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Conflit conjugal et djihad : un père condamné à 10 ans de prison pour avoir enlevé sa fille en Syrie

La 16e chambre correctionnelle de Paris a condamné Hamza M., ce mardi 6 mars, à dix ans d’emprisonnement, pour association de malfaiteur terroriste. Il avait enlevé sa fille en 2013, avec qui il avait passé dix mois en Syrie, sur zone de combat. Récit d’audience.

par Julien Mucchiellile 7 mars 2018

Hamza M., père affligé et musulman radicalisé, a enlevé sa fille de 18 mois, Assia, le 17 octobre 2013. Ils sont partis d’abord en Turquie, puis en Syrie au mois de décembre, à l’issue de problèmes de couple, d’un conflit qui l’opposait à la mère de l’enfant, Meriam R.. « Il y a un conflit conjugal, analyse la procureur, auquel se superpose une volonté de participer au djihad en Syrie. Un conflit conjugal qui trouve son expression dans ce départ ». Un frère d’Hamza M. pense : « En réalité, il a kidnappé la petite pour récupérer la mère ». Il est resté « sur zone (de combat) » dix mois et vingt jours, avec sa fille, avant de rentrer en Turquie en septembre 2014, où il sera placé en centre de rétention, expulsé et mis en examen en France, pour association de malfaiteur terroriste et soustraction de mineurs, faits pour lesquels il a été jugé ces 5 et 6 mars devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Pour reconstituer le processus qui a conduit à cet extrême, et a plongé la mère dans un état d’angoisse et de désarroi tel qu’elle avait, à l’époque, alerté les médias, appelé toutes les autorités pour attirer l’attention sur son cas, le tribunal entreprend d’interroger l’ex couple de manière simultanée. Elle, partie civile à la barre, lui, prévenu dans le box. Ils font connaissance sur un site de rencontres en 2008, à l’âge de 19 ans, s’installent « chez madame », dans la région lyonnaise et se marient en 2011. Hamza M. est religieux, pratiquant, mais « c’était dans l’intime, pas dans l’ostentation, il était ouvert d’esprit », témoigne la jeune femme à la barre. Hamza M. fait le pèlerinage à la Mecque, le voyage dure une quarantaine de jours, il revient barbu et « empli de sagesse », témoigne Meriam R. Assia naît en avril 2012. Les problèmes existent déjà dans le couple.

Avant, Hamza « draguait des filles sur internet », et désormais, il montre des signes de radicalisation. « Il était dans une espèce de concours avec les autres pour montrer qu’il était un “bon musulman”», une débauche de signes ostentatoires et de propos que l’on peut qualifier de « radicaux », la violence mise à part, sur le rôle de la femme et l’éducation de leur fille. Il fréquente à ce moment Chafik Asri, le référent lyonnais du groupuscule islamiste Forsane Alizza (Asri et la plupart des responsables du groupes furent condamnés par la même chambre correctionnelle en juillet 2014). Ils discutent pratique religieuse et tenue vestimentaire, et même si Asri lui paraît très radicalisé (« J’étais très choqué par ce qu’il me disait »), il adhère petit à petit à la face extrémiste de sa religion – avec son ami Aboubacar N. –, avec qui il partira en Syrie.

Le kidnapping

Meriam R., déjà, craint l’attitude de son mari. Elle a confié le passeport d’Assia à sa mère. Le mari voulait voir le passeport de sa fille. C’est la dispute du 19 juillet 2012, qui entérine une séparation de fait entre les deux époux. Ils retournent vivre chez leurs parents, la fillette avec sa mère, chez la belle-mère d’icelle près de la Suisse. Le père voit sa fille quand il le peut mais les relations sont mauvaises avec sa belle-famille. Les tentatives de rabibochage avec sa femme échouent. Il craint que Meriam et ses parents le privent petit à petit de sa fille, alors un jour, il entreprend de refaire le passeport d’Assia, pour partir avec elle. Il fait une fausse déclaration de perte du passeport le 23 septembre 2013, obtient un nouveau passeport le 2 octobre. « Ça faisait combien de temps que vous aviez ce projet ? », demande le président. « Quelque semaines, pas plus. J’ai craqué, j’étais en relation avec mon frère Mohamed, installé en Turquie, je lui disais que la famille de ma femme me faisait galérer. Il m’a proposé de le rejoindre. »

Le 14 octobre 2013, Hamza M. récupère Assia auprès de sa belle-mère. Il doit la rendre le soir même, mais appelle Meriam pour lui dire qu’il la rendra le lendemain, pour la fête de l’Aïd. Mais le 15, au téléphone, il lui annonce qu’il part quelque semaines à Perpignan avec sa fille. En réalité, il est en route pour la Turquie. La mère part à la gendarmerie de Bourg-en-Bresse, qui lui indique qu’il n’a pas lieu de s’inquiéter, la petite est avec son père. Le 20 octobre, Hamza M. la contacte par Skype, et laisse un message dans lequel il tient des propos très virulents envers la France et la démocratie, « incompatibles avec la religion », mais c’est trop tard, il est en Turquie, chez son frère, Mohamed Ali M. qui s’est installé à Antalya l’année passée.

Hamza M. est avec son ami Aboubacar N. En décembre, son frère part en Syrie. Il lui envoie des vidéos, le convainc de venir. Le président tente de comprendre :

« Votre frère vous disait quoi ?

– Il me disait de venir.

– Où, pour faire quoi ?

– Juste être sur zone.

– Il y faisait quoi, votre frère ?

– À ce moment-là, il faisait rien. Il me disait juste de venir pour aider le peuple syrien.

– Vous pensiez aider de quelle manière ?

– À ce moment-là, je pensais juste à être au côté du peuple syrien. »

« Vous étiez au courant pour la doctrine de votre groupe ? – C’était radical, mais pas au point d’exterminer l’humanité »

Hamza M. exprime tout cela avec une certaine apathie. Il passe en Syrie, avec Aboubacar N. (qui rejoindra l’EI), et la cousine d’Oumar D., qui dirige un groupe affilié au groupe Jahbat al-Nosra, alors affilié à Al-Qaïda. « On traverse la frontière, on arrive dans des champs, de nuit, en camion, puis on traverse un lac, et on arrive. On nous interroge, on nous répartie. Au départ, nous étions un groupe d’une quarantaine de personne ». Le président demande : « Vous faisiez quoi ? – Rien de spécial. On ne faisait rien. »

Il appelle Meriam. Les écoutes ont révélé des milliers d’appels, jusqu’à 318 en une seule journée, a recensé l’avocate du prévenu. Sur une écoute, il dit : « Je suis l’émir des familles ». Aujourd’hui, depuis son box : « J’ai grossi les choses, je tenais juste la caisse. » « On voit clairement qu’il se met en avant, il s’attribue un rôle plus important que son frère », ce qui est peu crédible.

Le président lui demande : «Vous étiez au courant pour la doctrine de votre groupe ? – C’était radical, mais pas au point d’exterminer l’humanité. Ils parlaient avant tout de la défense du peuple syrien. C’est qu’après que j’ai vu que leur intention changeait, que c’était plus pour combattre et faire du butin. »

Il se trouve que l’accusation reproche à Hamza M. d’avoir eu un lien avec les combats en Syrie, au moins par intention, tandis que le prévenu soutient n’avoir été qu’un petit de l’intendance, qui ne s’occupait que de sa fille, et se préoccupait de retrouver sa femme. Mais pour cela, pour l’inciter à venir, dans une démarche de chantage, il fait miroiter à Meriam qu’il va désormais se battre, que ça y est, il s’est entraîné, et que cette fois-ci, il va affronter l’ennemi. Aujourd’hui, le prévenu affirme : « C’était pour lui faire peur, je n’étais pas moi-même, j’étais encore dans la séparation. » Il s’anime, il s’agite : « Je voulais qu’elle vienne, j’étais prêt à tout lui sortir, j’étais incohérent. » Il lui disait qu’il faisait des entraînements mais, aujourd’hui et durant l’instruction dit qu’il n’en faisait pas.

Meriam R. entretient la flamme : « J’ai essayé tous les moyens pour gagner du temps, pour qu’on le localise, au début, et ensuite pour le convaincre de revenir, mais jamais je n’ai envisagé de le rejoindre. » La défense relève que cela pouvait, dans l’esprit du prévenu, entretenir une illusion. « Est-ce que vous pensiez qu’elle pouvait vous rejoindre ? - Oui, jusqu’au bout, je nous considérais toujours en couple, encore en phase de réparation », affirme le prévenu. Il va jusqu’à lui faire croire que leur fille a été grièvement blessée dans un attentat : « Laisse-moi au moins voir ses yeux », le supplie alors la mère. « J’en ai très très honte aujourd’hui, mais à l’époque, je n’y pensais pas », explique le père.

Sur place, il se marie à deux femmes. « Je ne les aimais pas, c’est Oumar D. qui me les a présentées. » En fait, tout ce que Hamza M. a prétendu avoir fait n’était qu’une stratégie pour récupérer sa femme, dit-il, et tous les propos radicaux qu’il a tenus auprès de jeunes françaises radicalisées, ce sont des discours qu’il entendait, et transposait, comme une propagande, dans les conversations qu’il avait sur Facebook. Il « draguait » certes beaucoup, sur internet. « Vous avez dit “Quiconque renie le terrorisme fait partie de l’islam est un mécréant”, qu’est-ce que c’est que ça ? C’est de la drague peut-être ? », s’agace le président. « C’est très très grave ce que j’ai dit, je ne trouve pas les mots. » Il tient aussi beaucoup de propos presque ridicules, comme un amoureux qui recherche l’attention de sa dulcinée. Sauf que la dulcinée cherche à se rendre sur une zone djihadiste, et que l’amoureux est présent sur cette zone, tout près de la ville d’Alep.

« La personne que vous voyez devant vous n’est ni un terroriste, ni un djihadiste »

Après dix mois, Hamza M. finit par rentrer de Syrie en Turquie. « Les gens là-bas ne comprenaient rien à leur religion, c’était une secte, mon frère était devenu quelqu’un de mauvais », dit-il. Me Versini, en partie civile, raconte la suite : « Meriam m’a dit : “je pars en Turquie”, elle est allée dans des commissariats qui l’ont éconduit, et finalement l’un d’eux accepte de prendre la situation en main. Mais Hamza. M. et Assia vont être expulsés vers la Syrie. » C’est une intervention des autorités françaises qui empêche cette expulsion. Le 3 septembre 2014, Assia revient en France avec sa mère. Quelques semaines plus tard, Hamza est expulsé de Turquie, interpellé par la DCRI et mis en examen.

La procureure a mis bout à bout les éléments à charge : les écoutes dans lesquelles le prévenu reproduit un discours extrémiste, sa présence sur zone, dans un groupe notoirement connu. Elle demande la peine maximum, dix ans avec une peine de sûreté des deux tiers. En défense, Me Mauger-Poliak tente de recontextualiser les écoutes très volumineuses pour démontrer que les intentions de son client sont surtout celles d’un père désespéré que celles d’un terroriste en puissance. Elle met en avant son parcours carcéral, sa participation à un groupe de déradicalisation, à des groupes de discussion et de réinsertion. Hamza a des commentaires positifs de la part des conseils d’insertion. Il est retourné en régime de détention « classique » « Et puis, si vous le condamnez au maximum, quelle peine donneriez-vous à ceux qui adhèrent vraiment à l’idéologie de Daech ? » Le prévenu a le dernier mot : « Je voudrais m’excuser envers la mère de ma fille, je sais que ça ne va rien changer, mais je sais qu’elle a beaucoup souffert. Peu importe la peine que vous allez prononcer, ce qui me fait le plus de mal, c’est la privation de ma fille. L’Islam que je pratique aujourd’hui est un Islam de paix. Je ne fais pas de prosélytisme. La personne que vous voyez devant vous n’est ni un terroriste, ni un djihadiste. »

Hamza M. est condamné à dix ans d’emprisonnement assorti d’une peine de sûreté de cinq ans.