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Le Conseil constitutionnel censure plusieurs dispositions du projet de loi Justice

par M.Ble 22 mars 2019

Le Conseil constitutionnel a rendu, hier, ses décisions relative au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et sur le projet de loi organique relative au renforcement de l’organisation des juridictions (v. Dalloz actualité, 27 févr. 2019, art. P. Januel isset(node/194700) ? node/194700 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194700). Pour le premier, une non conformité partielle et des réserves ont été prononcées. Pour le second texte, le Conseil constitutionnel juge le projet de loi conforme à la Constitution, tout en émettant une réserve.

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, s’est « félicitée » hier que le Conseil constitutionnel ait validé « l’essentiel des très nombreuses dispositions » des projets de loi. « Forte de la validation du projet de loi par le Conseil constitutionnel, la garde des Sceaux, ministre de la Justice va maintenant s’engager dans une mise en œuvre rapide de cette loi en faveur des justiciables », a-t-elle conclu dans un communiqué.

Dalloz actualité reviendra précisément sur les volets pénal et civil de la décision dans une prochaine édition.

Volet pénal

La réforme par ordonnance de la justice pénale des mineurs est validée, ainsi que la création du parquet national antiterroriste ou encore les mesures d’emprisonnement fermer.

Il a en revanche censuré :

- les paragraphes II, III et IV de l’article 44 modifiant les conditions dans lesquelles il peut être recouru, dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, à des interceptions de correspondances émises par la voie de communications électroniques. « Le législateur a autorisé le recours à des mesures d’interception de correspondances émises par voie de communications électroniques pour des infractions ne présentant pas nécessairement un caractère de particulière gravité et complexité, sans assortir ce recours des garanties permettant un contrôle suffisant par le juge du maintien du caractère nécessaire et proportionné de ces mesures durant leur déroulé. Le législateur n’a donc pas opéré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances ».

- les dispositions du 2° du paragraphe III de l’article 46 autorisant le recours à des techniques spéciales d’enquête, dans le cadre d’une enquête de flagrance ou préliminaire, pour tout crime, et non pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées. Le Conseil constitutionnel estime que « le juge n’a pas accès aux procès-verbaux réalisés dans le cadre de l’enquête en cours autres que ceux dressés en exécution de sa décision et il n’est pas informé du déroulé de l’enquête en ce qui concerne les investigations autres que les actes accomplis en exécution de sa décision. Par ce motif notamment, le Conseil juge que le législateur n’a pas opéré une conciliation équilibrée entre, d’un côté, l’objectif de recherche des auteurs d’infractions et, de l’autre, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile ».

- le paragraphe III de l’article 49 du code de procédure pénale permettant au procureur de la République d’autoriser les agents chargés de procéder à la comparution d’une personne à pénétrer dans un domicile après six heures et avant vingt-et-une heures. « Compte tenu du champ de l’autorisation contestée et de l’absence d’autorisation d’un magistrat du siège, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d’infractions et le droit à l’inviolabilité du domicile ».

- le 3° du paragraphe X de l’article 54, supprimant l’obligation de l’accord de l’intéressé pour le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle s’agissant des débats relatifs à la prolongation d’une mesure de détention provisoire.
« Dès lors, eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, le Conseil juge que les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense ».

Le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation :

- concernant la validation de dispositions de l’article 58 de la loi étendant le champ d’application de l’amende forfaitaire délictuelle. « Dès lors que le législateur a prévu que le montant de l’amende forfaitaire délictuelle ne saurait excéder le plafond des amendes contraventionnelles, a été écarté le grief tiré de la méconnaissance de ce dernier principe ».

Volet civil

Le Conseil constitutionnel a notamment validé :

- « l’article 3 de la loi déférée, visant à développer les modes de règlement alternatifs des différends, en subordonnant à une tentative de règlement amiable préalable la recevabilité de certaines demandes en matière civile. […] Il a toutefois assorti la validation de cet article d’une réserve d’interprétation selon laquelle, s’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours contentieux, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent ».

- la plupart des dispositions de l’article 33, modifiant les règles de publicité des décisions de justice, en matière administrative et judiciaire.

- l’article 95 substituant aux tribunaux d’instance et de grande instance les tribunaux judiciaires et l’article 106 organisant une expérimentation relative aux fonctions d’animation et de coordination attribuées à certains chefs de cour d’appel et à la spécialisation de cours d’appel en matière civile.

- « Le Conseil constitutionnel a par ailleurs, pour la première fois, déduit des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 un principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives. Il juge qu’il est loisible au législateur d’apporter à ce principe des limitations liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l’intérêt général ou tenant à la nature de l’instance ou aux spécificités de la procédure, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

Au cas présent, si le législateur a prévu, en matière gracieuse et dans les matières relatives à l’état et à la capacité des personnes ou intéressant la vie privée déterminées par décret, que les débats ont lieu en chambre du conseil et que les jugements ne sont pas prononcés publiquement, sans que le juge ne dispose d’un pouvoir d’appréciation sur l’un ou l’autre de ces points, il n’en résulte, compte tenu de la nature des matières en cause ou des enjeux particuliers qu’elles présentent au regard de l’intimité et de la vie privée des personnes, aucune méconnaissance du principe de publicité des audiences ni d’aucune autre exigence constitutionnelle ».

Le Conseil constitutionnel censure :

- le 2° du paragraphe V de l’article 33, selon lequel, « lorsque les débats ont eu lieu en chambre du conseil pour des motifs tenant à un risque d’atteinte à l’intimité de la vie privée, à une demande de toutes les parties ou à des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice, les tiers sont privés de plein droit de la communication de l’intégralité du jugement, dont la copie est alors limitée au dispositif. Il juge que, en raison de sa généralité et de son caractère obligatoire, cette restriction apportée par les dispositions contestées n’est pas limitée aux cas où elle serait justifiée, notamment, par la protection du droit au respect de la vie privée. Dès lors, ces dispositions méconnaissent les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

- l’article 7 de la loi, qui confie aux caisses d’allocations familiales, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la délivrance de titres exécutoires portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. « Il a relevé que ces caisses sont des personnes privées en charge d’une mission de service public. Or, les dispositions contestées leur donnent compétence pour réviser le montant des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants qui ont fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire ou d’une convention homologuée par elle. De plus, en application du code de la sécurité sociale, elles sont tenues de verser l’allocation de soutien familial en cas de défaillance du parent débiteur de la contribution pour l’entretien et l’éducation des enfants et peuvent être ainsi intéressées à la détermination du montant des contributions. Pour ces raisons, et alors même que les décisions de révision prises par les caisses pourraient faire l’objet d’un recours devant le juge aux affaires familiales, le Conseil constitutionnel juge que législateur a autorisé une personne privée en charge d’un service public à modifier des décisions judiciaires sans assortir ce pouvoir de garanties suffisantes au regard des exigences d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

Projet de loi organique

Le texte est validé, une seule réserve est posée. Sur l’article 5 :

« L’article 5 modifie l’article 41-11 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. D’une part, il tire les conséquences rédactionnelles de la substitution des tribunaux judiciaires aux tribunaux d’instance et de grande instance. D’autre part, il prévoit, au dernier alinéa de cet article 41-11, que, lorsqu’ils exercent les fonctions de juge des contentieux de la protection ou de juge chargé de connaître des compétences matérielles dévolues aux chambres de proximité, les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent exercer plus du tiers du service du tribunal ou de la chambre de proximité dans lesquels ils sont affectés.

Les fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer leur vie professionnelle à la carrière judiciaire. La Constitution ne fait cependant pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n’entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, à condition que, dans cette hypothèse, des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d’indépendance qui est indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires. Il importe à cette fin que les intéressés soient soumis aux droits et obligations applicables à l’ensemble des magistrats sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu’impose l’exercice à titre temporaire de leurs fonctions.

Les dispositions du dernier alinéa de l’article 41-11 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ne sauraient, sans méconnaître le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, être interprétées comme permettant qu’au sein d’un tribunal plus d’un tiers des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées par des magistrats recrutés provisoirement, que ce soit à temps partiel ou à temps complet. Sous cette réserve, l’article 5 est conforme à la Constitution ».