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La connaissance du jugement et la computation du délai pour agir en retranchement d’un chef de dispositif

L’action tendant à ce que le juge, qui a statué au-delà de ce qui lui était demandé, retranche certains chefs de dispositif peut être exercée pendant un an à compter du jour où le jugement passe en force de chose jugée (C. pr. civ., art. 463 et 464). Mais, et c’est là l’originalité de la présente décision, la Cour de cassation tente de concilier ces règles avec celle prévoyant que la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée. Sans remettre en cause le délai d’un an, prévu par l’article 463 du code de procédure civile, la haute juridiction a vérifié que, à compter de la notification du jugement, la partie avait pu effectivement exercer son recours.

Le bon sens, mais aussi les exigences tirées du droit à un procès équitable, conduit assez naturellement à considérer qu’un délai ne peut courir à l’encontre d’une personne tant qu’elle n’est pas en mesure d’exercer le droit ou de former le recours qui en fait l’objet. Les dispositions, législatives ou réglementaires, sont généralement assez respectueuses de cette idée : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (C. civ., art. 2224) ; le délai pour exercer un recours court généralement « à compter de la notification du jugement » (C. pr. civ., art. 528), notification qui permet de tenir pour acquise, tant par le destinataire que par l’expéditeur, la connaissance de l’acte du juge (v. sur cette question, S. Jobert, L’organisation de la connaissance actes du procès civil. Étude sur un modèle en mutation, préf. P. Théry, LGDJ, 2019). Mais il arrive, finalement de manière assez exceptionnelle, que la loi fasse courir un délai recours à compter d’un autre événement que la notification du jugement : son prononcé, son passage en force de chose jugée… C’est le cas de l’action visant à ce que le juge, qui a statué sur des choses qui ne lui étaient pas demandées, retranche certains chefs de dispositif de sa décision. L’arrêt rendu le 8 décembre 2022, qui fait l’objet du présent commentaire, met en lumière les difficultés inhérentes à la computation d’un tel délai qui, même si ce n’est pas systématique, peut courir en l’absence de toute notification du jugement.

Le 4 février 2020, la cour d’appel de Paris a été saisie d’une demande visant à ce qu’elle retranche certains chefs du dispositif d’un arrêt qu’elle avait rendu le 6 novembre 2018, car elle y aurait accordé davantage que ce qui lui était demandé par les parties. La cour d’appel de Paris, appliquant mécaniquement et rigoureusement les règles contenues dans le code de procédure civile, a déclaré la requête irrecevable (Paris, 20 oct. 2020, n° 20/02876). Car lorsqu’un juge se prononce sur des choses qui n’étaient pas demandées ou accorde davantage qu’il lui était demandé, la requête tendant à ce qu’il retranche les chefs de dispositif litigieux ne peut être formée au-delà du délai d’un an après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité (C. pr. civ., art. 463 et 464). L’arrêt rendu contradictoirement le 6 novembre 2018, parce qu’il ne pouvait faire l’objet que de voies de recours extraordinaires qui ne sont pas suspensives d’exécution (C. pr. civ., art. 527 et 579), était passé en force de chose jugée le jour même de son prononcé (C. pr. civ., art. 500 ; v. appliquant ce raisonnement, Soc. 12 janv. 1993, n° 89-41.344 P, RTD civ. 1993. 889, obs. R. Perrot ) ; la requête avait, par conséquent, été formalisée au-delà du délai d’un an...

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