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Consécration de l’autonomie des préjudices d’attente et d’angoisse de mort imminente

Le préjudice d’attente des proches et le préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe sont des préjudices spécifiques qui doivent être réparés de manière autonome. 

La réparation du dommage corporel est subordonnée au respect de grands principes qui régissent, plus largement, le droit de la responsabilité civile, notamment l’exigence d’une réparation intégrale du préjudice. Constamment réaffirmé par la jurisprudence depuis 1954 (Civ. 2e, 28 oct. 1954, JCP 1955. II. 8765, note Savatier), ce principe, dont les projets de réforme proposent la consécration (proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, 29 juill. 2020, art. 1258 ; déjà, projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017, art. 1258), requiert l’absence de perte ou de profit pour la victime après indemnisation, ce qui suppose de déterminer avec précision les préjudices subis par cette dernière. L’identification des préjudices indemnisables est une source particulière de difficulté dans le domaine corporel car un dommage unique est la source de multiples préjudices pour la victime (S. Rouxel, Recherche sur la distinction du dommage et du préjudice en droit privé français, thèse, Grenoble II, 1994 ; M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, L’évaluation du préjudice corporel, 21e éd., LexisNexis, 2018, p. 31 ; cette distinction pourrait être prochainement consacrée par le législateur ; v. proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, 29 juill. 2020, art. 1235). Pourtant longtemps pratiquée par les juges (Civ. 1re, 16 juill. 1991, n° 90-10.843 ; CE 2 févr. 1996, n° 146769, Lebon ), l’octroi d’une indemnisation « toutes causes de préjudices confondus » a définitivement été remise en cause par la loi du 21 décembre 2006, imposant un recours poste par poste des tiers payeurs. Même si elle n’a pas de valeur normative formelle (M. Bacache, La nomenclature : une norme ?, GP 27 déc. 2011, n° 361, p. 7 ; M. Robineau, Le statut normatif de la nomenclature Dintilhac, JCP 2010. 612), la nomenclature issue des travaux de la commission présidée par M. Jean-Pierre Dintilhac en 2005 – dite nomenclature Dintilhac – est désormais consacrée par la Cour de cassation et s’est imposée comme une référence pour tous les acteurs de la réparation du dommage corporel (avocats, assureurs). Bien qu’il ait d’abord opté pour une nomenclature moins détaillée (six postes de préjudices au lieu de vingt-neuf) issue de son avis Lagier du 4 juin 2007, le Conseil d’État reconnaît, depuis 2013, la faculté pour le juge administratif de l’utiliser (CE 7 oct. 2013, n° 337851, Lebon ; AJDA 2014. 295 , note T. Leleu ; ibid. 2013. 1942 ; D. 2014. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2014. 131, obs. P. Jourdain , reconnaissant la possibilité d’appliquer la nomenclature Dintilhac ; 16 déc. 2013, n° 346575, Lebon ; AJDA 2014. 524 , concl. F. Lambolez ; D. 2014. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; RFDA 2014. 317, note C. Lantero ; 28 mai 2014, n° 351237, D. 2014. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon , appliquant directement ladite nomenclature pour la première fois).

Comme l’indique expressément ladite nomenclature, il s’agit seulement « d’une liste indicative – une sorte de guide – susceptible au besoin de s’enrichir de nouveaux postes de préjudices qui viendraient alors s’agréger à la trame initiale » (J.-P. Dintilhac [dir.], Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juill. 2005, p. 4). Il est donc possible de prendre en compte des préjudices supplémentaires, dès lors que ces derniers n’ont pas déjà été indemnisés au titre d’un poste prévu dans la nomenclature. La double indemnisation d’un même préjudice violerait, à défaut, le principe de réparation intégrale. Malgré le silence de la nomenclature à leur sujet, le préjudice d’angoisse de mort imminente des victimes directes, d’une part, et le préjudice d’attente de leurs proches, d’autre part, ont ainsi été indemnisés dans un certain nombre de décisions, tant en matière d’accidents collectifs (not. TGI Saint-Nazaire, 11 févr. 2008, n° 377/2008, confirmé par Rennes, 2 juill. 2009, n° 08/02152 pour l’effondrement de la passerelle du Queen Mary II ; T. corr. Thonon-les-Bains, 26 juin 2013, n° 683/2013 pour la catastrophe d’Allinges – collision entre un TER et un car scolaire –, D. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout  ; Aix-en-Provence, 30 juin 2016, n° 15/16199 pour le crash du Yemenia Airways), que d’événements individuels (pour le préjudice d’attente des proches, v. par ex. Paris, 19 sept. 2019 retenant un « préjudice temporaire d’attente et d’inquiétude » qui « ne se confond pas avec le préjudice d’affection » ; Dijon, 2 mars 2021, admettant l’indemnisation au titre de la « situation d’attente et d’inquiétude » et précisant que « ce poste de préjudice, qui prend naissance avant l’annonce du décès, ne peut donc se confondre avec le préjudice moral consécutif à ce dernier » ; pour le préjudice d’angoisse de mort imminente, v. par ex. Crim. 23 oct. 2012, n° 11-83.770 concernant un accident de la circulation, D. 2012. 2659 ; ibid. 2013. 1993, obs. J. Pradel ; ibid. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; AJ pénal 2012. 657, obs. P. de Combles de Nayves ; RTD civ. 2013. 125, obs. P. Jourdain ). Les attentats survenus en France en 2015 et en 2016 (attentats à Paris visant Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, puis le Bataclan et le Stade de France le 13 novembre 2015, suivis de l’attentat de Nice le 14 juillet 2016) ont donné une importante visibilité à cette question. Un livre blanc sur les préjudices subis lors des attentats a été rédigé par un collectif d’avocats de victimes du barreau de Paris à la fin de l’année 2016. Cette initiative a conduit la...

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