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Consultant juridique étranger : statut et modalités d’exercice

L’ordonnance n° 2018-310 du 27 avril 2018 relative à l’exercice par les avocats inscrits aux barreaux d’États non membres de l’Union européenne de l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui a été publiée au Journal officiel du 28 avril.

par David Lévyle 30 mai 2018

Les avocats inscrits à un barreau d’un État n’appartenant pas à l’Union européenne (UE) bénéficient d’une nouvelle modalité d’exercice en France avec l’ordonnance n° 2018-310 du 27 avril 2018. Elle leur permet de pratiquer, sous leur titre professionnel d’origine, l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui en droit international et en droit étranger, à l’exclusion de la représentation ou de l’assistance en justice. Ce texte ajoute un titre VI à la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée dans lequel il crée les nouveaux articles 101 à 107.

Cette ordonnance intervient en application du 5° du I de l’article 109 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle qui habilitait le gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi, les mesures relevant du domaine de la loi « définissant, d’une part, les conditions dans lesquelles les avocats inscrits aux barreaux d’États non membres de l’Union européenne, liés à celle-ci par un traité international le prévoyant, pourront être autorisés à donner des consultations juridiques et à rédiger des actes sous seing privé pour autrui en droit international et en droit étranger et, d’autre part, les modalités d’exercice de ces activités ».

Jusqu’à cette ordonnance, les avocats non européens ne pouvaient exercer la profession d’avocat en France que de manière permanente, sous le titre français d’avocat, après avoir réussi un examen de contrôle des connaissances en droit français prévu par les dispositions du denier alinéa de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et de l’article 100 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié.

Ce principe connaît cependant une exception pour les avocats des États liés avec la France par une convention bilatérale en matière judiciaire leur ouvrant la prestation occasionnelle ou temporaire de services juridiques aux fins d’assister ou de représenter les parties, tant au cours des mesures d’instruction qu’à l’audience, dans les mêmes conditions que les avocats inscrits à un barreau français (v. Code de l’avocat, 7e éd., Dalloz, 2018, spéc. pp. 581-583). Les avocats concernés par ces accords internationaux remplissent leur mission sans être inscrits au tableau d’un barreau français.

Avec l’ordonnance du 27 avril 2018, les pouvoirs publics ont enfin tiré les conséquences de la conclusion par l’Union européenne d’engagements internationaux commerciaux (plusieurs types d’accords signés ou en cours de négociation par l’Union européenne sont concernés : accords d’association, sur le commerce, le développement et la coopération, accord de libre-échange [ALE], de partenariat économique [APE], de partenariat et de coopération [APC], de partenariat et de coopération renforcée [APCR]) dans le domaine des services qui comportent un volet de libéralisation des services juridiques. En effet, certains de ces accords autorisent, sous certaines conditions et restrictions, la fourniture de services juridiques en droit international et en droit étranger sur le territoire des États membres de l’Union européenne par les personnes physiques ou morales des États signataires que l’on qualifie parfois de « consultants juridiques étrangers » (foreign legal consultant).

À ce jour, plusieurs accords internationaux conclus par l’Union européenne comportant des dispositions relatives aux services juridiques sont déjà entrés en vigueur (Cariforum, Chili, Amérique centrale, Corée du Sud, Moldavie, Géorgie, Ukraine, Colombie, Pérou), sont signés mais non encore ratifiés (Équateur, Canada, Singapour, Kazakhstan, par ex.) ou sont en cours de négociation (not. Tisa, États-Unis, Inde, Japon, Mercosur, Mexique). Le comité services juridiques internationaux du Conseil des barreaux européens (CCBE) suit très attentivement les négociations et la conclusion de ces traités.

Ces accords commerciaux limitent, en ce qui concerne la fourniture de services juridiques, le champ d’activité du prestataire étranger à la fourniture de conseils juridiques en droit international ou en droit étranger. En revanche, ils excluent toute activité de représentation et d’assistance en justice dans l’État d’accueil ainsi que toute fourniture de conseil juridique en droit de l’État d’accueil ou en droit de l’Union européenne.

Ainsi que le précise le rapport accompagnant l’ordonnance remis au président de la République, ce nouveau dispositif « permettra, d’une part, d’étoffer la gamme des services proposés au sein des cabinets français à destination de leur clientèle et d’accroître, ainsi, leur compétitivité sur la scène internationale. L’ouverture effective des services juridiques à des avocats non ressortissants de l’Union européenne dans le cadre des traités facilitera, d’autre part, la conduite d’une stratégie plus offensive lors de futures négociations commerciales ». Il ne faut donc pas envisager ces nouvelles modalités d’exercice des avocats non européens de manière purement défensive dans le cadre de l’ordonnance du 27 avril 2018. Il convient aussi de se projeter sur les ouvertures offertes aux avocats français d’exercer à l’étranger dans le cadre des accords conclus par l’Union européenne.

Le dispositif de l’ordonnance du 27 avril 2018, calqué sur celui permettant aux avocats européens d’exercer en France de manière permanente sous leur titre professionnel d’origine (L. 1971, art. 83 s.), permet à un nombre limité d’avocats non européens (1) remplissant des conditions de recevabilité de leur demande d’autorisation d’exercer en France (2), d’obtenir un statut particulier pour exercer à titre occasionnel ou permanent (3) dans certains champs d’activités limités (4).

1. Les avocats non européens concernés par l’ordonnance du 27 avril 2018

1.1. Aux termes du nouvel article 101 de la loi de 1971, peut bénéficier de la nouvelle possibilité d’exercice en France ouverte par l’ordonnance du 27 avril 2018 « tout avocat inscrit au barreau d’un État non membre de l’Union européenne » dont l’État d’origine est lié avec l’Union européenne dans le cadre des traités internationaux qu’elle a conclus.

Il convient d’en tirer deux conséquences.

D’une part, seuls sont concernés les avocats des États non européens liés avec l’Union européenne par un accord commercial international prévoyant l’ouverture des services juridiques. En l’état, un nombre limité d’avocats peut donc bénéficier des nouvelles modalités d’exercice, sans qu’il soit possible de déterminer ex ante le nombre de consultants juridiques étrangers qui demanderont à exercer selon ces nouvelles modalités, dès lors que des négociations de traités de libre-échange sont en cours.

Les États avec lesquels les accords conclus ont été ratifiés par le Parlement français sont, à ce jour, les suivants : Cariforum (c’est-à-dire Antigua et Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Commonwealth de Dominique, République dominicaine, Grenade, République de Guyana, Haïti, Jamaïque, Saint-Christophe-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines, la République du Suriname, Trinidad et Tobago), Chili, Colombie, Pérou, Corée du Sud, Moldavie, Géorgie, Ukraine, Amérique centrale (c’est-à-dire Panama, Honduras, Costa Rica, Guatemala, El Salvador et Nicaragua). L’Union européenne a signé d’autres accords comportant des dispositions relatives à l’ouverture des services juridiques qui sont en cours de ratification par la France : l’accord d’association avec l’Equateur et les accords de libre-échange avec le Canada (CETA) et le Vietnam.

D’autre part, l’obligation de justifier d’une inscription au barreau exclut les personnes ne possédant pas le titre d’avocat inscrit au tableau au moment où ils font leur demande auprès du Conseil national des barreaux. Par analogie avec les exigences posées par l’article 100 du décret du 27 novembre 1991, on peut avancer que ce nouveau dispositif ne concerne pas les avocats omis ou ceux qui n’ont pas achevé leur stage professionnel dans leur État d’origine lorsque cette période de formation est requise avant l’inscription définitive au tableau.

1.2. Le champ d’application territorial des nouveaux articles 101 et suivants de la loi de 1971 interdit aux avocats non européens qui en bénéficient d’exercer à Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Barthélemy (L. 1971, art. 81 mod.).

Le rapport accompagnant l’ordonnance du 27 avril 2018 justifie cette double exclusion par le fait que « les accords conclus par l’intermédiaire de l’Union européenne ne s’appliquent pas aux pays et territoires d’outre-mer (PTOM) dont Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon font partie. Ces collectivités étant par ailleurs soumises au principe d’identité législative, il est nécessaire de les exclure expressément du champ d’application de l’ordonnance ».

2. Procédure et conditions à remplir pour bénéficier du statut de consultant juridique étranger

2.1. Une procédure d’autorisation confiée exclusivement au Conseil national des barreaux

Afin d’unifier l’interprétation et l’application du nouveau dispositif, le Conseil national des barreaux se voir doter d’une compétence supplémentaire de se prononcer sur les demandes d’autorisation d’exercer à titre temporaire et occasionnel ou permanent (L. 1971, art. 21-1, al. 7, 101, al. 6, 104, al. 1er).

Bénéficiant de l’expérience de la mise en œuvre de l’article 100 du décret du 27 novembre 1991 et de ses relations avec ses homologues étrangers, le Conseil national des barreaux est le plus qualifié pour procéder au contrôle des demandes des professionnels. Ce choix permet aussi de créer un « guichet unique » simplifiant les démarches des avocats non européens.

L’autorisation d’exercer à titre temporaire pendant un an n’emporte aucune obligation d’inscription au tableau d’un barreau français (L. 1971, art. 102), alors que les avocats non européens bénéficiant d’une autorisation permanente doivent être inscrits sur une liste spéciale du tableau du barreau de leur choix (L. 1971, art. 104, al. 1er).

La procédure applicable à la demande d’autorisation adressée au Conseil national des barreaux sera précisée par décret en Conseil d’État (L. 1971, art. 107).

2.2. Les conditions à remplir

L’avocat non européen souhaitant être autorisé à exercer à titre permanent ou temporaire sous son titre d’origine doit justifier des mêmes conditions de moralité que celles figurant dans les 4° (absence de condamnation pénale), 5° (absence de sanction disciplinaire ou administrative) et 6° (absence de faillite personnelle) de l’article 11 de la loi de 1971 (L. 1971, art. 101).

Il doit en outre justifier d’une assurance pour les risques correspondant aux exigences de l’article 27 de la loi de 1971. L’intéressé est réputé satisfaire à l’obligation prévue au premier alinéa de l’article 27 s’il justifie avoir souscrit, selon les règles de l’État où il est inscrit en tant qu’avocat, des assurances et garanties équivalentes. À défaut d’équivalence constatée par le Conseil national des barreaux, il est tenu de souscrire une assurance ou une garantie complémentaire (L. 1971, art. 101, 4°).

Il n’est pas tenu de se présenter à l’examen de contrôle des connaissances en droit français prévu par le dernier alinéa de l’article 11 de la loi de 1971 et l’article 100 du décret de 1991 pour être autorisé à exercer en France dans le cadre du nouveau titre VI de la loi de 1971.

3. Le statut des avocats non européens exerçant à titre occasionnel et permanent

3.1. La durée de l’exercice

L’exercice à titre temporaire est valable pour une durée d’un an (L. 1971, art. 102), alors qu’aucune limite de durée n’est prévue pour l’exercice à titre permanent.

L’avocat non européen exerçant à titre permanent en France privé temporairement ou définitivement du droit d’exercer sa profession ou son activité dans son État d’origine se voit retirer temporairement ou définitivement son droit d’exercer en France (L. 1971, art. 104, al. 5).

3.2. L’exercice en France se fait sous le titre professionnel d’origine

L’avocat non européen exerce son activité temporaire ou permanente de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui sous le titre professionnel de son État d’origine (L. 1971, art. 103, al. 1er, art. 105, al. 1er).

Afin de garantir une information précise du public, il doit faire suivre la mention de ce titre d’origine de l’énumération des domaines de droit dans lesquels il est habilité à intervenir en France (L. 1971, art. 101, 103 al. 1er, 105, al. 2). Ces mentions sont faites en français et dans la ou l’une des langues officielles de son État d’origine (L. 1971, art. 103, al. 1er et art. 105, al. 3).

3.3. Prestation de serment en cas d’exercice permanent

Seuls les avocats non européens autorisés à exercer à titre permanent et inscrits au tableau du barreau français de leur choix sont tenus de prêter le serment prévu par l’article 3 de la loi de 1971 (L. 1971, art. 104, al. 2).

3.4. Respect des règles déontologiques et professionnelles

De manière générale, l’avocat non européen demeure soumis aux conditions d’exercice et aux règles professionnelles applicables à la profession d’avocat dans l’État d’origine (L. 1971, art. 103 al. 2 et 104, al. 3).

Cependant, il est précisé pour l’avocat exerçant à titre temporaire qu’il est tenu de respecter les règles s’imposant aux avocats français, notamment celles concernant l’incompatibilité entre l’exercice, en France, de la profession d’avocat et celui d’autres activités, le secret professionnel, les rapports confraternels, la discipline et la publicité. Ces règles ne lui sont applicables que si elles peuvent être observées alors qu’il ne dispose pas d’un établissement en France et dans la mesure où leur observation se justifie objectivement pour assurer, en France, l’exercice correct des activités de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui et le respect des incompatibilités (L. 1971, art. 103, al. 3).

Quant à l’avocat exerçant à titre permanent et du fait de sa prestation de serment, il est tenu de respecter les règles déontologiques et professionnelles françaises qui s’imposent aux avocats inscrits à un barreau français (L. 1971, art. 104, al. 3).

3.5. Droit de vote aux élections professionnelles

Inscrit au tableau d’un barreau, l’avocat non européen bénéficie du droit de vote aux élections ordinales prévues par l’article 15 de la loi de 1971 ainsi qu’à celle du Conseil national des barreaux (L. 1971, art. 104, al. 4).

4. Les modalités d’exercice professionnel

4.1. Le champ d’activité autorisé

4.1.1. Le conseil juridique et la rédaction d’actes sous seing privé

Les avocats non européens autorisés à exercer à titre temporaire ou permanent ne peuvent pratiquer que l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui (L. 1971, art. 101, al. 1er, 102 et 104, al. 1er).

4.1.2. L’exclusion de la représentation en justice

Il résulte du silence des textes issus de l’ordonnance du 27 avril 2018 que les avocats non européens ne sont pas autorisés à représenter à ou à assister les parties en justice. Cette activité est en effet exclue du volet services juridiques des traités conclus par l’Union européenne.

4.1.3. Des matières limitées

L’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui est restreinte au droit international, au droit de l’État dans lequel l’avocat non européen est inscrit et des États dans lesquels il est habilité à exercer l’activité d’avocat, à l’exception du droit de l’Union européenne et du droit des États membres de l’Union européenne (L. 1971, art. 101, al. 1er). L’ordonnance du 27 avril 2018 a ainsi repris le cadre d’exercice fixé par les accords internationaux conclus par l’Union européenne.

4.2. Les structures d’exercice autorisées aux avocats non européens exerçant à titre permanent

Le nouvel article 106 de la loi de 1971 tire les conséquences de l’inscription au tableau d’un barreau de l’avocat non européen exerçant de manière permanente sous son titre d’origine.

L’avocat non européen peut ainsi exercer selon les modalités prévues aux articles 7 (exercice individuel ou en groupe, en tant que collaborateur libéral ou salarié) et 8 (groupements d’exercice) de la loi de 1971 (L. 1971, art. 106, al. 2). Il peut ainsi s’associer avec des avocats français ou d’autres avocats étrangers, y compris européens, inscrits à un barreau français.

Comme les avocats européens établis en France de manière permanente sous leur titre d’origine (L. 1971, art. 83 s.), l’avocat non européen peut, après en avoir informé le conseil de l’ordre qui a procédé à son inscription, exercer au sein ou au nom d’un groupement d’exercice régi par le droit de l’État d’origine dont les conditions relatives à la détention du capital et à l’usage de la dénomination du groupement sont définies par l’article 106, alinéa 2, de la loi de 1971.

Il peut également exercer en France au sein ou au nom d’une société régie par le droit de l’État d’origine et ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions judiciaires ou juridiques (L. 1971, art. 106, al. 7).