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Contestations relatives à la composition d’une chambre de cour d’appel

Par un arrêt du 10 juin 2021, la deuxième chambre civile fournit des précisions intéressantes suite au remplacement, dans des conditions contestées par l’une des parties, de deux des trois magistrats de la chambre appelée à statuer.

par François Mélinle 28 juin 2021

Deux avocats ayant un différend concernant une rétrocession d’honoraires saisirent le bâtonnier du barreau auprès duquel ils étaient inscrits (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat, art. 179-1). Un appel fut ensuite formé par l’un d’eux contre la décision du bâtonnier (Décr. n° 91-1197, art. 152 et 179-6) puis un pourvoi en cassation.

Deux critiques, peu banales, furent alors soulevées au regard de la composition de la chambre de la cour d’appel ayant statué.

En premier lieu, le demandeur au pourvoi fit valoir que la décision avait été rendue par une chambre de la cour d’appel mais que la formation comportait deux magistrats appartenant à une autre chambre, dont la présidente, alors que les parties n’avaient pas été informées de l’empêchement du président de la première chambre et qu’il n’avait pas été justifié de la régularité de son remplacement.

La branche du moyen est sèchement écartée, au motif que « l’affaire pouvait être délibérée par (cette présidente) sans qu’il soit nécessaire de justifier des raisons pour lesquelles elle faisait partie de la composition en remplacement d’un autre magistrat ».

L’arrêt du 10 juin 2021 s’explique aisément, au regard des dispositions du code de l’organisation judiciaire. L’article L. 121-3 dispose que le premier président de la cour d’appel répartit les juges dans les différents pôles, chambres et services de la juridiction. Selon l’article R. 121-1, cette répartition s’effectue par ordonnance, qui peut être modifiée en cours d’année, pour prendre en compte un changement dans la composition de la juridiction ou pour prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés annuels. Enfin, l’article R. 312-3 ajoute que les présidents de chambre sont, en cas d’absence ou d’empêchement, remplacés pour le service de l’audience par un magistrat du siège désigné conformément à l’article L. 121-3 ou, à défaut, par le magistrat du siège présent dont le rang est le plus élevé. En cas d’absence ou d’empêchement d’un conseiller, celui-ci est remplacé par un autre conseiller de la cour.

Il ne résulte pas en effet de ces dispositions qu’il soit nécessaire d’informer les parties des empêchements des magistrats ni des conditions des remplacements des magistrats absents, et ce d’autant plus que l’ordonnance dite de roulement, prise en application de l’article L. 121-3, prévoit habituellement, de manière générale, qu’un magistrat absent ou empêché peut être remplacé par tout magistrat du siège de la cour considérée.

En second lieu, le demandeur au pourvoi souleva une autre critique, liée au fait que l’audience avait été tenue, selon l’expression habituelle, à juge rapporteur. On sait en effet que l’article 945-1 du code de procédure civile dispose que « le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries » et qu’« il en rend compte à la cour dans son délibéré ».

Cet article 945-1 est d’application habituelle. Cependant, sa mise en œuvre était ici à l’origine d’une difficulté car si les parties avaient eu connaissance avant l’audience du nom du juge rapporteur, elles n’avaient connu les noms des deux autres magistrats que postérieurement à l’ouverture des débats. Or, cette connaissance différée des noms des magistrats composant la formation était, selon le moyen, problématique car elle n’aurait pas permis d’exercer, le cas échéant, le droit de récusation en temps utile.

Ce moyen est toutefois rejeté en application de l’article 430 du code de procédure civile qui retient que la juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l’organisation judiciaire (al. 1) et que les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d’irrecevabilité, dès l’ouverture des débats ou dès la révélation de l’irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d’office (al. 2). Il résulte en effet de ces dispositions que si une partie représentée à l’audience a eu connaissance de la composition de la formation de la cour d’appel dès l’ouverture des débats, elle doit la contester devant les juges du fond (par ex. Com. 27 sept. 2017, n° 15-27.369 ; v., sur l’ensemble de la question, N. Fricero, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2021/2022, n° 511.53). En revanche, les contestations demeurent possibles devant la Cour de cassation si la révélation de l’irrégularité a été tardive (par ex. Civ. 2e, 4 janv. 1984, n° 82-12.435, Gaz. Pal. 1984. 1. Pan. 156, obs. S. Guinchard, à propos d’une décision d’appel rendue par une formation composée de deux magistrats, en violation de la règle de l’imparité). C’est que ce qui conduit l’arrêt du 10 juin 2021 à énoncer que « la partie dont l’affaire est examinée par un juge rapporteur et qui n’a pas été mise en mesure de connaître la composition de la juridiction appelée à statuer, au plus tard au moment de l’ouverture des débats, peut (…) invoquer devant la Cour de cassation le défaut d’impartialité des magistrats autres que le rapporteur ». Encore faut-il évidemment que la contestation soit fondée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque le demandeur au pourvoi faisait état d’une atteinte à l’impartialité sans l’établir.