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Le Conseil d’État sonne le glas du burkini dans les piscines de Grenoble

Le gestionnaire d’un service public ne peut pas procéder à des adaptations tenant compte des convictions religieuses de certains usagers qui, par leur caractère fortement dérogatoire, rendraient plus difficile le respect des règles de droit commun par ses autres usagers.

par Donia Necible 27 juin 2022

Le juge des référés du Conseil d’État a confirmé, le 21 juin, la suspension de l’article 10 du règlement des piscines de Grenoble en tant qu’il autorise l’usage de « tenues de bains non près du corps moins longues que la mi-cuisse ».

Une décision saluée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui l’a qualifiée sur les réseaux sociaux de « victoire pour la loi Séparatisme, pour la laïcité et au-delà ». Ce litige a, en effet, inauguré le nouveau déféré-laïcité, issu de la loi confortant les principes de la République. Le recours avait été introduit, en l’espèce, par le préfet de l’Isère sur instruction de la place Beauvau au lendemain de l’adoption de la délibération polémique par la commune de Grenoble (v. TA Grenoble, 25 mai 2022, n° 2203163, Dalloz actualité, 3 juin 2022, obs. D. Necib ; AJDA 2022. 1126 ; AJCT 2022. 289, tribune F. Benchendikh ).

Lors de l’audience publique qui s’est tenue le 14 juin à la suite de l’appel formé par la commune, son maire,  Éric Piolle, se défendait encore pourtant d’avoir autorisé le burkini. « Nous levons une interdiction » ; « nous ne sommes pas là pour répondre à une demande particulière », a-t-il affirmé. Le débat s’était égaré autour d’arguments tenants aux règles d’hygiène et de sécurité ou de l’interdiction discriminatoire du port du short avant que le président Chantepy ne finisse par soulever la question des conséquences à tirer d’une méconnaissance de la jurisrudence Commune de Chalon-sur-Saône sur l’adaptation du service public (v., à propos des menus de substitution dans les cantines scolaires, CE 11 déc. 2020, n° 426483, Dalloz actualité, 18 déc. 2020, obs. E. Maupin ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2021. 461, concl. L. Cytermann ; ibid. 2020. 2464 ; AJCT 2021. 157, obs. H. Bouillon ). La portée à accorder au principe consacré en 2004 par la commission Stasi d’« accomodement raisonnable » avait été explicitement évoquée. Si la commune invoquait l’absence d’obligation de neutralité pesant sur les usagers du service public, la préfecture alertait sur le risque pesant sur l’ordre public.

L’adaptation s’arrête là où elle devient « fortement dérogatoire »

La haute juridiction, commence par rappeler, dans le droit fil de sa jurisprudence de 2020 articulée avec celle du Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, Traité établissant une constitution pour l’Europe, AJDA 2005. 211 , note O. Dord ; ibid. 219, note D. Chamussy ; D. 2004. 3075 , chron. B. Mathieu ; ibid. 2005. 100, point de vue D. Chagnollaud ; ibid. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2005. 1, étude H. Labayle et J.-L. Sauron ; ibid. 30, note C. Maugüé ; ibid. 34, note F. Sudre ; ibid. 239, étude B. Genevois ; RTD eur. 2005. 557, étude V. Champeil-Desplats ), que s’il est loisible au gestionnaire d’un service public, « de tenir compte […] de certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité […] ne font pas obstacle […] à ce que des spécificités correspondent à des convictions religieuses, il n’est en principe pas tenu de tenir compte de telles convictions ». Cependant, poursuit-elle, « le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ». Les juges du Palais-Royal ont estimé que la dérogation « très ciblée » était « destinée à satisfaire une revendication de nature religieuse », « sans réelle justification de la différence de traitement » en résultant. Et le Conseil d’État d’en inférer qu’une telle dérogation est de « nature à affecter […] le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public ».