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Consécration du premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France »

Le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution l’obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer un ressortissant étranger dont l’entrée en France a été refusée, et consacre à cette occasion le premier principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

L’obligation faite aux entreprises de transport aérien de procéder au réacheminement de tout étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui s’est vu refuser l’entrée sur le territoire français n’est ni nouvelle, ni issue du droit national. Elle trouve son origine, historiquement, au sein de la convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944, et a été instaurée par l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985. Depuis, cette obligation a été reprise et précisée par la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen.

Cette directive, qui « s’inscrit dans un dispositif d’ensemble de maîtrise des flux migratoires et de lutte contre l’immigration illégale », impose aux États membres de prendre « les dispositions nécessaires pour s’assurer que l’obligation des transporteurs de réacheminer les ressortissants de pays tiers » soit effective.

Depuis 2016, l’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (transféré à droit constant, depuis le 1er mai 2021, à l’art. L. 333-3 du même code par l’effet de l’ord. n° 2020-1733 du 16 déc. 2020), vise à assurer la transposition de cette directive. Il prévoit ainsi que « Lorsque l’entrée en France est refusée à un étranger, l’entreprise de transport aérien ou maritime qui l’a acheminé est tenue de le ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise ». Le 1° de l’article L. 625-7 du CESEDA, devenu depuis l’article L. 821-10, a instauré une amende administrative d’un montant maximal de 30 000 € pour toute compagnie aérienne qui ne respecterait pas cette obligation.

Sur la base de ce régime, la société Air France est régulièrement sanctionnée par le ministère de l’intérieur au paiement de l’amende. Ainsi en 2017, l’État a infligé à la société Air France deux amendes d’un montant total de 35 000 € pour avoir manqué à son obligation de réacheminer deux passagers de nationalité étrangère qu’elle avait débarqués sur le territoire français, alors qu’ils avaient fait l’objet d’une décision de refus d’entrée sur le territoire français.

La société Air France a contesté la légalité de ces deux amendes devant le Conseil d’État. À l’occasion de ces recours, la société a présenté une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’encontre des dispositions législatives du CESEDA qui transposent l’obligation de réacheminement et prévoient la sanction applicable.

Au soutien de sa QPC, la société Air France faisait notamment valoir que les dispositions législatives incriminées « lui imposeraient de maintenir sous la contrainte un étranger dans l’avion afin de le réacheminer, la conduisant à exercer, directement ou via les agents d’une société de sécurité privée recrutés afin d’assurer la sécurité et le bon ordre à bord de l’aéronef en cas de réacheminement, des prérogatives de souveraineté et de police réservées à l’État par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ».

Par une décision du 9 juillet 2021 (n° 450480), le Conseil d’État a décidé de transmettre la question à l’examen du Conseil constitutionnel .

Le contrôle de la loi transposant une directive européenne

La société Air France reprochait notamment aux dispositions attaquées d’obliger les entreprises de transport aérien à réacheminer les personnes étrangères auxquelles l’accès au territoire national a été refusé, le cas échéant en exerçant des contraintes physiques, dans les cas notamment où la personne refuserait d’embarquer ou de débarquer de l’avion, ayant pour effet de déléguer à une personne privée des compétences de police. Il était également reproché à ces dispositions de méconnaître le droit à la sûreté, le principe de responsabilité personnelle ainsi que l’égalité devant les charges publiques.

En vertu de l’article 88-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se déclare de longue date incompétent pour contrôler la conformité d’une loi de transposition, lorsque celle-ci se borne à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises d’une directive européenne (Cons. const. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, AJDA 2004. 1534 , note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray , note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199 , note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales ; 29 juill. 2004, n° 2004-499 DC, Ayrault, D. 2005. 1132 ; ibid. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2005. 465, étude P. Cassia ), y compris dans le cadre d’une QPC (Cons. const. 17 déc. 2010, n° 2010-79 QPC, AJDA 2011. 638 ; RFDA 2011. 353, étude G. Eveillard ; Constitutions 2011. 53, obs. A. Levade ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ). En effet, dans cette hypothèse, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel par le juge interne, de contrôler le respect par la norme européenne qui est transposée des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne.

En application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel constate que les dispositions contestées visent à assurer la transposition de la directive du 28 juin 2001, et se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises de cette directive. Il se déclare donc incompétent pour contrôle la conformité des dispositions contestées au regard du droit à la sûreté, et du principe d’égalité devant les charges publiques, qui sont des principes protégés par l’ordre juridique européen et qu’il appartient au juge...

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