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Contrefaçon : négation de l’immunité de juridiction à une télévision publique étrangère

En application de l’article 14 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États, un service public de télévision espagnole ne peut se soustraire de la compétence des juridictions françaises dans un litige en matière de contrefaçon. Le règlement Bruxelles I bis serait donc applicable pour déterminer la compétence juridictionnelle internationale.

L’arrêt rendu en date du 29 septembre 2023 par la deuxième chambre du pôle 5 de la Cour d’appel de Paris illustre les difficultés d’appréciation dans l’applicabilité des règles de compétences juridictionnelles internationales en présence de personnes publiques. Il met particulièrement en lumière le problème de la distinction entre, d’une part, la question des immunités juridictionnelles des États et, d’autre part, celle de l’inapplicabilité du règlement Bruxelles I bis aux matières de droit public.

Le litige oppose un auteur à YouTube et à un service public de télévision espagnole (la RTVA - Service public de radio et de télévision créé par la loi espagnole du 17 déc. 2007 et appartenant à la Communauté autonome d’Andalousie). L’auteur reproche à ces derniers la captation illicite de l’une de ses œuvres sur une vidéo coproduite par YouTube et la RTVA et diffusée sur la chaîne YouTube de cette dernière. Assignée devant le Tribunal judiciaire de Paris, la RTVA soulève l’incompétence matérielle et territoriale de cette juridiction. Elle estime d’abord qu’en raison de la mission de service public qu’elle accomplit et de la nature administrative du contentieux, seules les juridictions administratives espagnoles seraient compétentes pour connaître de cette affaire. Ensuite, en raison de son statut de service public, elle considère également devoir bénéficier d’une immunité de juridiction qui la soustrairait de la compétence des juridictions françaises. L’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir ont été rejetées par le Tribunal judiciaire de Paris.

Son ordonnance est confirmée par la présente décision tant sur la négation de l’immunité juridictionnelle que sur l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis. Le raisonnement de la Cour sur ces deux questions appelle cependant quelques observations.

Rejet de l’immunité de juridiction

Pour se soustraire à la compétence des juridictions françaises, la RTVA indique être un organisme public ayant diffusé l’œuvre litigieuse dans le cadre de sa mission de service public. Elle estime à cet égard bénéficier d’une immunité de juridiction en raison de son statut. L’argument est rejeté par la Cour, qui se fonde directement sur l’article 14 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (v. à propos de cette convention, I. Pingel, JDI 2005. 1045 ; P. Leboulanger, Rev. arb. 2005. 529). Il est vrai que le point b) de cette disposition dispose en substance que, sauf convention contraire, un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compétent dans une procédure se rapportant à une allégation de non-respect par l’État étranger, sur le territoire de l’État du for, d’un droit de propriété intellectuelle appartenant à un tiers et protégé par l’État du for. Par conséquent, le bénéfice de l’immunité de juridiction est exclu, même pour les États en cas de violation d’un droit de propriété intellectuelle.

Cependant, le problème qui nous occupe n’est pas celui de l’application de la convention, mais celui de son applicabilité. Rappelons tout d’abord que cette convention n’est pas encore en vigueur dans l’ordre international. Certes, la loi française autorisant sa ratification a été votée en juin 2011 (Loi n° 2011-734 du 28 juin 2011).

Toutefois, aux termes de l’article 30 de la Convention, celle-ci n’entrera en vigueur que le jour suivant la trentième ratification. Or, actuellement, seulement vingt-trois instruments de ratification ont été déposés (parmi lesquels ceux de la France et de l’Espagne).

Avant toute chose, c’est donc la question de l’impérativité de cette convention qui se pose en France. À ce propos, bien que non encore en vigueur, la CEDH a pu en affirmer la force contraignante de...

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