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Consultation du CE sur les comptes : quels documents pour l’expert-comptable ?

L’expert-comptable sollicité par un comité d’établissement dans le cadre de l’examen annuel des comptes doit avoir accès à tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise. L’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à disposition du comité, et par extension à disposition de l’expert désigné par ce dernier, les informations relatives aux deux années précédant le contrôle.

par Luc de Montvalonle 12 mai 2020

La faculté du comité social et économique de se faire assister par un expert-comptable ou un expert habilité (C. trav., art. L. 2315-78 et s.) était auparavant octroyée au comité d’entreprise, notamment dans le cadre de l’examen annuel des comptes (C. trav., anc. art. L. 2325-35 s.). Cette faculté est également reconnue par la Cour de cassation au bénéfice des différents comités d’établissement (Soc. 16 janv. 2019, n° 17-26.660, D. actu., 8 févr. 2019, obs. H. Ciray ; RDT 2019. 344, obs. L. Millet ; Rev. sociétés 2019. 418, obs. B. Saintourens ; 11 sept. 2019, n° 18-14.993). La mission de cet expert est d’assister le comité ; elle porte « sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise » (C. trav., anc. art. L. 2325-36). L’arrêt commenté, rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 25 mars 2020, concerne précisément les informations et documents pouvant être sollicités par un comité d’établissement afin de permettre à l’expert de remplir sa mission.

En l’espèce, le comité d’établissement de Guyane de la société EDF France avait voté le 21 janvier 2015 le recours à un expert-comptable pour l’assister dans l’examen des comptes de 2014 et des comptes prévisionnels pour 2015 de l’établissement, dans le cadre de l’examen annuel des comptes de l’entreprise. Le 10 mai 2016, ce comité a saisi le président du tribunal de grande instance d’une demande de communication de documents complémentaires. L’expert missionné par le comité est intervenu volontairement à la procédure. La cour d’appel de Paris, le 8 juin 2018, a débouté le comité d’établissement de ses différentes demandes. Ce dernier a formé un pourvoi en cassation.

Le comité sollicitait notamment la communication d’éléments relatifs à la rémunération des agents de l’établissement pour les années 2009 à 2011, ainsi que des éléments relatifs aux commandes passées par la société, avec des précisions relatives à l’activité concernée, au domaine d’achats et au segment d’achats, et ce pour les douze fournisseurs identifiés pour la période 2008 à 2011. Au moyen de son pourvoi, le comité arguait que l’expert-comptable devait déterminer seul les documents utiles à l’exercice de sa mission. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir considéré que les documents demandés excédaient les pouvoirs de l’expert et d’avoir décidé que la communication des documents au comité et à l’expert était limitée aux informations contenues dans la base de données économiques et sociales (BDES). Ce faisant, elle aurait violé les articles L. 2325-35 et suivants du code du travail en vigueur, relatifs aux missions de l’expert, ainsi que les articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du même code, relatifs au contenu de la BDES.

C’est sur le dernier point que s’est essentiellement prononcée la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 26 mars 2020 : l’expert-comptable chargé d’accompagner le comité d’établissement dans l’examen des comptes de l’entreprise, peut-il demander la communication de documents et informations qui n’ont pas à être intégrés dans la BDES ?

Aux termes de l’article L. 2323-7-2 du code du travail en vigueur au moment des faits, une base de données économiques et sociales, régulièrement mise à jour, constituait un corpus d’informations que l’employeur mettait à disposition des institutions représentatives du personnel, accessible en permanence aux membres de ces IRP ainsi qu’aux délégués syndicaux. Parmi ces informations figuraient celles relatives aux investissements (investissement social, matériel et immatériel) ou à l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants (pour plus de précisions, v. C. trav., anc. art. R. 2323-1-3 s.). L’article R. 2323-1-5 alors applicable précisait que « les informations figurant dans la base de données port[aient] sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles [pouvaient] être envisagées, sur les trois années suivantes ». La transmission de ces informations aux représentants du personnel via la BDES leur permettait d’exercer utilement leurs compétences (C. trav., anc. art. R. 2323-1-7). La BDES est désormais mise à la disposition des membres du CSE : son organisation, son architecture, son contenu et ses modalités de fonctionnement sont prévus par un accord d’entreprise (C. trav., art. L. 2312-12) ou, à défaut, par des dispositions supplétives (C. trav., art. L. 2312-36).

Pour écarter le moyen précédemment exposé, la Cour de cassation décide « qu’il résulte des dispositions des articles L. 2323-8 et R. 2323-1-5 du code du travail, alors applicables, que l’employeur remplit son obligation de communiquer les pièces utiles à la consultation annuelle sur les comptes, dès lors qu’il met à la disposition du comité d’entreprise, et par suite de l’expert désigné par ce dernier, le détail des éléments de rémunération ou des éléments concernant les fournisseurs relatifs à l’année qui fait l’objet du contrôle et aux deux années précédentes ». Or, le contrôle portait en l’espèce sur les comptes des années 2014 et 2015, tandis que les documents demandés concernaient les années 2008 à 2011.

Il résulte de cette décision que l’expert ne pouvait exiger la communication d’informations et de documents que l’employeur n’avait pas à communiquer au comité d’entreprise. Si l’expert détermine seul les documents utiles qu’il souhaite consulter (Soc. 8 janv. 1997, n° 94-21.475, D. 1997. 34 ; 5 févr. 2020, n° 18-24.174) et a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes (C. trav., anc. art. L. 2323-37 ; v. C. com., art. L. 823-13), il ne peut exiger la production et la communication de documents dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise (Soc. 27 mai 1997, n° 95-21.882). Or, en déterminant que les informations de la BDES portaient sur les deux années précédentes, la loi précisait les éléments qui devaient être considérés comme utiles à la réalisation des missions du comité d’entreprise et devant être produits par l’employeur en vue de la consultation de celui-ci sur les comptes de l’entreprise. Par extension, ces dispositions s’appliquaient également à l’expert chargé d’assister le comité dans l’exercice de ses missions.

Par ailleurs, le comité sollicitait également la communication d’informations relatives au calcul de son budget de fonctionnement pour 2014 et 2015. Pour rejeter sa demande, les juges du fond ont considéré qu’elles ne relevaient pas de l’expertise en vue de l’examen annuel des comptes organisé par l’article L. 2325-35 du code du travail alors en vigueur. Au moyen du pourvoi, le comité d’établissement avançait que la mission de l’expert-comptable portait sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation économique de l’établissement dans l’entreprise. Selon lui, les éléments de calcul de la subvention de fonctionnement dont il bénéficiait constituaient des données pertinentes à cette fin.

Cet argument n’a pas convaincu la Cour de cassation, qui valide le raisonnement des juges du fond ayant retenu « qu’aucune consultation n’étant prévue sur le montant des subventions versées chaque année au comité d’établissement, la contestation de ce montant supposait, dans le cadre d’une procédure en référé, que les conditions prévues par les articles 808 et 809 du code de procédure civile [urgence ou nécessité de prévenir un dommage ou de faire cesser un trouble manifestement illicite] soient remplies, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la demande avait été formée à l’occasion de la consultation sur les comptes annuels de la société sans que soient invoqués de motifs précis à l’appui de la demande ». Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence selon laquelle les documents demandés par l’expert doivent avoir un lien avec la mission qui lui a été confiée, les juges étant compétents pour contrôler l’existence de ce lien (Soc. 14 mars 2006, n° 05-14.148 ; 12 sept. 2013, n° 13-12.200, D. actualité, 24 sept. 2013, obs. W. Fraisse ).