. pr. civ., art. 131-14 et 1531), et même administrative (CJA, art. L. 213-2). Mais, une fois ce principe proclamé, il reste à le mettre en œuvre et à en tirer les conséquences. L’arrêt rendu le 9 juin 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation livre à cet égard quelques enseignements.

Alors qu’une médiation s’était tenue, une partie avait produit au soutien de son assignation à comparaître différentes pièces relatives à la procédure de médiation et, notamment, l’avis du médiateur. Parce que son adversaire estimait que le respect du principe de confidentialité constituait une formalité substantielle, il avait demandé que la nullité de l’assignation soit prononcée et, pour faire bonne mesure, que les pièces litigieuses soient écartées des débats. Le tribunal d’instance de Marseille a cependant rejeté l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance en l’absence de grief et a même statué au vu des pièces litigieuses. La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses. Après avoir souligné que « l’atteinte à l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l’accord de la partie adverse, soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge », elle a censuré le jugement rendu par le tribunal d’instance de Marseille.

Cet arrêt apporte quelques précisions importantes relatives au champ d’application du principe de confidentialité et au dispositif garantissant son respect.

Le champ d’application du principe de confidentialité

La lecture de l’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 pourrait laisser penser que le principe de confidentialité ne couvre pas tous les éléments échangés au cours du processus de médiation. Le texte indique en effet que seules « les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance judiciaire ou arbitrale sans l’accord des parties ». Au cours de la médiation, les parties sont invitées, voire incitées par le médiateur, à faire des concessions en vue de parvenir à un accord. Celle qui fait un pas vers son adversaire, et joue ainsi le jeu de la médiation, ne doit pas le faire avec la crainte que sa bonne volonté puisse se retourner contre elle ; les déclarations ou constatations du médiateur, dont le rôle est de rapprocher les parties, ne doivent naturellement pas davantage pouvoir être utilisées par les parties au cours d’une procédure juridictionnelle. Il en va naturellement de même des offres adressées par une partie au médiateur (Versailles, 13e ch., 26 janv. 2021, n° 19/05110). Le sceau du secret doit donc entourer le processus de médiation… Il ne fait guère de doute, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, que le principe de confidentialité avait été méconnu ; l’avis même du médiateur avait en effet été versé aux débats ; même s’il était « succinct » et se bornait à indiquer que le texte du contrat unissant les parties en litige « porte à confusion », cela importait peu ; les opinions et avis du médiateur sont couverts par le principe de confidentialité.

Il reste qu’on ne peut s’empêcher de trouver la disposition de l’article 21-3 bien étroite. Car, au cours du processus de médiation, d’autres documents peuvent naturellement être échangés par les parties, car il faut bien qu’elles éclairent le médiateur sur l’objet et les causes de leur litige. Au-delà des pièces relatives aux constatations du médiateur et aux déclarations recueillies au cours de la médiation, il est ainsi permis de se demander si toutes les pièces échangées par les parties au cours du processus ne sont pas soumises au principe de confidentialité. Le texte de l’article 21-3 n’incite pas à répondre par l’affirmative ; son esprit, pas davantage. Car la partie, qui a fait l’effort de conserver ou de recueillir des pièces et les présente, à tort ou à raison, au cours de la médiation, ne doit pas être privée du droit de les employer au cours d’une procédure juridictionnelle postérieure (comp. F. de Korodi, La confidentialité de la médiation, JCP 2012. 1320). À la rigueur, il pourrait simplement être admis que les pièces dont il lui a été remis une copie au cours du processus non juridictionnel ne puissent pas être utilisées ultérieurement, même si rien ne lui interdira d’en solliciter la production forcée…

Il reste qu’une pièce soumise au principe de confidentialité peut, dans quelques cas, être utilisée en justice : en cas de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ou encore lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution (Loi n° 95-125 du 8 févr. 1995, art. 21-3, a et b). Surtout, il ne faut pas oublier qu’un accord des parties peut toujours permettre aux parties de produire des éléments qui sont soumis au principe de confidentialité (Loi n° 95-125, art. 21-3). Sur ce point, les cours d’appel paraissent assez compréhensives en jugeant que la partie qui produit une pièce en justice ne peut, même si elle est couverte par le principe de confidentialité, s’opposer à ce qu’elle soit utilisée par son adversaire (Agen, ch. civ., sect. com., 5 juill. 2021, n° 19/01127, AJDI 2021. 593 ; ibid. 594 ;  v. égal. Pau, 1re ch., 31 mars 2015, n° 13/04006), même si, plutôt qu’un hypothétique accord tacite, un tel résultat aurait sans doute pu être obtenu en interdisant simplement à la partie de se prévaloir d’un moyen contraire à ses écritures. Dans l’arrêt commenté, aucune de ces raisons ne paraissait cependant justifier la production des pièces litigieuses en justice.

La sanction de la méconnaissance du principe de confidentialité

Il reste alors à déterminer quelle est la sanction attachée à la méconnaissance du principe de confidentialité. L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 n’en dit rien ; dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, le requérant avait non seulement soulevé une exception de nullité de l’assignation, mais également demandé au tribunal, à titre subsidiaire, d’écarter des débats les pièces litigieuses.

Il paraît assez évident que des pièces, produites en méconnaissance du principe de confidentialité, doivent être écartées des débats (v. par ex., Dijon, 2e ch. civ., 18 mars 2021, n° 20/01180 ; Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973). C’est précisément ce que juge la Cour de cassation dans l’arrêt commenté : « l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites […] soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge ». Le respect du principe de confidentialité est ainsi garanti par le pouvoir d’office du juge. Il est vrai que le juge peut assez aisément identifier certaines des pièces dont la production heurte le principe de confidentialité ; c’est ce qui explique que la Cour de cassation paraisse bel et bien obliger le juge à écarter les pièces litigieuses. En statuant au vu des pièces couvertes par le principe de confidentialité, le tribunal d’instance avait ainsi méconnu les exigences de l’article 21-3 de la loi et cela suffisait à justifier la censure du jugement rendu ; il ne pouvait en effet se borner à rejeter la demande de nullité de l’assignation.

En revanche, même si la Cour de cassation ne dit rien sur ce point, il pourrait paraître douteux que la méconnaissance du principe de confidentialité puisse conduire à la nullité de l’acte qu’accompagnent les pièces litigieuses. Certes, il existe un lien entre un acte de procédure et les pièces sur lesquels il se fonde, ce qui explique par exemple que la partie qui est privé du droit de conclure ne peut prétendre verser des pièces aux débats (Civ. 2e, 13 nov. 2015, n° 14-19.931 P, D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; AJDI 2016. 130 ) ; cependant, l’acte et les pièces ne font pas corps et un acte de procédure peut tout à fait être reçu alors que les pièces versées à son soutien sont déclarées irrecevables. Il existe toutefois une hypothèse qui peut faire difficulté : c’est celle où un acte de procédure recopie le contenu d’éléments couverts par le principe de confidentialité. Dans un tel cas de figure, la cour d’appel de Paris a pu se raccrocher à la théorie des nullités (Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973, préc.) : la méconnaissance du principe de confidentialité, érigé pour l’occasion en formalité substantielle ou d’ordre public, conduit alors à la nullité de l’acte de procédure dès lors que celui qui l’invoque établit un grief (Paris, pôle 4, ch. 9, 8 oct. 2020, n° 17/15973, préc.). La protection du principe de confidentialité serait ainsi soumise à la démonstration d’un grief, qui n’est pourtant pas exigée lorsqu’il s’agit simplement d’écarter certaines pièces des débats ; il est donc permis de penser que les éléments litigieux devraient être ôtés des débats, sans passer par la théorie des nullités…