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Les contentieux de l’État : un problème à 3 milliards

La commission des finances a adopté ce mercredi matin un rapport sur la la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État. Cette mission d’information, menée par les députés Véronique Louwagie (LR) et Romain Grau (LREM), dresse un constat alarmant et propose plusieurs solutions.

par Pierre Januelle 17 octobre 2018

3,6 milliards en moyenne

Le constat est alarmant : « chaque année, les dépenses associées aux contentieux attendraient 3,6 milliards d’euros en moyenne ». La provision pour litiges a quintuplé en dix ans pour s’approcher des 25 milliards d’euros. Une explosion qui s’explique par l’exposition croissante de l’État mais aussi par une amélioration du suivi.

Les seuls intérêts moratoires coûtent en moyenne 450 millions d’euros à l’État chaque année (1,12 milliard en 2017). À noter, le PLFR 2017 a diminué par deux le taux de ces intérêts (qui s’élève à 2,4 %)

La mission a eu accès aux principaux contentieux en cours. Ainsi par exemple, pour l’Intérieur, hors contentieux des étrangers, 18 354 contentieux sont en cours pour un montant provisionné total de 172 millions d’euros. Leur coût en 2017 fut de 118,6 millions. Ces chiffres sont plus importants dans d’autres ministères, comme la transition écologique. Les tarifs réglementés font ainsi l’objet d’un contentieux provisionné à plus de 600 millions d’euros. Mais les plus coûteux sont les contentieux fiscaux : 2 milliards d’euros annuels entre 2014 et 2016, avec un pic en 2017 à 7,6 milliards d’euros (contribution additionnelle de 3 %).

Deux contentieux majeurs : le précompte mobilier et la CSPE

La mission revient sur l’affaire précompte mobilier/Accor, qui a débuté en 2005, lorsqu’une vingtaine de sociétés mères françaises ont introduit des recours pour demander le remboursement de précompte mobilier payé. Le Conseil d’État avait décidé des modalités de calcul des restitutions à opérer. Mais la commission, considérant que l’interprétation du Conseil d’État ne respectait pas la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, l’a saisi d’un recours en manquement contre la France. Dans son arrêt du 4 octobre 2018 (V. Dalloz actualité, 9 oct. 2018, obs. E. Maupin isset(node/192583) ? node/192583 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192583), la Cour de justice a retenu deux des quatre griefs, un sur le fond (le Conseil d’État avait refusé de prendre en compte l’imposition déjà acquittée par les sous-filiales non françaises), l’autre sur la forme (le Conseil d’État avait omis de poser une question préjudicielle à la CJUE). Fin 2017, l’État avait provisionné prudemment 4,1 milliards d’euros. Le coût total devrait être moindre, seuls deux des quatre griefs ayant été retenus et les entreprises doivent fournir des justificatifs.

L’autre contentieux évoqué par la mission est l’affaire Messer France, relatif à la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Dans ses conclusions du 25 juillet dernier, la CJUE a considéré que la CSPE, dans sa version d’avant 2016, ne devait pas avoir des finalités de cohésion territoriale et sociale et des finalités administratives. Les contribuables peuvent donc prétendre à un remboursement partiel de CSPE.

Pour les députés, c’est une affaire emblématique. Les moyens mis en œuvre ne pouvaient permettre une gestion convenable de ce contentieux : seuls trois agents avaient été dévolus à la CRE pour gérer la CSPE. Face au flux des réclamations (55 000), les dossiers ont été stockés dans un entrepôt, sans suivi. L’enregistrement de la provision (1,25 milliard) n’a été fait que quatre mois avant la décision de la CJUE. Au final, le coût pourrait être moindre : l’annulation n’a été que partielle et seuls les contribuables n’ayant pas répercuté la taxe sur leurs propres clients pourront avoir droit au remboursement.

Différents axes de solutions

La mission relève « la difficulté à anticiper les évolutions de la jurisprudence communautaire ainsi que la technicité grandissante des affaires », avec une QPC qui est venue s’ajouter. En exemple, les parlementaires évoquent la double fragilité des taxes affectées : au regard du droit constitutionnel, ces taxes doivent cibler l’objectif poursuivi par le législateur et ne pas créer de différences de traitement injustifiées. Et au regard du droit européen, la CJUE peut retenir une conception extensive de la notion d’aide d’État.
Les députés soulignent une meilleure anticipation par l’État des risques contentieux et un meilleur dialogue avec la commission. Le PLF 2019 (V. Dalloz actualité, 25 sept. 2018, obs. J.-M. Pastor isset(node/192353) ? node/192353 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192353) prends ainsi en compte deux risques, qui ont abouti à la réforme du régime de l’intégration fiscale et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (V. Dalloz actualité, 3 juill. 2018, obs. J.-M. Pastor isset(node/191448) ? node/191448 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191448), afin de les sécuriser au regard du droit européen.

La mission souhaite toutefois que l’état budgète mieux les risques. La sous-budgétisation peut en effet empêcher la conclusion d’arrangements amiables, que la mission souhaite développer. Ces arrangements sont d’autant plus intéressants que la longueur des procédures engendre des intérêts moratoires conséquents.

Considérant que le recours aux avocats est loin d’être systématique dans tous les ministères, la mission suggère de considérer la création, au sein de l’administration publique, d’une filière d’« avocats d’État », rassemblant des agents spécialisés dans le conseil et le contentieux, s’inspirant de l’Abogacía General del Estado espagnol.

La mission attaque aussi le processus d’élaboration de la norme : la loi est trop souvent rédigée dans l’urgence, sans consultations préalables approfondies ni étude d’impact suffisante. La pratique de la consultation, qui se heurte à l’habitude du secret de l’administration, doit être étendue. Le Conseil d’État pourrait aussi être plus souvent saisi des amendements.

Dès identification du risque, le dispositif menacé devrait être plus rapidement réformé et l’organisation administrative adaptée afin de répondre au traitement des contentieux de série. Enfin, les députés insistent sur l’information du Parlement, par un rapport semestriel, avec des auditions à huis clos du ministre chargé du budget, par les commissions des finances.

 

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION

Proposition n° 1 : Favoriser la médiation lorsque cela est possible.
Proposition n° 2 : Envisager la constitution de pôles d’appui juridiques spécialisés lorsque cela est pertinent, en matière de marchés publics, par exemple.
Proposition n° 3 : Considérer la création d’une filière d’avocats d’État.
Proposition n° 4 : Lorsqu’est identifié un contentieux série dont le nombre de requêtes potentiel n’est pas connu, et dont le coût définitif est donc difficile à anticiper, procéder systématiquement à une évaluation, qui peut être confiée à une agence ou à un corps d’inspection.
Proposition n° 5 : Renforcer le contrôle des provisions pour litiges et des engagements « hors bilan » par la direction générale des finances publiques.
Proposition n° 6 : Identifier dans les projets et les rapports annuels de performances les dépenses contentieuses, et budgéter plus sincèrement leur montant.
Proposition n° 7 : Mieux prendre en compte les risques, et leurs éventuelles conséquences budgétaires, dès le stade de l’autorisation, en joignant au projet de loi de finances une annexe présentant, de manière synthétique, les éventuelles conséquences budgétaires associées aux procédures contentieuses et quasi-contentieuses en cours.

En matière spécifiquement fiscale :
Proposition n° 8 : Envisager rapidement une évolution des dispositifs fiscaux lorsqu’un risque contentieux est identifié, et faire appel pour cela, au besoin, à une expertise externe.
Proposition n° 9 : Pérenniser et poursuivre la systématisation des échanges internes aux ministères économiques et financiers.
Proposition n° 10 : Poursuivre l’amélioration du dialogue avec la Commission européenne.
Proposition n° 11 : Moderniser les systèmes d’information pour identifier au plus vite les dispositifs faisant l’objet de contentieux de série.
Proposition n° 12 : Adapter l’organisation administrative pour le traitement des contentieux de série, le cas échéant.
Proposition n° 13 : Conduire une revue d’ensemble des risques juridiques, en s’intéressant en priorité à certains dispositifs qui sont régulièrement contestés devant les tribunaux, et notamment aux taxes affectées.
Proposition n° 14 : Rechercher, à l’occasion de chaque modification législative, la simplification de la norme fiscale.
Proposition n° 15 : Développer et systématiser le recours aux consultations ouvertes préalables.
Proposition n° 16 : Faire des études d’impact de véritables outils d’évaluation, en indiquant si une consultation des autorités européennes a eu lieu, et joignant au document déposé les contributions reçues lors des consultations menées préalablement à la préparation du texte.
Proposition n° 17 : Solliciter le Conseil d’État sur les dispositifs ne figurant pas dans les projets de loi (déposées sous la forme d’une proposition de loi ou d’un amendement), notamment grâce à la procédure existante en matière de propositions de loi, et envisager une procédure d’analyse juridique des amendements en cours de discussion.
Proposition n° 18 : Transmettre chaque semestre, aux Présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées, un rapport présentant l’état des risques budgétaires associés aux contentieux fiscaux, devant les juridictions nationales (QPC notamment) et européennes, et prévoir une information de la commission à huis clos, sous la forme d’une audition du ministre chargé du budget.
Proposition n° 19 : Effectuer un suivi annuel des risques contentieux, au moment du « Printemps de l’évaluation ».