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Contrefaçon de logiciel et relations contractuelles

L’articulation entre l’action en contrefaçon et en responsabilité contractuelle en matière de logiciel n’est pas un débat nouveau. Cependant, la Cour d’appel de Paris dans cet arrêt en date du 8 décembre 2023 offre une illustration de la jurisprudence européenne et affirme la spécialité de l’action en contrefaçon dès lors que la protection de propriétés intellectuelles est en jeu. En outre, elle permet de s’interroger également sur d’autres points procéduraux comme la preuve de l’originalité ou de la contrefaçon.

La caractérisation de la contrefaçon de logiciels peut s’avérer épineuse lorsque le contrat qui en permettait l’utilisation est finalement rompu. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris illustre particulièrement cette situation d’une part, mais elle évoque également la question de la charge de la preuve de l’originalité du logiciel d’autre part. L’intérêt de son étude apparaît dès lors double.

Dans cette affaire, la société Lundi Matin est éditrice de logiciels et d’applications mobiles de gestion. Ainsi, si elle est notamment à l’origine de logiciels ERP (Entreprise ressource planning – ce sont des logiciels de gestion d’entreprise) en open source, le litige ci-présent porte essentiellement sur un logiciel de caisse distribué sous licence propriétaire intitulé « Rovercash ». En effet, ce logiciel distribué en SaaS (Software as a Service), va être utilisé comme une base au logiciel « Genius » développé par La Poste. L’utilisation n’est cependant pas initialement contrefaisante, puisque plusieurs contrats sont signés entre la société Lundi Matin et La Poste afin de prévoir cette collaboration et le développement interne de « Genius ». Seulement, le dernier contrat signé entre les parties est arrivé à échéance le 6 avril 2017, et les négociations pour un nouveau contrat sont rompues par la société éditrice, La Poste ayant formulé le souhait de « s’émanciper de ses applications ».

Or, dès le 3 avril 2017, La Poste commercialise sa solution « Genius » sur le PlayStore de Google. C’est précisément cette commercialisation, intégrant la solution « Rovercash » de Lundi Matin, qui fera l’objet d’une action en contrefaçon.

Le Tribunal judiciaire de Paris, saisi de l’affaire, condamne La Poste par un jugement en date du 6 juillet 2021, mais c’est pourtant la société Lundi Matin qui interjette appel de la décision. En effet, les juges du fond avaient retenu la contrefaçon de logiciel, seulement les montants des dommages et intérêts (145 620 €) sont contestés par la société appelante. Néanmoins, les arguments invoqués par les parties présentent de fortes similitudes avec la première instance. D’une part l’appelante demande que soit reconnue la contrefaçon du logiciel « Rovercash » – et ipso facto d’en affirmer l’originalité – pour les utilisations au-delà des limites fixées dans les contrats. D’autre part, l’intimée avance que l’action de l’appelante en contrefaçon est infondée. En effet, selon elle, le litige concerne le contenu et les obligations issues des contrats qui les liaient ; de surcroît, l’action doit être regardée comme un litige commercial et non une action en contrefaçon. Puis, classiquement, l’intimée argue de l’absence de preuve de l’originalité du logiciel.

Les juges de la Cour d’appel de Paris ont ainsi eu à appliquer la décision récente de la Cour de justice de l’Union européenne du 18 décembre 2019 (CJUE 18 déc. 2019, IT Development c/ Free Mobile, aff. C-666/18, D. 2020. 12 ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJ contrat 2020. 89 , obs. A. Gendreau ; Dalloz IP/IT 2020. 490, obs. P. Léger ; RTD com. 2020. 94, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2021. 996, obs. E. Treppoz  ; CCE 2020. Comm. 23, note C. Caron ; Propr. intell. 2020, n° 75, p. 104, note A. Lucas) sur la recevabilité d’une action en contrefaçon face à la violation d’une clause d’un contrat de licence logiciel. La Cour eut également, de manière plus classique, à juger de la démonstration de l’originalité d’un logiciel, mais aussi d’admission d’une preuve de la contrefaçon. L’ensemble de l’arrêt apporte ainsi un éclairage important d’un point de vue procédural et son intérêt pratique est indéniable.

Le jugement de première instance sera confirmé par la cour d’appel à l’exception de l’évaluation des dommages et intérêts, plus élevés cette fois-ci. Toutefois, il est intéressant d’examiner la décision au regard des affirmations qu’elle emporte sur les liens entre l’action en contrefaçon et la responsabilité...

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