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Contestation des listes électorales et régularité des élections : la question de la compétence territoriale du tribunal

L’action en contestation de l’inscription sur les listes électorales et de l’éligibilité d’une catégorie de personnel doit être portée devant le tribunal du lieu de dépouillement et de proclamation des résultats dès lors qu’elle vise la régularité des élections.

par Clément Couëdelle 21 avril 2020

Destiné à établir les modalités du scrutin, son organisation et son déroulement, le protocole d’accord préélectoral fait l’objet d’un contentieux que l’on sait important. C’est en effet à l’issue des négociations du protocole préélectoral qu’est notamment fixée la répartition des sièges et des électeurs au sein des collèges (C. trav., art. L. 2314-6). Les litiges relatifs à l’électorat, à la composition des listes de candidats et à la régularité des opérations électorales sont de la compétence du juge judiciaire (C. trav., art. L. 2314-32). Reste à déterminer quelle juridiction est territorialement compétente lorsque la contestation porte sur l’inscription sur les listes électorales et sur l’éligibilité d’une catégorie de personnel. La chambre sociale nous donne quelques éléments de compréhension dans un arrêt en date du 11 mars 2020.

Dans les faits, la société Mediapost avait procédé au renouvellement de ses institutions représentatives du personnel entre les 23 et 29 janvier 2019. Les élections des membres aux comités sociaux et économiques de la société étaient encadrées par un protocole d’accord préélectoral valablement signé le 10 juillet 2018. Contestant ce protocole en raison de l’absence d’exclusion d’une catégorie de salariés comme éligibles et électeurs, la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications (FSSUDA) avait saisi le tribunal d’instance de Paris, le 13 décembre 2018, pour faire modifier les listes électorales, puis le 11 février 2019, pour faire annuler le premier tour des élections des membres titulaires et suppléants de l’ensemble des comités sociaux et économiques, pour le troisième collège. Par jugement rendu le 20 avril 2019, le tribunal d’instance de Paris se déclarait incompétent au profit du tribunal d’instance d’Antony, en relevant que le litige en cause portait sur la régularité des élections. La Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications formait alors un pourvoi en cassation au moyen que l’action visait la contestation de l’inscription sur les listes électorales et de l’éligibilité d’une catégorie de personnel. Dès lors que le litige concernait à l’origine les dispositions d’un accord préélectoral unique organisant les élections d’un comité social et économique central et de plusieurs comités sociaux et économiques d’établissements d’une entreprise, le syndicat estimait que le tribunal d’instance territorialement compétent était celui dans le ressort duquel le protocole d’accord préélectoral avait été signé et les listes électorales élaborées.

La chambre sociale ne suit pas un tel raisonnement et rejette le pourvoi : « s’agissant d’une contestation de l’inscription sur les listes électorales et de l’éligibilité d’une catégorie de personnel, le tribunal d’instance a exactement retenu que le litige portait sur la régularité des élections. Ayant constaté que, conformément au protocole d’accord préélectoral unique organisant les élections au sein de tous les comités sociaux et économiques de l’entreprise, le dépouillement et la proclamation des résultats avaient été centralisés dans un même lieu situé hors de son ressort, le tribunal d’instance a pu en déduire que ce litige ne relevait pas de sa compétence, peu important que le protocole d’accord préélectoral ait été signé dans son ressort ». Dans la mesure où l’action visait, de manière subséquente, l’annulation des élections de l’ensemble des comités sociaux et économiques, la juridiction territorialement compétente était, en application de la jurisprudence, le tribunal d’instance d’Antony.

Cette solution paraît tout à fait audible. À l’origine, le syndicat mettait en cause la régularité des listes électorales en ce que le protocole d’accord préélectoral incluait les responsables de plateformes ou de sites, alors même qu’ils étaient exclus s’agissant des représentants de proximité. On le sait, les cadres dirigeants sont, tout comme les mandataires sociaux, exclus du vote au terme de l’article L. 3111-2 du code du travail. Par ailleurs, les « cadres détenant sur un service, un département ou un établissement de l’entreprise une délégation particulière d’autorité établie par écrit permettant de les assimiler à un chef d’entreprise, sont exclus de l’électorat et de l’éligibilité aux fonctions de délégués du personnel et de membre du comité d’entreprise pour la durée d’exercice de cette délégation particulière » (Soc. 6 mars 2001, n° 99-60.553, D. 2001. 979 ). En l’occurrence, le protocole d’accord préélectoral litigieux avait été conclu à Paris. Les listes électorales avaient également été élaborées à Paris. Pour le demandeur au pourvoi, la juridiction territorialement compétente était donc le tribunal d’instance de Paris.

Néanmoins, force est de constater que certaines irrégularités qui relèvent initialement du contentieux de l’électorat sont de nature à impacter la validité des élections professionnelles et donc l’issue du scrutin. En ce sens, la Cour de cassation a admis que soit à la fois introduit un recours en contestation des listes électorales dans les 3 jours suivant leur publication et un recours en contestation des résultats dans les quinze jours de leur proclamation (Soc. 7 févr. 2018, n° 16-20.944). Tel est notamment le cas dans l’hypothèse d’une contestation portant sur l’inclusion dans l’effectif et l’inscription sur la liste électorale d’une catégorie de salariés (Soc. 24 mai 2006, n° 05-60.295 ; 13 nov. 2008, n° 08-60.331, D. 2009. 590, obs. G. Borenfreund, L. Camaji, A. Fabre, O. Leclerc, T. Pasquier, E. Peskine, J. Porta et C. Wolmark ; 10 oct. 2012, n° 11-60.196) ou sur l’éligibilité d’un salarié, à raison du caractère injustifié de l’inscription sur une liste électorale au motif qu’il est assimilé à l’employeur (Soc. 14 déc. 2015, n° 14-26.046).

Dans la mesure où le litige concerne l’inscription sur les listes électorales d’une catégorie de personnel et son éligibilité, il convient d’admettre qu’il relève, de fait, du contentieux relatif à la régularité des élections professionnelles. De là, la Haute juridiction fait application de la jurisprudence classique et en déduit que le tribunal d’instance géographiquement compétent est celui dans le ressort duquel les opérations électorales se sont tenues. D’un point de vue pratique, il s’agit soit de l’établissement dans lequel les élections ont eu lieu, soit du siège social de l’entreprise lorsque les votes de l’ensemble des établissements y ont été dépouillés et les résultats proclamés (Soc. 12 juin 1981, n° 81-60.021). Tel était le cas en l’espèce. D’une certaine manière, le contentieux tenant à la régularité des élections absorbe le contentieux relatif à l’inscription sur les listes électorales et à l’éligibilité d’une catégorie de personnel. Le caractère connexe des actions est indéniable, elles se trouvent ainsi amalgamées en tenant compte de leur finalité : l’annulation des élections professionnelles.