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Contestation d’un acte réglementaire : aboutissement ou révolution ?

Le Conseil d’État, dans sa formation la plus solennelle, précise les modalités selon lesquelles la légalité d’un acte réglementaire peut être contestée devant le juge administratif.

par Jean-Marc Pastorle 24 mai 2018

Les vices de forme et de procédure qui entachent un acte réglementaire, et qui seraient susceptibles d’entraîner son annulation, ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision refusant d’abroger cet acte réglementaire ou par voie d’exception. Dans son arrêt du 18 mai, l’assemblée du contentieux précise l’office du juge de l’excès de pouvoir au regard du principe de sécurité juridique.

L’obligation d’abroger les règlements illégaux a été reconnue très tôt par la jurisprudence lorsque l’illégalité survenait après l’édiction du règlement du fait de changements de circonstances (CE 10 janv. 1930, n° 97263, Despujol, Lebon 30 ). S’agissant des illégalités présentes dès l’édiction du règlement, si celles-ci étaient sanctionnées par une annulation du juge de l’excès de pouvoir, ou la reconnaissance d’une exception d’illégalité, perpétuelle contre les règlements (CE 24 janv. 1902, n° 00106, Avezard, Lebon ), la jurisprudence a été plus réticente à admettre qu’elles puissent avoir pour effet de contraindre l’administration à procéder à une abrogation. L’arrêt Compagnie Alitalia a transformé cette réticence en obligation de faire pour l’administration, érigeant cette règle en principe général du droit (CE, ass., 3 févr. 1989, n° 74052, Compagnie Alitalia, Lebon 44 ; AJDA 2014. 99, chron. M. Guyomar et P. Collin ). Consacrée par la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, cette règle est désormais codifiée à l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration.

Exception d’illégalité et refus d’abroger

L’acte réglementaire litigieux, en l’espèce, est le décret n° 2017-436 du 29 mars 2017 fixant la liste des emplois que les établissements publics administratifs peuvent pourvoir par recrutement de contractuels. La CGT des services des ministères économiques et financiers et du Premier ministre (2e espèce), qui l’a directement attaqué dans le délai de recours, estimait qu’en tant qu’il concerne l’Institut national de la propriété intellectuelle, il méconnaîtrait les critères légaux ouvrant un droit dérogatoire au recrutement de contractuels. Sur ce point, le Conseil d’État apporte une précision nouvelle : « la possibilité pour un établissement public administratif de l’État de pourvoir, sur son fondement, à des emplois permanents en recourant à des agents contractuels recrutés par contrat à durée indéterminée, par dérogation à la règle selon laquelle ces emplois sont occupés par des fonctionnaires, est subordonnée à l’absence de corps de fonctionnaires possédant les qualifications professionnelles particulières requises pour occuper ces emplois afin d’exercer les missions spécifiques de cet établissement public. »

Le litige, ne portait que sur le refus d’abroger sans qu’il soit question d’exception d’illégalité. Le Conseil d’État va néanmoins étendre son raisonnement à cette question – excédant au passage le périmètre du litige – comme l’y avait invité le rapporteur public sur cette affaire, Aurélie Bretonneau.

« Le contrôle exercé par le juge administratif sur un acte qui présente un caractère réglementaire porte sur la compétence de son auteur, les conditions de forme et de procédure dans lesquelles il a été édicté, l’existence d’un détournement de pouvoir et la légalité des règles générales et impersonnelles qu’il énonce, lesquelles ont vocation à s’appliquer de façon permanente à toutes les situations entrant dans son champ d’application tant qu’il n’a pas été décidé de les modifier ou de les abroger. » précise l’assemblée du contentieux.

« Le juge administratif exerce un tel contrôle lorsqu’il est saisi, par la voie de l’action, dans le délai de recours contentieux. En outre, en raison de la permanence de l’acte réglementaire, la légalité des règles qu’il fixe, comme la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l’ordre juridique. […] Après l’expiration du délai de recours contentieux, une telle contestation peut être formée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour l’application de l’acte réglementaire ou dont ce dernier constitue la base légale. Elle peut aussi prendre la forme d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger l’acte réglementaire ».

Vices de fond et vices de forme

Tirant les conséquences de cette analyse, la haute juridiction estime que « si, dans le cadre de ces deux contestations, la légalité des règles fixées par l’acte réglementaire, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux. »

Se fondant sur cette nouvelle grille, le Conseil d’État rejette les deux recours. Si l’arrêt Cie Alitalia a marqué incontestablement le début d’une révolution pour la juridiction administrative (M. Guyomar et P. Collin, Le début d’une révolution pour la juridiction administrative, AJDA 2014. 99 ), Aurélie Bretonneau, dans ses éclairantes conclusions, estimait que le pas supplémentaire que devait franchir la haute juridiction tenait de l’aboutissement plus que de la révolution.