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Consommation du délit de faux par la falsification des procès-verbaux d’une association

Commet un faux la personne qui falsifie des procès-verbaux d’assemblée générale ou de réunion du conseil d’administration d’une association dont l’établissement n’est requis ni par la loi ni par les statuts de ladite association, qui ne créent pas nécessairement le droit qu’ils attestent et qui étaient de nature à causer un préjudice.

par Méryl Recotilletle 5 juillet 2021

L’article 441-1, alinéa 1er, du code pénal décrit le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quel que moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques » (Rép. pén.,  Faux, par V. Malabat). On peut regretter que le législateur ne soit pas plus explicite quant à cette dernière condition. À l’issue d’une controverse doctrinale qui opposait la vision de Garraud (étroite) à celle de Donnedieu de Vabres (plus large), c’est la conception de ce dernier qui paraît avoir été retenue par le code pénal : sont visés « non seulement les écrits ou supports qui ont pour objet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques mais aussi ceux qui peuvent avoir cet effet » (Rép. pén., Faux, par V. Malabat, nos 17 et 18). Manifestement, c’est une conception large du faux qui est retenue. L’arrêt de la chambre criminelle du 16 juin 2021 paraît confirmer cette tendance.

En l’espèce, la société Foncière lyonnaise a porté plainte à l’encontre d’un individu des chefs de tentative d’escroquerie, d’extorsion et de chantage. Le procureur de la République a ouvert une enquête préliminaire dont il est ressorti une large pratique organisée par l’intéressé, dans le cadre de laquelle auraient eu lieu ses démarches envers la société Foncière lyonnaise. En effet, il disait entendre lutter contre des fraudes commises par des sociétés immobilières consistant pour celles-ci à minorer, lors des déclarations, les surfaces soumises à la redevance pour création de bureaux, ce qui portait atteinte aux finances locales. Dans le cadre de sa manigance, le mis en cause s’appuyait sur l’association Apure dont il était le président et qu’il avait créée afin de disposer d’un intérêt à agir dans la contestation de permis de construire délivrés par la ville. Il avait, ainsi, engagé des recours administratifs contre des sociétés immobilières ayant d’importants projets, ce qui entraînait un retard dans leur réalisation. L’association Apure, sans laisser le recours arriver à son terme, proposait une transaction à la société et percevait ainsi une somme, qui demeurait dérisoire à l’échelle du projet immobilier, en contrepartie de laquelle elle se désistait de son recours. Le tribunal a déclaré le prévenu coupable, notamment du chef de faux, et l’a condamné, sur les intérêts civils, à indemniser plusieurs sociétés immobilières.

Pour résumer de façon mathématique, le support, objet du faux, est un écrit, à savoir les procès-verbaux de l’association. Sous couvert de défendre une noble cause, cette dernière permettait à son président d’intenter des recours contre des sociétés immobilières sauf si celles-ci acceptaient une forme de chantage : l’association se désistait de son recours contre la société, moyennant une contrepartie financière. Le préjudice correspondait donc à l’argent versé par les sociétés. De prime abord, le lien entre les procès-verbaux d’assemblée falsifiés et le préjudice n’est pas évident. Et pour cause, ces procès-verbaux n’étaient pas obligatoires. Le mis en cause et le ministère public ont interjeté appel.

En cause d’appel, les juges du second degré ont énoncé que les procès-verbaux de tenue d’assemblée générale et de réunion du conseil d’administration de l’association ne correspondaient pas à la réalité factuelle et contenaient une altération de la vérité. Il était ainsi constaté que l’association n’a pas fonctionné selon les exigences légales ni statutaires.

Les juges ont également considéré qu’un procès-verbal de réunion d’un organe délibérant d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 constitue un écrit, donnant à l’association l’apparence trompeuse d’un fonctionnement conforme aux dispositions légales et statutaires, et ayant pour objet l’établissement de la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Ils ont ajouté que les procès-verbaux de conseil d’administration portaient mention d’une autorisation à ester en justice donnée à son président, le mis en cause, et ont été joints aux requêtes introductives d’instance déposées au greffe du tribunal administratif et parfois annexés aux protocoles de transaction.

Les juges ont enfin relevé que le préjudice ou la possibilité d’un préjudice était nécessairement attaché à la falsification de tels procès-verbaux de réunion d’assemblée générale et du conseil d’administration d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui mettait en cause la validité des décisions apparemment prises et permettait de contester la régularité et les pouvoirs des organes de la personne morale.

Répondant aux trois arguments soulevés par le demandeur, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi considérant que la cour d’appel n’avait violé aucun texte.

En premier lieu, le mis en cause soutenait, d’une part, que la loi n’exige pas que les réunions de l’assemblée générale ou du conseil d’administration d’une association fassent l’objet d’un procès-verbal et, d’autre part, que les statuts de l’association n’imposaient pas davantage de procès-verbaux pour les réunions du conseil d’administration. Est-ce que des éléments falsifiés non obligatoires permettent de caractériser un délit de faux ? La réponse est positive et la Cour de cassation a considéré que peut constituer un faux au sens de l’article 441-1 du code pénal, un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée, ayant un objet ou pouvant avoir un effet probatoire, même s’il n’est pas exigé par la loi ou n’est pas nécessaire d’après les statuts de l’association. Cette première solution n’est guère étonnante eu égard à la jurisprudence (Rép. pén.,  Faux, préc., nos 20 s. ; par ex. s’agissant d’un constat amiable d’accident de la circulation, Crim. 1er juin 1981, Bull. crim. n° 177).

En deuxième lieu, le demandeur exposait que les statuts de l’association autorisaient le président à ester en justice, de sorte que les procès-verbaux n’avaient pas en eux-mêmes créé un droit ou un fait ayant des conséquences juridiques. À cela, les juges de cassation ont répondu que le délit de faux n’impliquait pas que le document falsifié crée le droit qu’il atteste.

En troisième lieu, le mis en cause arguait que la régularité et les pouvoirs du président d’une association, définis par les statuts ne sont pas conditionnés à la rédaction de procès-verbaux facultatifs, de sorte que les conséquences ne peuvent pas permettre de retenir le faux. La haute cour a pourtant estimé que le préjudice causé par la falsification d’un écrit pouvait résulter de la nature même de la pièce falsifiée ; tel était le cas de l’altération de procès-verbaux d’assemblée générale ou de réunion d’une association, qui était de nature à permettre de contester la régularité ou les pouvoirs d’un de ses organes.

Adoptant une conception large du faux et une approche répressive, la chambre criminelle a fait reposer sa solution sur le fait que ces documents litigieux constituaient « la vitrine » du stratagème du mis en cause. En effet, sans être falsifiés stricto sensu, ils ne respectaient pas les canons exigés pour une association, sans être obligatoires, ils donnaient à l’association une apparence de conformité qui trompait les « victimes », sans créer un droit ou un fait ayant des conséquences juridiques, ils y contribuaient indirectement, et sans conditionner la régularité des pouvoirs du président de l’association, ils étaient « de nature » à jouer un rôle dans ses prérogatives. En somme, facilitant visiblement la pratique malfaisante du mis en cause, les procès-verbaux d’une association constituaient un faux au sens de l’article 441-1 du code pénal.