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Les conséquences de la loi ASAP sur le droit de la commande publique

La loi d’accélération et de simplification de l’action publique ne devait pas concerner le droit de la commande publique. Mais les conséquences de la crise de la covid-19 ont conduit le gouvernement à engager une réforme concernant les marchés publics et les concessions.

par Joachim Lebiedle 14 décembre 2020

À la suite du mouvement des « Gilets jaunes », le président de la République a souhaité que soit organisé un grand débat national. À partir du 15 janvier 2019, le gouvernement a fait de l’organisation de l’État et des services publics, la démocratie et la citoyenneté, la fiscalité et la transition écologique, les thèmes centraux devant être discutés avec les élus et les citoyens. Une préoccupation essentielle portait sur la nécessité de transformer le modèle d’action de l’administration, afin qu’elle soit plus efficace et au plus proche des administrés.

De ces débats a germé l’idée de la future loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). À l’origine, le droit de la commande publique n’y trouvait pas sa place. Cependant, confronté aux conséquences économiques de la crise de la covid-19, le gouvernement a considéré que cela été devenu nécessaire. C’est ainsi que le droit de la commande publique a fait irruption dans le projet de loi ASAP (v. M.-C. de Montecler, Adoption définitive de la loi ASAP devenue fourre-tout, Dalloz actualité, 30 oct. 2020).

Adoptée par le Sénat le 27 octobre et par l’Assemblée nationale le 28, certaines dispositions de la loi ASAP relatives notamment au droit de la commande publique ont fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori de la loi. Par une décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a écarté l’essentiel des moyens relatifs au droit de la commande publique. La loi ASAP a alors été promulguée le 7 décembre 2020. Parmi les dispositions relatives au droit de la commande publique de la loi ASAP, trois retiennent l’attention et méritent d’être examinées.

L’intérêt général, condition justifiant la signature de gré à gré

La première mesure est celle qui a suscité le plus de débats et de controverses aux moments des discussions au Parlement. Conséquence de l’article 131 de la loi ASAP, le nouvel article L. 2122-1 du code de la commande publique fait désormais référence à l’intérêt général comme condition justifiant la signature de gré à gré d’un marché public. Il s’agit pour l’acheteur de signer un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalables. Cela sera possible « en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée » (loi ASAP, art. 131). Le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire et plus spécialement à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les contours de cette dérogation (CCP, art. R. 2122-1 s.). Pour autant, le Conseil constitutionnel rappelle que les acheteurs demeurent toujours soumis aux principes constitutionnels d’égalité devant la commande publique et au respect des principes fondamentaux inscrits à l’article L. 3 du code de la commande publique (décis. n° 2020-807 DC, consid. 44). L’ensemble des acteurs de l’achat public sont désormais dans l’attente du décret en Conseil d’État. À ce titre, gageons que sa rédaction va être délicate et que les doutes sérieux formulés à l’endroit de cette disposition seront difficilement levés.

Seuil à 100 000 €

La deuxième catégorie de mesures porte plus largement sur les entreprises en difficulté (loi ASAP, art. 131). Une première avancée consiste en un relèvement temporaire du seuil à 100 000 € en deçà duquel aucune procédure formalisée de publicité et de mise en concurrence n’est imposée pour les marchés publics de travaux (v. M.-C. de Montecler, Les seuils des marchés relevés par le projet de loi ASAP, AJDA 2020. 1877 ). Autorisée jusqu’au 31 décembre 2022, cette mesure traduit la volonté du gouvernement de redynamiser et d’accélérer le rythme des commandes. Sans surprise, les opérateurs économiques visés sont les PME et les TPE qui sont les premières victimes de la crise économique liée à la covid-19. Une seconde mesure porte quant à elle sur l’accès des entreprises en redressement judiciaire à la commande publique. Ces dernières ne seront plus exclues de la procédure de passation. Ici aussi, le souci du législateur est d’accompagner les entreprises fragilisées par la crise en leur permettant de candidater à un marché public (CCP, art. L. 2141-3).

Circonstances exceptionnelles

La troisième mesure consiste en une modification plus conséquente de l’architecture du code de la commande publique. Précisément, l’article 132 de la loi ASAP introduit deux nouveaux livres – un pour les marchés publics et un autre, identique, pour les contrats de concession – relatifs aux circonstances exceptionnelles. Ce faisant, le législateur montre son ambition de codifier les dispositifs exceptionnels de l’ordonnance du 25 mars 2020 durant la crise sanitaire. Par conséquent, en cas de circonstances exceptionnelles, les pouvoirs adjudicateurs et les entreprises seront protégés. Du point de vue du donneur d’ordre, les mesures ainsi adoptées tendent toutes à assurer la continuité des prestations et in fine du service public. À titre d’illustration et dans de telles circonstances, les procédures de la consultation seront adaptées dans le souci de l’efficacité (CCP, art. L. 2711-3 et -4) et les contrats pourront être prolongés (CCP, art. L. 2711-5). Du point de vue de l’opérateur économique, en cas de défaillance, aucune sanction financière ne pourra lui être imputée si et seulement si les difficultés trouvent leur origine dans la crise (CCP, art. 2711-8).

Pour conclure, ces modifications du droit de la commande publique, déjà effectives ou celle à venir dans l’attente du décret en Conseil d’État, sont, une fois encore, la démonstration que l’achat public doit constamment s’adapter aux évolutions. L’objectif de la loi ASAP est de permettre aux acteurs de la commande publique d’affronter les conséquences de la crise de la covid-19. Une fois encore, les praticiens de l’achat public devront eux aussi faire preuve d’adaptabilité face aux énièmes évolutions de la discipline.