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Construction : le délai d’action régissant les recours entre coobligés

Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant est soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil, dont le point de départ est fixé au jour où ce dernier a connu les faits lui permettant d’exercer son action en garantie, soit, en l’espèce, au jour de l’assignation principale du maître de l’ouvrage en référé-expertise.

par Cyrille Auché et Nastasia De Andradele 10 février 2020

Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant est soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil, dont le point de départ est fixé au jour où ce dernier a connu les faits lui permettant d’exercer son action en garantie, soit, en l’espèce, au jour de l’assignation principale du maître de l’ouvrage en référé-expertise.

Lorsqu’un intervenant à l’acte de construction ou son assureur est assigné par le maître de l’ouvrage, ce dernier appellera en la cause les coobligés à la dette. Il pourra s’agir des constructeurs présumés responsables, de leurs sous-traitants, des assureurs de responsabilité, de l’assureur dommages-ouvrage ou même d’un tiers à l’opération de construction tel que le notaire ou l’agent immobilier. Le recours en garantie permettra au débiteur principal de se décharger du poids de la dette ou d’obtenir sa répartition entre les différents coobligés1.

Des débats doctrinaux et jurisprudentiels se sont ouverts sur le délai d’action applicable aux recours entre coobligés.

Un pan minoritaire soumettait le recours en garantie à l’article 1792-4-3 du code civil, d’une durée de dix années à compter de la réception de l’ouvrage2. La doctrine et la jurisprudence majoritaires considéraient toutefois que seul le délai de prescription quinquennale de droit commun, régi à l’article 2224 du code civil, avait vocation à s’appliquer aux recours entre coobligés3.

La Cour de cassation se prononce en faveur de cette seconde solution dans l’arrêt commenté du 16 janvier 2020, ayant reçu les honneurs d’une publication maximale (FS-P+B+R+I).

En l’espèce, un syndicat des copropriétaires, se plaignant de divers désordres, avait assigné en référé-expertise l’architecte, le carreleur et l’assureur décennal de ce dernier respectivement par exploits d’huissier des 17, 28 décembre 2009 et 25 janvier 2010. Par ordonnance de référé du 9 février 2010, un expert judiciaire avait été désigné.

Une action en indemnisation a été introduite au fond par le syndicat des copropriétaires à l’encontre du seul architecte, suivant assignation du 11 décembre 2013. L’architecte avait formalisé ses appels en garantie contre le carreleur et son assureur décennal par actes des 10 et 12 juin 2014.

Le recours en garantie de l’architecte avait été jugé prescrit par la juridiction d’appel au motif que la prescription de dix années à compter de la réception de l’article 1792-4-3 du code civil s’appliquait aux recours entre constructeurs. Selon la cour d’appel, en l’espèce, un délai supérieur à dix années s’était écoulé entre la réception de l’ouvrage – le 23 décembre 1999 – et l’assignation en référé-expertise de son assureur et de l’architecte par le syndicat des copropriétaires – les 28 décembre 2009 et 25 janvier 20104.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel par un développement particulièrement riche et motivé.

Les enseignements de l’arrêt

• Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève du délai de prescription de droit commun de cinq années de l’article 2224 du code civil.

D’une part, la Cour de cassation écarte expressément le délai d’action décennal de 1792-4-35 au profit de l’application exclusive de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil.

La haute juridiction motive sa décision par renvoi à l’arrêt du 8 février 2012 rendu avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 20086. Aux termes de cet arrêt, l’appel en garantie n’est pas fondé sur la garantie décennale mais est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas7.

En d’autres termes, le recours en garantie s’exerce entre les constructeurs sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports. Toutefois, cet arrêt ne s’était pas prononcé sur le point de départ du délai d’action et se bornait à énoncer qu’il ne pouvait s’agir de la date de la réception de l’ouvrage.

En outre, l’arrêt commenté écarte la date de réception comme point de départ du délai de prescription qui aurait pour effet de priver le constructeur, lorsqu’il est assigné en fin de délai d’épreuve, du droit d’accès à un juge.

La Cour de cassation rappelle également que l’article 1792-4-3 figure dans une section du code civil relative aux devis et marchés, elle-même insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie. De ce fait, cet article n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le seul maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs et les sous-traitants. Cet argument était déjà développé par les juridictions d’appel favorables à l’application de l’article 2224 du code civil8.

Sur ce point, l’analyse de la Cour de cassation paraît peu contestable. En effet, l’article 1792-4-3 du code civil concerne l’action réservée au maître de l’ouvrage contre les constructeurs – ou réputés constructeurs – et leurs sous-traitants sur le fondement de la responsabilité résiduelle de construction. Il s’agit d’une responsabilité dite « résiduelle » puisqu’elle ne s’applique que lorsque l’une des conditions de la responsabilité spécifique des constructeurs9 n’est pas remplie10.

Le recours en garantie, quant à lui, concerne l’hypothèse où un débiteur après avoir été assigné par le créancier va appeler en garantie un coresponsable. Il s’agit d’une action personnelle du débiteur en réparation d’un préjudice qui lui est propre et qui est causé par l’assignation principale du créancier. L’action récursoire trouve ses racines dans le droit de la responsabilité et non dans le droit spécial de la construction. Par conséquent, il est naturel qu’un délai d’action de droit commun et non spécial régisse les recours entre coobligés.

C’est ce que semble retenir la Cour de cassation lorsqu’elle énonce que « le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette que devra supporter chaque responsable ».

• Le point de départ du délai de prescription est fixé au jour de la connaissance par le constructeur des faits lui permettant d’exercer son recours en garantie, soit, en l’espèce, au jour de l’assignation principale du maître de l’ouvrage en référé-expertise.

D’autre part, la Cour de cassation se prononce sur le point de départ du délai de prescription.

L’article 2224 du code civil fait courir le délai de prescription au jour de la connaissance, par la titulaire du droit, des faits lui permettant de l’exercer. La haute juridiction, après avoir rappelé ce principe, se réfère à un arrêt du 19 mai 201611. Dans cet arrêt, il avait été jugé que l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal met en cause la responsabilité de ce dernier et constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l’encontre des sous-traitants.

En l’espèce, l’architecte, assigné en référé-expertise le 17 décembre 2009 par le syndicat des copropriétaires, avait à son tour exercé ses recours en garantie par actes des 10 et 12 juin 2014. L’action récursoire demeurait donc parfaitement recevable (frise n° 1).

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Sur ce point, la solution retenue par la Cour de cassation est susceptible d’engendrer un contentieux futur. En effet, l’assignation en référé-expertise vise, comme elle l’indique, à solliciter la diligence d’une mesure d’expertise judiciaire. Toutefois, à ce stade, il est difficile, voire impossible, de déterminer le rôle de chaque intervenant dans la survenance du dommage. Ceci explique qu’en pratique, l’ensemble des intervenants à l’acte de construction et leurs assureurs sont assignés. En outre, il est fréquent que l’étendue du dommage ne soit révélée qu’au cours des opérations d’expertise.

Suivant le raisonnement de la Cour de cassation, les intervenants assignés par le maître de l’ouvrage en référé-expertise devront exercer leurs recours en garantie alors même qu’ils ne seront possiblement pas concernés par les désordres examinés par l’expert judiciaire. Ceci va à l’encontre du souhait de désencombrement des juridictions qui prévaut actuellement.

La fixation du point de départ « flottant » au jour de l’assignation au fond du maître de l’ouvrage aurait sans doute apporté plus de clarté. À cette date, le constructeur est certain que sa responsabilité est susceptible d’être retenue dans la survenance des dommages tandis qu’au stade du référé-expertise, elle demeure à l’état de germe.

Une seconde difficulté tient au fait que le constructeur pourra perdre ses recours tandis que le maître de l’ouvrage bénéficie, à compter de l’ordonnance désignant l’expert, d’un délai de dix années pour l’attraire au fond sur le fondement décennal.

Conseils pratiques :

• Il n’est possible d’interrompre un délai qu’à son seul profit12 : en cas de pluralité de défendeurs, chacun d’entre eux doit expressément s’associer à la demande d’expertise judiciaire sollicitée par le maître de l’ouvrage pour interrompre le délai de prescription applicable aux recours entre coobligés.

• La Cour de cassation adopte la même solution en matière de suspension : seuls les demandeurs à la mesure d’expertise pourront bénéficier de l’effet suspensif du délai de prescription jusqu’au dépôt du rapport13.

• Gare aux pratiques visant à formuler des « protestations et réserves », à « s’en remettre à la sagesse du tribunal » ou à « s’en rapporter à la justice », qui valent contestation et qui ne s’apparentent pas à des demandes en justice.

En définitive, l’arrêt commenté, bien qu’il ne règle pas toutes les questions pratiques, constitue un arrêt majeur de la théorie des délais d’action en droit de la construction. Le degré de publication octroyé à cet arrêt démontre l’intention manifeste de la Cour de cassation d’entériner cette jurisprudence dans des arrêts postérieurs. À suivre.

 

 

Notes

1. S’il a indemnisé le maître de l’ouvrage, le défendeur principal pourra également opter pour la voie du recours subrogatoire. L’action du solvens se prescrit dans les mêmes conditions que l’action principale. Sur cette question, v. O. Guers et N. De Andrade, Stratégie contentieuse de l’avocat en droit de la construction et délais d’action, D. avocats 2019. 608 .
2. Rennes, 4e ch., 7 sept. 2017, n° 14/02766 ; Montpellier, 1re ch., A01, 21 juin 2018, n° 17/05606 ; 4 juill. 2013, n° 12/08054.
3. Paris, pôle 4, 5e ch., 20 juin 2018, n° 16/04259 ; Toulouse, 1re ch., sect. 1, 23 avr. 2018, n° 14/01982 ; Versailles, 4e ch., 20 mars 2017, n° 14/04773 ; Nîmes, 2e ch., sect. A, 19 avr. 2018, n° 16/04047 ; 8 mars 2018, n° 14/04318 ; 25 janv. 2018, n° 16/02623 ; 20 oct. 2016, n° 06/00064 ; CE, 7e et 2e ch. réun., 10 févr. 2017, n° 391722, Lebon T. ; AJDA 2017. 325 .
4. Sur ce point, l’arrêt d’appel est mal fondé puisque seules les assignations au fond délivrées par l’architecte les 10 et 12 juin 2014 valent interruption à son égard du délai d’action de ses propres recours. Sur les bénéficiaires de l’interruption du délai d’action, v. D. avocats. 2019. 386, obs. C. Auché et N. De Andrade .
5. Sur la controverse liée à la nature juridique du délai décennal de l’article 1792-4-3 C. civ. (prescription/forclusion ?) v. D. avocats 2019. 608, préc. ; Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.583, NP.
6. Civ. 3e, 8 févr. 2012, n° 11-11.417, Bull. civ. 2012, III, n° 23 ; Dalloz actualité, 21 févr. 2012, obs. C. Dreveau ; D. 2012. 498 ; RDI 2012. 229, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2012. 326, obs. P. Jourdain .
7. Il s’agit d’une solution classique ; Civ. 3e, 8 juin 2011, n° 09-69.894, Bull. civ. III, n° 93 ; Dalloz actualité, 28 juin 2011, obs. C. Dreveau ; D. 2011. 1682 ; RDI 2011. 574, obs. P. Malinvaud (nature contractuelle) ; 14 sept. 2005, n° 04-10.241, Bull. civ. III, n° 164, p. 152 ; RDI 2005. 460, obs. P. Malinvaud ; 30 avr. 2002, n° 00-15.645, Bull. civ. III, n° 86, p. 76 ; RDI 2002. 324, obs. P. Malinvaud (nature délictuelle).
8. Nîmes, 2e ch., sect. A, 19 avr. 2018, n° 16/04047, préc. ; Paris, pôle 4, 5e ch., 20 juin 2018, n° 16/04259, préc. ; Versailles, 4e ch., 20 mars 2017, n° 14/04773, préc.
9. C. civ., arts. 1792 s.
10. Tels que les désordres dits intermédiaires et les défauts de conformité non décennaux.
11. Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-11.355, NP ; dans le même sens, v. Civ. 3e, 29 janv. 1992, n° 90-15.099, Bull. civ. III, n° 32, p. 18 ; D. 1994. 153 , obs. A. Bénabent ; RDI 1992. 330, obs. P. Malinvaud et B. Boubli .
12. Sur les bénéficiaires de l’interruption du délai d’action, v. D. avocats. 2019. 386, préc.
13. Sur la pratique de C. civ., art. 2239, v. D. avocats, 2019. 241, obs. C. Auché et N. De Andrade .