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Confirmation d’une ordonnance de non-lieu : quelques précisions

Par cet arrêt, la chambre criminelle revient sur le rôle et les pouvoirs de la chambre de l’instruction en cas de confirmation d’une ordonnance de non-lieu. 

par Dorothée Goetzle 13 juin 2019

L’alinéa 1er de l’article 201 du code de procédure pénale précise que la chambre de l’instruction peut, dans tous les cas, à la demande du procureur général, d’une des parties, ou même d’office, ordonner tout acte d’information complémentaire qu’elle juge utile. Cette disposition de principe rappelle que la chambre de l’instruction, qu’elle soit saisie de l’entier dossier ou qu’elle ait évoqué une procédure en cours, a le devoir d’instruire et dispose des mêmes pouvoirs que le juge d’instruction pour permettre la manifestation de la vérité.

En l’espèce, deux légionnaires portent plainte par courriers adressés au procureur de la République près le tribunal de grande instance spécialisé en affaires militaires des chefs de détention arbitraire, abus d’autorité par voie de fait, outrage à subordonné et violences volontaires en réunion sans incapacité de travail. Ces infractions ont, selon eux, été commises à l’occasion de l’exécution de jours d’arrêts prononcés à leur encontre par l’autorité militaire. À l’appui de leur plainte, ils produisent des clichés photographiques des locaux d’arrêts au sein du régiment, surnommés « la Taule », pour dénoncer les conditions d’hébergement et les abus de la police militaire chargée de la garde des personnes placées aux arrêts. N’ayant pas été entendus par les services d’enquête, ils portent plainte et se constituent parties civiles auprès du doyen des juges d’instruction. Après avoir formé une demande d’avis auprès du ministre de la Défense, le procureur de la République ouvre par réquisitoire introductif contre personnes non dénommées, une information des chefs d’abus d’autorité par voie de fait et outrages à subordonné, de violences volontaires en réunion sans incapacité et de conditions de travail et d’hébergement contraire à la dignité de la personne. Après avoir entendu les parties civiles, fait procéder à l’audition de trente-neuf militaires et placé sous le statut de témoin assisté le chef de la police militaire, le juge d’instruction prononce un non-lieu duquel les parties civiles interjettent appel.

Or, la chambre de l’instruction confirme l’ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction. En effet, pour les seconds juges, les locaux militaires d’arrêts n’entrent pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal. Ils en concluent que les faits dénoncés relatifs aux conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité de la personne ne peuvent, dans cette circonstance, admettre aucune qualification pénale. Concernant ensuite les délits de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail commis en réunion et de violences sur un subordonné visés dans la plainte, la chambre de l’instruction constate qu’aucune des parties civiles ne mentionne les violences physiques dont elle a été victime. À propos du délit d’atteinte à la liberté individuelle visé dans les constitutions de partie civile, la chambre de l’instruction relève que ce délit, au demeurant non soutenu dans le mémoire, n’apparaît pas être constitué. En effet, les locaux d’arrêts étaient ouverts et la limitation des sorties, qui est le propre des arrêts, résultait des contrôles et de l’auto-discipline du militaire. Enfin, au sujet du délit d’outrage à un subordonné, la chambre de l’instruction approuve les premiers juges d’avoir considéré que cette infraction n’était pas caractérisée en l’espèce.

Dans leur pourvoi en cassation, les parties civiles soulignent que dans l’article 225-14 du code pénal, qui incrimine les conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne, le législateur n’a pas exclu les cas d’hébergement forcés résultant de la décision d’une autorité légitime. Ce faisant, les requérants considèrent que la chambre de l’instruction ne pouvait pas distinguer là où la loi ne le fait pas. Les parties civiles relèvent ensuite que constituent des violences les humiliations et brimades dénoncées, ayant consisté à être privé du port des insignes correspondant au grade, à porter un couvre-chef particulier distinctif du statut de puni, à être appelé publiquement « puni » suivi du nom de famille à la place du grade et à subir des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité (par ex. absence de portes complètes dans les toilettes). En outre, pour les parties civiles, le fait d’appeler un légionnaire « puni » suivi du nom de famille à la place du garde constitue un outrage. Enfin, les parties civiles soulignent que la confrontation des parties est un élément constitutif du procès équitable. Ce faisant, pour eux, un non-lieu ne peut pas être prononcé en l’absence de confrontation entre la partie civile et l’auteur des faits qu’elle dénonce, sauf si cette mesure n’est pas utile à la manifestation de la vérité. En d’autres termes, les parties civiles reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir confirmé l’ordonnance de non-lieu sans faire droit à leur demande de confrontation, ce qui les a privé, selon elles, de la possibilité de faire vérifier par un juge leur version des faits. A ce propos, il faut souligner que c’est par le supplément d’information que la chambre de l’instruction exerce ses pouvoirs destinés à vérifier si les conditions de l’exercice de l’action publique sont satisfaites à l’égard de toutes les infractions résultant du dossier de la procédure, et à l’encontre de tout auteur, coauteur ou complice.

La chambre criminelle rejette le pourvoi.

D’abord, elle approuve la chambre de l’instruction d’avoir considéré que les faits dénoncés, consistant dans les modalités d’exécution d’une sanction disciplinaire régulièrement prononcée contre des militaires par une autorité légitime, n’entraient pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal. Pour les Hauts magistrats, cet article ne s’applique qu’à la fourniture d’un logement, moyennant contrepartie, à des personnes qui se trouvent en état de vulnérabilité ou de dépendance, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Ensuite, elle constate que les seconds juges ont répondu, par une motivation exempte d’insuffisance comme de contradiction, aux articulations essentielles du mémoire déposé par les parties civiles. Ce faisant, les griefs avancés par les requérants reviennent uniquement à remettre en cause des éléments de preuve contradictoirement débattus. Enfin, – et c’est l’aspect le plus intéressant de l’arrêt – la chambre criminelle souligne que l’opportunité d’ordonner un supplément d’information est une question de fait relevant de l’appréciation souveraine de la chambre de l’instruction qui échappe à son contrôle, dès lors qu’il a été répondu, comme c’était le cas en l’espèce, sans insuffisance ni contradiction aux articulations essentielles du mémoire. 

Logique, le rejet de ce pourvoi s’explique par une jurisprudence constante et connue selon laquelle il appartient aux juges d’ordonner les mesures d’instruction dont ils reconnaissent eux-mêmes la nécessité (Crim. 27 sept. 2016, n° 15-85.248, AJ pénal 2016. 599, obs. C. Girault ; RSC 2016. 757, obs. Y. Mayaud ) ou les mesures d’information qu’ils estiment nécessaires à la manifestation de la vérité (Crim. 4 nov. 2014, n° 13-86.478). La décision d’ordonner un supplément d’information relève donc de l’appréciation souveraine des juges du fond, la chambre criminelle considérant de façon constante – cet arrêt en est une nouvelle illustration - qu’il s’agit d’une question de pur fait (Crim. 22 mars 1960, D. 1960. 689 ; 9 févr. 1961, Bull. crim. n° 86 ; 19 mars 2002, n° 01-84.551 ; 4 mai 2011, n° 10-82.945 ; 11 oct. 2011, n° 10-87.989 ; 3 janv. 2012, n° 11-81.845 ; 5 nov. 2014, n° 13-84.881).