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Les conseillers prud’homaux sont désormais formés à juger

Le mandat des conseillers prud’hommes (CPH), élus par leurs pairs dans le cadre d’une élection générale, s’est renouvelé le 1er janvier 2018. Tous bénéficient d’une formation initiale obligatoire de cinq jours dispensée par l’École nationale de la magistrature. 

par Thomas Coustetle 22 juin 2018

La juridiction du travail souffre d’un déficit de confiance auprès du public et des professionnels. « Zone de non-droit », « épreuve de force », ou encore « passage obligé pour l’appel », entend-on parfois. Il faut dire que les chiffres n’aident pas vraiment. Dans un rapport intitulé L’avenir des juridictions du travail, vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle rendu en juillet 2014, Alain Lacabarats livrait un diagnostic accablant : une procédure d’appel dans 60 % des cas (contre 10 à 15 % en moyenne ailleurs), un départage de près de 20 %, la conciliation obligatoire représentant une issue favorable dans moins de à 6 % des cas, cinquante-et-une condamnations pour des procédures lentes de seize à dix-huit mois…

Ce haut magistrat, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, pointait du doigt un des symptômes : le manque de connaissance et de formation. « La formation continue est naturellement orientée et se revendiquent comme telles. Or il est des domaines que tout juge doit apprendre à connaître de manière neutre : l’aptitude à la conciliation, la conduite d’un procès, la procédure, etc. ». Par ailleurs, le texte préconisait de rendre obligatoire une formation initiale qui serait un « lieu commun de savoir » entre tous les juges prud’homaux, qu’ils soient élus sur listes patronales ou syndicales.

Ces vœux ont donné lieu à la loi Macron du 6 août 2015, dont le décret du 28 avril 2017 confie la nouvelle formation initiale à l’École nationale de la magistrature (ENM). « L’enjeu est de taille », rappelait Olivier Leurent, directeur de l’ENM, lors de la présentation du rapport annuel de l’école. En effet, il consiste cette année, à assurer « de la même manière dans l’hexagone et en outre-mer la formation initiale des quelques 10 000 nouveaux conseillers en fonction depuis le 1er janvier 2018 » (v. Dalloz actualité, 18 mai 2018, art. T. Coustet isset(node/190671) ? node/190671 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190671). 

Formation de cinq jours : trois jours en e-learning et deux jours en ateliers collectifs

Sous peine d’être réputé démissionnaire, le conseiller doit désormais exécuter sa formation dans un délai de quinze mois à compter du deuxième mois suivant sa nomination. Concrètement, sa formation se traduit par cinq jours obligatoires. Une fois connecté sur la plateforme, le conseiller bénéficie d’un délai de quatre mois pour suivre sa préparation en e-learning de trois jours. Débutent ensuite les ateliers collectifs sur place pendant deux jours. 

« Être juge ne s’improvise pas »

Cette formation a été élaborée par un groupe de quatre coordonateurs de formation dont un directeur des service de greffe et trois magistrats au sein du département des formations professionnelles spécialisées de l’ENM. « La formation se concentre sur trois impératifs », détaille Sophie Parmantier, chef du pôle de la formation. Les trois grands principes abordés sont l’organisation judiciaire, la déontologie et l’éthique des juges, et la méthodologie du jugement. « Être juge ne s’improvise pas. Juger ne repose pas que sur le bon sens mais requiert contrainte et technique. Le niveau d’exigence est le même que pour les autres juridictions », assure la magistrate.

Pour Carole Parienti, nouvelle CPH et ancienne directrice du personnel ayant suivi la formation, c’est une formule qui plait bien. Grâce au e-learning, elle a pu « continuer à effectuer certaines tâches en lignes à des heures tardives, ce qui permet de suivre la formation nécessaire et continuer à assurer mes fonctions professionnelles ». 

« Doit-on respecter la solution de la Cour de cassation ? »

Les ateliers collectifs sont centrés sur l’acquisition des techniques professionnelles. Ils ont débuté en juin. Trente-et-un sites de formation ont été répartis sur tout le territoire, avec un formateur volontaire, le tout sous la supervision de quatre coordonnateurs de formation. Chaque conseiller dispose d’un « support de formation », épais de cent pages avec les annexes.

La première journée est dédiée au rôle du juge prud’homal et à la méthodologie. Sous forme d’exercices collectifs, des thèmes comme « identifier la solution de la Cour de cassation », ou « juger en toute indépendance » sont abordés à l’aide de séquences visuelles et sous l’angle d’un cas pratique. À cette occasion, le magistrat formateur oriente les questions. « Doit-on respecter la solution de la Cour de cassation ? », ou encore « Quelles sont les conséquences si vous adoptez une solution contraire à l’arrêt de la Cour de cassation ? ».

« Quand on juge bien, on fait un content. Quand on juge mal, on fait deux mécontents »

La seconde journée est consacrée à l’élaboration d’un jugement, sur la base d’un dossier complet monté par l’équipe pédagogique.

Stéphane Meyer est formateur dans l’antenne parisienne. Ce magistrat fait partager son expérience pour que les conseillers intègrent les étapes du raisonnement juridique. « Le droit n’est pas une science exacte », prévient-il pour introduire la matinée.

—  « J’imagine que quand vous écoutez l’avocat de la demande, vous vous dites “il a raison” et même chose pour la défense. La salle acquiesce sans attendre.

— « C’est la force et la faiblesse du droit de se présenter sous l’apparence d’une science alors que c’est mobile et flexible », prévient-il.

De ce constat, le magistrat va formuler l’ultime question de la journée, « qu’est-ce qu’un bon jugement ? ». 

On sent les atermoiements et hésitations de la salle. 

— « C’est un jugement impartial », répond spontanément l’un. Un autre préférant « un jugement juste, équitable, et compréhensible ». 

Stéphane Meyer arbitre chacune des interventions.

— « C’est un peu tout ça », dit-il. « L’ENM nous enseigne qu’un jugement, c’est la réponse du juge aux questions des parties. Quand on juge bien, on fait un content. Quand on juge mal, on fait deux mécontents. D’où l’importance d’adapter son vocabulaire, d’adopter un style direct en bannissant les “attendus que”, par exemple, et de valider son raisonnement à l’aide d’un fondement juridique ». 

— « Demandez-vous aux avocats qu’ils listent à l’audience leurs demandes ? », renchérit le magistrat.

La majorité de l’auditoire répond positivement. 

— « Vous vous rendez compte que vous êtes les seuls à le faire ? Reportez-vous au “par ces motifs” de leurs écritures », suggère-t-il. 

— « Oui, mais la procédure est orale. Les parties peuvent modifier leurs demandes », entend-on dans la salle. 

— « Rappelez-vous que dans une procédure orale, si les avocats produisent des conclusions, comme ils aiment le faire, ils sont censés s’approprier leurs écritures. Vous pourriez vous contenter de leur demander la confirmation. Vous gagneriez du temps », enseigne le magistrat.

Les conseillers entrent ensuite dans le vif du sujet. Construire une décision par étape à partir du dossier fictif de Mme Clef contre la société Bricolage. Mme Clef s’est fait licencier pour cause réelle et sérieuse liée à ses retards répétés et au non-respect de la tenue de travail obligatoire.  

Les faits d’abord.

— « L’intérêt est ici de rapporter les faits constants, c’est-à-dire ceux qui ne font pas débat, conformément à votre obligation de neutralité. Il faut donc ne pas laisser penser qu’on a été influencé par la présentation qu’en font les parties », prévient Stéphane Meyer, avant de laisser environ dix minutes de préparation aux participants. 

Viennent ensuite l’exposé des prétentions et des « moyens » des parties. 

— « Je ne comprends pas le concept de “moyen” des parties et la différence par rapport aux prétentions », avoue une intervenante.

— « Pour simplifier, dites-vous que ce sont les arguments développés dans chacun des camps. Sur le plan juridique, ce n’est pas tout à fait exact mais ce n’est pas si éloigné que ça de la vérité », suggère Stéphane Meyer. 

— « C’est compliqué », finit par lâcher la CPH.

L’éternelle question de droit après.

— « La seule question de droit qui est posée est naturellement celle qui fait débat », assure Stéphane Meyer après la présentation des faits qu’a bien voulu faire un volontaire. En l’espèce, c’est donc de savoir si « le licenciement est fondé ».

Les parties prennent ensuite les minutes nécessaires pour délibérer et finalement trancher en faveur de l’employeur. 

L’après-midi sera consacrée à la rédaction. Avant de partir déjeuner, une CPH partage sa frustration. « Cela rassure d’avoir ces bases mais c’est vrai qu’à Paris, on prend connaissance des dossiers souvent dix minutes avant l’audience. C’est très rapide pour étudier le dossier. On découvre les pièces à ce moment. On délibère juste après l’audience. Le président rédige le jugement », avoue-t-elle. Justement, pour Carole Parienti, la formation permet d’être « plus serein dans la façon de voir les choses ». Si cinq jours peuvent sembler courts, elle retient que « c’est en pratiquant qu’on acquiert l’expérience et qu’on développe nos compétences en permettant de restituer ce qui a été vu en formation ».