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Contrefaçon sur internet : une histoire de famille

Le détenteur d’une connexion à internet, par laquelle des atteintes aux droits d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut pas  s’exonérer de sa responsabilité en désignant simplement un membre de sa famille qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion.

par Jeanne Daleaule 7 novembre 2018

La directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information en son article 8 laisse la main aux États membres pour prévoir les sanctions adéquates en cas d’atteinte au droit d’auteur et droits voisins. Ces dispositions ont servi de fondement pour monter l’édifice jurisprudentiel de la responsabilité des fournisseurs d’accès à internet (v. not. CJUE 27 mars 2014, aff. C-314/12, UPC Telekabel Wien (Sté) c/ Constantin Film Verleih (Sté), D. 2014. 1246 , note C. Castets-Renard ; ibid. 2078, obs. P. Sirinelli ; RTD com. 2014. 609, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 2015. 173, obs. F. Benoît-Rohmer ; JCP E 2015, n° 1063, note Busseuil ; Propr. intell. 2015, n° 54, p. 51, note Bruguière ; RIDA avr. 2014, p. 375, obs. Sirinelli).

L’article 3 du même texte sur le droit de communication d’œuvres au public et le droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés impose aux États membres de prévoir pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil.

Par ailleurs, l’article 3, paragraphe 2, de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle dispose que « les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif ».

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans cet arrêt du 18 octobre 2018, procède à une interprétation combinée de l’ensemble de ces dispositions.

La question qui était posée à la CJUE par la juridiction allemande était de savoir si les sanctions visées par l’article 3 de la directive du 29 avril 2004, dans un contexte de partage de fichiers contrefaisant, restaient « efficaces et dissuasives » si le titulaire de la connexion à internet désigne un autre membre de la famille sans donner davantage de précisions tirées de recherches faites sur le moment et la nature de l’utilisation d’internet par ce membre de la famille.

En l’espèce, le titulaire d’une connexion à internet était poursuivi pour avoir mis à disposition un livre audio aux fins de son téléchargement via un réseau de peer to peer. En défense, il invoque le fait que ses parents vivaient sous le même toit que lui et utilisaient également l’accès à internet. Il ajoute que son ordinateur n’était pas allumé au moment du téléchargement illégal.

La CJUE rappelle que l’objectif de la législation européenne est d’instaurer un niveau élevé de protection du droit d’auteur et des droits voisins car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Et ce en garantissant un certain équilibre avec le droit au respect de la vie privée et familiale.

En l’occurrence, la jurisprudence allemande prévoit que le détenteur d’une connexion à internet est présumé être l’auteur de cette atteinte, dès lors qu’il a été identifié avec exactitude au moyen de son adresse IP et qu’aucune autre personne n’avait la possibilité d’accéder à cette connexion au moment où cette atteinte a eu lieu. Cette présomption simple peut être renversée par le seul fait de désigner une autre personne ayant accès à cette connexion internet. L’auteur présumé ne doit donc fournir aucune preuve liée à l’atteinte au droit d’auteur. On peut s’interroger, en effet, sur l’effectivité de la sanction dans ce cas.

La Cour de justice de l’Union européenne considère que les textes ci-dessus cités doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, interprétée par la juridiction nationale compétente, en vertu de laquelle le détenteur d’une connexion à internet, par laquelle des atteintes au droit d’auteur ont été commises au moyen d’un partage de fichiers, ne peut voir sa responsabilité engagée, dès lors qu’il désigne à tout le moins un membre de sa famille qui avait la possibilité d’accéder à cette connexion, sans donner davantage de précisions quant au moment où cette connexion a été utilisée par ce membre de sa famille et à la nature de l’utilisation qui a été faite de celle-ci par ce dernier.

Cette décision permet de garantir que les atteintes au droit d’auteur soient poursuivies et réprimées, et ce même lorsque la sphère familiale est en jeu. Le contrefacteur ne pourra se cacher derrière son père, sa mère, ses frères et sœurs en arguant d’une ingérence dans sa vie familiale dans la mesure où cela reviendrait à priver le titulaire des droits d’un recours effectif et au respect de son droit si l’on considère que la juridiction nationale ne peut exiger la production des preuves relatives aux membres de la famille.