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Confirmation tacite d’un contrat conclu hors établissement : important revirement de jurisprudence

Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2024, la première chambre civile revire sa jurisprudence sur la reproduction lisible des dispositions du code de la consommation concernant les contrats conclus hors établissement. La solution abandonne la position antérieure sur la confirmation tacite du contrat pour en revenir à une orientation plus favorable à la protection du consommateur.

Parmi les arrêts rédigés en motivation dite enrichie, certains se distinguent plus que d’autres par leur importance. On peut citer, à titre d’exemple, la très récente décision d’assemblée plénière sur le droit à la preuve ayant opéré un revirement crucial de jurisprudence en matière de preuve déloyale présentée devant une juridiction civile (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 B+R, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 15 ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ). Les arrêts ayant abandonné la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation concernant la rétractation du promettant dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente en sont une autre illustration (v. Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, D. 2021. 1574 , note L. Molina ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 226 , obs. F. Cohet ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier ; ibid. 934, obs. P. Théry ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514, Dalloz actualité, 17 nov. 2012, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2021. 1919 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 384 , obs. F. Cohet ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2022. 112, obs. H. Barbier ; Com. 15 mars 2023, n° 21-20.399 F-B, Dalloz actualité, 21 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 985 , note S. Tisseyre ; ibid. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2023. 517, note G. Pillet ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. O. Salati ; RTD civ. 2023. 345, obs. H. Barbier ).

Le 24 janvier 2024, la première chambre civile a publié une nouvelle décision en motivation enrichie qui inclut, cette fois-ci, une citation de références à des arrêts rendus par les juges du fond afin d’asseoir son revirement de jurisprudence. Le procédé ne passera donc pas inaperçu et intéressera les spécialistes de la rédaction d’une justice de cassation en pleine évolution. Toutefois, c’est peut-être sur le pan du droit de la consommation que les intérêts pratiques du revirement seront les plus importants.

La thématique qui intéresse cet arrêt passionnant est, en effet, celle des contrats dits hors établissement (anciennement démarchage) dont on connaît les enjeux pécuniaires importants et les évolutions successives (v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 191 n° 130) Cette matière fait l’objet d’une actualité mouvementée ces derniers mois (v. par ex. ces dernières semaines, CJUE 21 déc. 2023, BMW BANK, aff. C-38/21, C-47/21 et C-232/21, Dalloz actualité, 10 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 6 ; Civ. 1re, 20 déc. 2023, n° 21-16.491 FS-B, Dalloz actualité, 11 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 5 ; 20 déc. 2023, n° 22-13.014 FS-B, Dalloz actualité, 24 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 5 ; 20 déc. 2023, n° 22-14.020 FS-B, Dalloz actualité, 25 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 4 ).

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 janvier 2024 n’est pas forcément très originale. Elle débute par un contrat conclu hors établissement en date du 7 avril 2016, et donc antérieur à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (l’information aura de l’importance), ayant pour objet, comme bien souvent, la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques. Lesdits panneaux sont financés par un crédit souscrit également à cette date auprès d’un établissement bancaire. Le consommateur se plaint d’irrégularités du bon de commande et décide donc d’assigner le vendeur et la banque en annulation du contrat principal. Le professionnel estime, toutefois, que son cocontractant a confirmé le contrat en s’exécutant volontairement et en ayant connaissance du vice affectant le formalisme de la convention passée par la reproduction au verso de dispositions utiles du code de la consommation. La cour d’appel saisie du litige considère qu’il ne ressortait d’aucun élément aux débats que le consommateur avait eu conscience des vices affectant le bon de commande au moment de la souscription du contrat ou de son exécution. Par conséquent, elle juge que l’acte était entaché de nullité et qu’aucune confirmation ne pouvait être caractérisée en l’espèce. Le professionnel vendeur et installateur des panneaux se pourvoit en cassation en avançant notamment que l’appréhension par les juges du fond des conditions de la confirmation tacite du contrat conclu hors établissement n’était pas la bonne.

Revirant sa jurisprudence, la première chambre civile rejette le pourvoi et décide désormais que « la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d’avoir une connaissance effective du vice résultant de l’inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat, en l’absence de circonstances, qu’il appartient au juge de relever, permettant de justifier d’une telle connaissance et pouvant résulter, en particulier, de l’envoi par le professionnel d’une demande de confirmation, conformément aux dispositions de l’article 1183 du code civil, dans sa rédaction issue l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable, en vertu de l’article 9 de cette ordonnance, aux contrats conclus dès son entrée en vigueur. » (pt n° 13).

C’est une solution majeure pour le droit de la consommation que les praticiens devront rapidement intérioriser afin d’éviter des contentieux longs et coûteux aux résultats vains.

Une originalité évidente de rédaction même au mode enrichi

Un premier point qui suscite l’intérêt immédiatement dans la lecture de la décision commentée reste sa rédaction qui, même à l’heure d’une motivation augmentée, peut intriguer. Les paragraphes nos 6 à 15 sont rédigés en la forme dite enrichie sans nul doute. À en lire le guide de ce mode de rédaction mis en ligne sur le site internet de la Cour de cassation, ceci est tout à fait normal en pareille situation car la première chambre civile opère un revirement de jurisprudence sur la question (p.11, n° 11 du guide). Son style de rédaction est donc différent de celui simplement développé en faisant apparaître notamment les « maillons intermédiaires » (p. 8, n° 1 du guide) du raisonnement suivi par les juges de la Cour de cassation.

Deux éléments originaux intrigueront, en revanche, le lecteur de l’arrêt du 24 janvier sans nul doute.

• La premier réside dans la référence abondante à des décisions rendues par les juges du fond. Le point n° 10 comporte pas moins de quinze arrêts rendus par diverses cours d’appel (dont celle ayant rendu l’arrêt frappé du pourvoi, Douai, mais égal. Riom, Agen, Metz, Lyon, Nancy, Paris, Bordeaux, Rouen, Toulouse et Versailles). Cette façon de procéder reste, encore aujourd’hui, excessivement rare (v. par ex., Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042, Dalloz actualité, 7 oct. 2022, obs. E. Supiot ; D. 2022. 2134 , note M. Barba et G. Millerioux ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 807, obs. J.-C....

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