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Contestation de crime contre l’humanité : Alain Soral condamné à un an d’emprisonnement ferme

Par jugement du 15 avril 2019, le tribunal correctionnel de Paris a condamné le polémiste à un an d’emprisonnement ferme pour avoir mis en ligne les conclusions de l’avocat qui l’avait défendu après la publication d’un dessin insinuant que la Shoah serait un mensonge.

par Sabrina Lavricle 17 mai 2019

Le 14 mars 2017, Alain Soral était condamné par le tribunal correctionnel de Paris, pour injure raciale et contestation de crime contre l’humanité, pour avoir publié à l’adresse egaliteetreconciliation.fr la une d’un journal intitulé Chutzpah Hebdo représentant le visage souriant de Charlie Chaplin ainsi qu’un savon gravé de l’étoile de David, un abat-jour, une chaussure et une perruque, liés à des bulles indiquant « ici », « là », « et là aussi », en réponse à la question posée par le personnage : « Shoah où t’es ? » ; ce dessin, faisant référence à la une publiée par Charlie Hebdo (« Papa où t’es ? ») au lendemain des attentats de Bruxelles, était en outre accompagné de la mention « historiens déboussolés ». Le 13 novembre 2017, plusieurs associations de lutte contre le racisme signalèrent au procureur de la République qu’avait été mis en ligne, sur le même site, un article intitulé « Trois mois de prison ferme requis contre Alain Soral pour le dessin Shoah où tu es », qui reprenait les conclusions développées par l’avocat de l’intéressé devant la cour d’appel de Paris, lesquelles proposaient une exégèse du dessin en question (expliquant notamment que la coupe des cheveux était pratiquée pour l’hygiène, que la récupération des chaussures était normale en temps de pénurie, que le savon et l’abat-jour faisaient référence à la propagande de guerre). C’est pour cette publication qu’Alain Soral et son avocat étaient ici poursuivis sur le fondement de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le premier pour contestation de crime contre l’humanité, le second pour complicité de ce délit.

Dans son jugement, le tribunal de Paris, s’appuyant sur plusieurs décisions antérieures, dont un arrêt de la chambre criminelle du 22 janvier 2019 concernant le même prévenu, relève d’abord qu’Alain Soral avait bien la qualité de directeur de la publication de « egaliteetconciliation » aux termes de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et qu’il engageait ainsi sa responsabilité comme auteur principal de l’infraction de presse poursuivie.

Sur la caractérisation du délit, le tribunal rappelle ensuite qu’« il est de jurisprudence constante que le délit prévu et réprimé par l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 est également constitué lorsque la contestation des crimes contre l’humanité est présentée sous une forme déguisée, dubitative ou par voie d’insinuation ou lorsque les propos reprochés reflètent une minoration outrancière du nombre des victimes de la politique d’extermination ou une relativisation des crimes commis à ce titre, dès lors que leur auteur est de mauvaise foi » (v. par ex. Crim. 17 juin 1997, n° 94-85.126, D. 1998. 50, note J.-P. Feldman ; RSC 1998. 576, obs. J. Francillon ; 29 janv. 1999, n° 96-82.731, Gaz. Pal. 1998. 1, chron. crim. 87 ; 12 sept. 2000, n° 98-88.200, Dr. pénal 2001. 4, obs. M. Véron). Il reprend alors l’analyse qui a été faite par les juridictions saisies du dessin litigieux (« constitua[n]t une présentation outrancière et injurieuse de la Shoah », et « insinua[n]t clairement chez le lecteur l’idée que la Shoah serait un mensonge, caractérisant ainsi la volonté de l’auteur du dessin de vouloir contester la réalité de ce génocide ») pour estimer que les conclusions de l’avocat en sont en quelque sorte la prolongation : ainsi, « par des explications qui se veulent historiques, voire scientifiques, elles continuent à propager l’idée que la Shoah serait un mensonge et le nombre de victimes du génocide ». Le tribunal relève en particulier que « les chaussures, les cheveux, savons et abat-jours sont des symboles particulièrement importants […] auxquels les prévenus se sont attaqués en minorant leur importance, voire en les ridiculisant ». Le prévenu et son complice au sens de la loi sur la presse (dont les propos, dont il savait qu’ils seraient publiés, ne sont couverts ni par l’immunité des débats judiciaires de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 – qui ne s’applique qu’aux diffamations, injures et outrages – ni par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – la négation ou la révision de faits historiques clairement établis tels que l’Holocauste étant soustraite à sa protection ; v., cité par le tribunal, CEDH 24 juin 2003, Garaudy c. France, n° 65831/01, D. 2004. 239 , note D. Roets ; ibid. 987, obs. J.-F. Renucci ; v. récemment, CEDH, 5e sect., 31 janv. 2019, n° 64496/17, Williamson c. Allemagne, Dalloz actualité, 13 févr. 2019, obs. S. Lavric isset(node/194416) ? node/194416 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194416) sont déclarés coupables. Le tribunal inflige une peine d’amende d’un montant de 5 000 € au complice, dont c’est la première condamnation. Au contraire, pour Alain Soral, qui « a fait de l’antisémitisme et du négationnisme un “fonds de commerce” », la peine prononcée est d’un an d’emprisonnement ferme (soit le quantum maximal encouru).

On signalera, comme la presse généraliste s’en est fait l’écho (v. par ex. Le Monde, 7 mai 2019, « "Un Munich judiciaire" : polémique autour du mandat d’arrêt contre Alain Soral »), que le tribunal a décerné mandat d’arrêt à son encontre. Néanmoins, l’article 465 du code de procédure pénale, qui permet au tribunal, par décision spéciale et motivée, de décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu quand la peine prononcée est au moins d’une année d’emprisonnement sans sursis, s’applique « s’il s’agit d’un délit de droit commun ou d’un délit d’ordre militaire prévu par le livre III du code de justice militaire ». Le délit en cause étant un délit de presse (car défini par la loi du 29 juillet 1881), le parquet de Paris ne l’a pas exécuté.