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Le conjoint indésirable, l’affectio societatis et la renonciation tacite

La Cour de cassation précise que l’affectio societatis n’est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d’associé sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil. En outre et surtout, elle juge que la renonciation à ce droit par l’époux peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, sa volonté de renoncer.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 septembre 2022 est important (V. aussi Lettre Creda-Sociétés n° 2022-14 du 5 oct. 2022, note G. Le Noach). D’abord, parce qu’il précise le rôle que joue l’affectio societatis au stade de la revendication de la qualité d’associé par un époux commun en biens, en application de l’article 1832-2 du code civil. Ensuite, parce qu’il juge que l’époux commun en biens peut renoncer tacitement à ce droit de revendiquer la qualité d’associé. Sa publication au bulletin est donc doublement justifiée.

En l’espèce, deux personnes s’étaient mariées en 1970, sans contrat. Le 16 juin 2007, le mari revendiquait la qualité d’associé auprès de la SARL dont son épouse était gérante et associée, et consécutivement sollicitait la communication des comptes sociaux pour certains exercices. La consultation de l’arrêt d’appel nous apprend que la SARL avait été constituée par l’épouse en 1990 et que c’est durant la procédure de divorce, introduite par l’époux en 2006, que ce dernier avait revendiqué la qualité d’associé (Aix-en-Provence, 29 août 2019, n° 18/16573).

Pour bien comprendre l’arrêt, il faut revenir sur le mécanisme de l’article 1832-2 du code civil, qui est propre aux sociétés dont les parts ne sont pas négociables (al. 4) et concerne, pour l’essentiel, les sociétés civiles, SNC, SARL et SCS. Ce texte prévoit qu’en cas de participation à la constitution d’une société, à la souscription à une augmentation de capital ou à l’achat de parts sociales par l’un des époux avec des biens communs, seul ce dernier, ayant dûment averti son conjoint sous peine de nullité de l’opération (al. 1), devient associé (al. 2) ; l’autre disposant alors de la faculté de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts (al. 3). Son intention doit être notifiée à la société, soit concomitamment à l’opération, sans qu’un agrément puisse lui être opposé (c’est donc en bloc que l’agrément est donné ou refusé), soit postérieurement, et un agrément peut lui être opposé, à la condition que l’hypothèse de la revendication soit expressément visée par la clause (à l’exception notable des SNC, v. Com. 18 nov. 2020, n° 18-21.797, D. 2020. 2342 ; Rev. sociétés 2021. 185, note E. Naudin ; RTD com. 2021. 155, obs. A. Lecourt ; Dr. sociétés 2021, comm. n° 3, note R. Mortier). À défaut, le conjoint peut, jusqu’au prononcé du divorce passé en force de chose jugée, exercer cette faculté (Com. 18 nov. 1997, n° 95-16.371 P, Flaugnatti c/ Technibat (Sté), D. 1998. 394 , obs. J.-C. Hallouin ; ibid. 1999. 238, obs. V. Brémond ; RTD civ. 1998. 889, obs. J. Hauser ; BJS 1998. 221, note J. Derruppé ; 14 mai 2013, n° 12-18.103 P, D. 2013. 1270 ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2013. 375, obs. J.-F. Desbuquois ; RTD com. 2013. 527, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; BJS 2013. 453, note E. Naudin), sauf, selon une pratique répandue, à s’être assuré de sa renonciation expresse par son intervention à l’acte.

Dans notre affaire, la cour d’appel avait fait droit à la revendication de la qualité d’associé de l’époux, rejetant l’ensemble des arguments de la SARL, qui forme un pourvoi. Parmi les questions discutées devant la Cour de cassation, on ne traite pas celle de savoir si les articles 223 et 1421 du code civil paralysent le mécanisme de la revendication, au nom de l’autonomie professionnelle de l’autre époux, lorsque les parts sociales acquises par ce dernier sont nécessaires à l’exercice de sa profession (J. Revel, Droit des sociétés et régime matrimonial : préséance et discrétion, D. 1993. 34 ; F. Vialla, Autonomie professionnelle en régime communautaire et droit des sociétés : des conflits d’intérêts ?, RTD...

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