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La constitution de partie civile à l’épreuve de l’immunité de juridiction

Par un important arrêt, la chambre criminelle est venue préciser davantage le régime des immunités pénales, et plus exactement celle d’un chef d’État étranger en exercice, en visite en France.

par Méryl Recotilletle 22 septembre 2020

Obstacles à l’action publique, les immunités pénales profitent à certaines personnes comme aux chefs de l’État (Rép. pén.,  Action publique, par F. Molins, nos 88 s.). Par leur nature, elles se heurtent assez naturellement à l’action civile formée par la partie lésée comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2020.

En l’espèce, deux individus, personnes physiques, et deux associations, AFD International et La Voix libre, ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction de Paris, le 26 novembre 2014, des chefs de torture et actes de barbarie, à l’encontre du président de la République d’Égypte en visite officielle en France du 26 au 28 novembre 2014. La première victime avait été blessée par les forces de l’ordre et hospitalisée alors qu’elle participait à une manifestation contre le coup d’État du 3 juillet 2013 au Caire. La seconde victime, avocat, a expliqué qu’il avait été arrêté alors qu’il faisait des investigations sur des violations des droits de l’homme, sur la place Tahrir, le 17 novembre 2013. Il avait été entravé et emmené dans un poste de police improvisé, avait été entendu puis transféré dans le commissariat de Qasr le Nil où il avait été dénudé et torturé à plusieurs reprises. Par ordonnance du 27 avril 2016, le juge d’instruction a dit n’y avoir lieu à informer sur la plainte déposée, et a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des associations. Se prononçant sur l’arrêt d’appel confirmant cette ordonnance, la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet démontrant les limites de la constitution de partie civile face à l’immunité pénale, à commencer par les limites de l’obligation d’instruire.

L’ensemble des articles 689, 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale donne compétence aux juridictions françaises pour poursuivre et juger, si elle se trouve en France, une personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de tortures. Toutefois, les juges d’appel ont précisé que le droit coutumier international accorde au chef d’État d’envoi, quand il se trouve à la tête d’une mission spéciale, des privilèges et immunités dans le pays de réception, et notamment l’immunité de la juridiction pénale de l’État où il effectue une visite officielle. Ainsi, la chambre de l’instruction a jugé que, dans ces conditions, le magistrat saisi ne pouvait valablement instruire sur les faits dénoncés à l’encontre du président de la République arabe d’Égypte qui était en visite officielle en France, la constitution de partie civile étant de ce fait irrecevable. La chambre criminelle, de façon assez abrupte et inattendue, a commencé par considérer que c’était « à tort que l’arrêt a estimé que les constitutions de partie civile de MM. Mahmoud et Shater Khalil devaient être déclarées irrecevables ». Elle a relevé que les faits dénoncés étaient de nature à causer aux plaignants un préjudice personnel et direct. Ensuite, elle a cru bon de rappeler les termes de l’article 86 du code de procédure pénale selon lequel l’obligation d’instruire de la juridiction d’instruction, régulièrement saisie d’une plainte avec constitution de partie civile, cessait si, pour des causes affectant l’action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à les supposer démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale. En l’espèce, aucune cause affectant l’action publique telle que l’acquisition de la prescription n’a été relevée et les faits revêtaient sans difficulté une qualification pénale. Malgré cela, par un attendu peu intelligible, la Cour de cassation a considéré que l’arrêt n’encourait pas la censure : « Si le juge d’instruction a généralement l’obligation d’informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles, et si cette obligation n’est pas contraire en son principe à l’immunité de juridiction des États étrangers et de leurs représentants, celle-ci trouve son fondement dans la seule nécessité pour le juge de ne pas retenir une immunité pénale avant d’avoir vérifié les conditions de son application dans le dossier dont il est saisi. La Cour de cassation est en mesure de s’assurer que la plainte avec constitution de partie civile déposée à l’encontre de M. Al-Sissi est claire et précise dans ses imputations des faits dénoncés à la seule personne visée, à savoir le chef de l’État, de sorte qu’aucun acte d’information n’est nécessaire pour dire que le principe d’immunité pénale, reconnu par la coutume internationale au bénéfice des États et des chefs d’État en exercice, doit être retenu ». Lorsqu’on tente de déchiffrer ces propos, l’on comprend que l’obligation d’instruire du juge d’instruction (v. Rép. pén.,  Chambre de l’instruction, par P. Belloir, n° 481), sur des faits concernés par une immunité, repose sur la nécessité même de vérifier les conditions de l’application de cette immunité avant de la rejeter ou de l’appliquer. Cependant, si tout est parfaitement clair dans le dossier, le juge d’instruction n’est plus dans l’obligation d’instruire. Par cette solution, en précisant sa jurisprudence de 2013 (Crim. 19 mars 2013, n° 12-81.676, Bull. crim. n° 65 ; Dalloz actualité, 9 avr. 2013, obs. M. Léna ; D. 2013. 841 ; AJ pénal 2013. 415, obs. G. Royer ; 4 janv. 2005, n° 03-84.652, Bull. crim. n° 1 ; D. 2005. 523, et les obs. ; ibid. 1521, obs. G. Roujou de Boubée, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et M. Segonds ; AJ pénal 2005. 158, obs. G. Roussel ; RSC 2005. 297, obs. G. Vermelle ), la haute juridiction a dégagé une limite à l’obligation d’informer du magistrat instructeur, qui vient s’ajouter à celle que nous connaissons déjà en matière de presse (Rép. pén.,  Presse : procédure, par P. Guerder, n° 455 ; Crim. 4 juin 1975).

S’en remettant à l’état du droit international (rappr. Dalloz actualité, 8 févr. 2010, obs. S. Lavric, obs. sous Crim. 19 janv. 2010, n° 09-84.818 ; Civ. 1re, 9 mars 2011, n° 09-14.743, Dalloz actualité, 25 mars 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 890, obs. I. Gallmeister ; Rev. crit. DIP 2011. 385, avis P. Chevalier ; ibid. 401, rapp. A.-F. Pascal  ; Crim. 16 oct. 2018, n° 16-84.436, Dalloz actualité, 14 nov. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 2091 ; ibid. 2019. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2019. 97, obs. Y. Mayaud ) et rappelant que le droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’était pas absolu, les juges de la chambre criminelle ont également conclu que l’octroi de l’immunité ne constituait pas en l’espèce une restriction disproportionnée au droit d’un particulier d’avoir accès à un tribunal.

D’une manière plus générale, cette décision s’inscrit dans la jurisprudence rigoureuse de la Cour de cassation qui paraît vouloir strictement contenir les constitutions de partie civile (Crim. 24 mars 2020, n° 19-80.005, Dalloz actualité, 13 mai 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 878 ; AJ pénal 2020. 368, obs. V. Cohen-Donsimoni ; Dr. soc. 2020. 550, chron. R. Salomon ; 14 janv. 2020, n° 19-80.186, Dalloz actualité, 12 févr. 2020, obs. L. Priou-Alibert ; AJDA 2020. 144 ; D. 2020. 154 ; 18 déc. 2019, n° 18-85.535, Dalloz actualité, 14 févr. 2020, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2020. 4 ), surtout celle des associations (Crim. 8 sept. 2020, nos 19-84.995 et 19-85.004, Dalloz actualité, 16 sept. 2020, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2020. 1688 ; D. 2020. 1724  ; 4 déc. 2018, n° 18-81.364, Dalloz actualité, 20 déc. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 2417 ; AJ pénal 2019. 95, obs. E. Gallardo ). D’ailleurs, elle donnait le ton dès le début en estimant que, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile, l’arrêt d’appel retenait, en application de l’article 416 du code de procédure civile (Rép. civ., Assistance et représentation en justice, par D. Cholet, nos 8 s.), que les associations n’avaient pas produit de décision du conseil d’administration ou de l’assemblée générale donnant pouvoir à une personne de les représenter, contrairement à ce que soutenait leur avocat.