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Le contrôle des risques psychosociaux au stade du PSE : mode (et précautions) d’emploi

Il appartient à l’administration de vérifier, dans le cadre de la procédure d’information-consultation, que l’employeur a adressé au CSE les éléments relatifs à la prévention des risques sur la santé ou la sécurité des travailleurs, et, dans le cadre du contrôle du contenu du plan, si l’employeur a arrêté des actions pour remédier à ces risques pour la santé et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes. Ces exigences sont également applicables aux sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire.

par Sonia Norval-Grivet, Magistratele 6 avril 2023

Depuis la loi du 14 juin 2013 transférant au juge administratif la compétence pour contrôler les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), l’office du juge administratif a été considérablement précisé et affiné par la jurisprudence du Conseil d’État. Ce juge contrôle ainsi, à l’occasion des contestations des décisions administratives dont il est saisi, la procédure d’élaboration du plan et son contenu, à des degrés variables selon que le contentieux concerne la décision relative à l’homologation du document unilatéral ou, au contraire, la validation d’un plan issu d’un accord collectif – sur laquelle il exerce un contrôle moins approfondi conformément à l’architecture et à l’esprit des textes applicables (CE 7 déc. 2015, n° 383856, Lebon ; AJDA 2016. 645 ; ibid. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ). Le juge judiciaire demeure quant à lui compétent, en aval du PSE, pour connaître des contentieux individuels relatifs, notamment, au motif économique des licenciements, et à la mise en œuvre des mesures prévues par le plan.

Malgré ces lignes de partage globalement clarifiées, un questionnement majeur demeurait, jusqu’à l’important arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 8 juin 2020, concernant une problématique pourtant fondamentale dans le contexte anxiogène des réorganisations engendrant des licenciements collectifs : celle du contrôle de la prévention et de la prise en charge des risques psychosociaux. Le tribunal des conflits a consacré l’existence d’un contrôle de l’administration en la matière, et la compétence corrélative du juge administratif. L’arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2023 rendu sous le n° 450012 (UES AFPA), qui constitue le premier arrêt de principe en la matière, s’inscrit dans les suites de cette décision et précise les modalités de cette compétence nouvelle dévolue au juge administratif. Les arrêts nos 460660 et 460924 (Société Presse sport investissement) du même jour étendent ces exigences aux sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire.

Retour sur la problématique de la santé des salariés jusqu’en 2020

En matière de prévention des risques pour la santé et la sécurité des salariés, au premier rang desquels figurent, en pratique, les risques psychosociaux, aucune disposition textuelle (et notamment ni l’article L. 1233-57-2 ni l’article L. 1233-57-3 du code du travail, fixant respectivement le champ du contrôle administratif de l’accord collectif ou du document unilatéral) n’imposait à l’administration du travail d’exercer un quelconque contrôle, à l’exception de la consultation obligatoire du CSE, en matière de document unilatéral portant PSE, sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (C. trav., art. L. 1233-30-I, 2°).

Les questions de santé et de sécurité ne figurent, en effet, pas au nombre des éléments obligatoires du PSE, qui doit essentiellement comporter des mesures permettant d’éviter les licenciements ainsi que des mesures de reclassement (C. trav., art. L. 1233-61).

Si le juge judiciaire avait réaffirmé sa compétence en cas de litige individuel tenant aux risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du plan (Soc. 14 nov. 2019, n° 18-13.887 P, Dalloz actualité, 3 déc. 2019, obs. H. Ciray ; D. 2019. 2253 ; ibid. 2020. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; RDT 2020. 48, obs. S. Ranc ), un vide juridique demeurait donc sur ces questions au stade de l’élaboration du plan lui-même (v. les interrogations soulevées par D. Piveteau dans son entretien à la SSL du 28 janv. 2019 n° 1846, Des frontières encore à préciser pour le juge du PSE).

Cette situation était d’autant plus regrettable qu’avant le transfert de compétence de 2013, la jurisprudence judiciaire exerçait un contrôle vigilant en la matière, allant jusqu’à permettre de suspendre voire d’interdire une réorganisation engendrant un trop grand risque pour la santé des travailleurs (Soc. 5 mars 2008, n° 06-45.888, Dalloz actualité, 31 mars 2008, obs. J. Cortot ; D. 2008. 857 ; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès ; Dr. soc. 2008. 519, obs. P.-Y. Verkindt ; ibid. 605, obs. P. Chaumette ; RDT 2008. 316, obs. L. Lerouge ).

Une absence de contrôle de l’administration (et, en cas de litige, du juge administratif) aurait donc conduit à amoindrir considérablement, en cas de « grands » licenciements collectifs, la portée de l’obligation pourtant générale de prévention de l’employeur (C. trav., art. L. 4121-1), qui l’oblige à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Et ce en dépit des pouvoirs dont dispose l’administration du travail, au stade de l’élaboration du PSE, d’adresser à l’employeur observations, propositions ou injonctions.

Le vide juridique comblé par la décision du Tribunal des conflits

Répondant à cette problématique cruciale, le Tribunal des conflits est venu parfaire le bloc de compétence dévolu au juge administratif, en jugeant que le contrôle du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail relève de l’administration (et, partant, du juge administratif) (T. confl., 8 juin 2020, n° 4189, Syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne, Lebon ; AJDA 2020. 2061 ).

Cet arrêt a ainsi jugé que, « dans le cadre d’une réorganisation qui donne lieu à l’élaboration d’un PSE, il appartient à l’autorité administrative de vérifier le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et qu’« à cette fin, elle doit contrôler tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée, ce contrôle n’étant pas séparable de ceux qui lui incombent en vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail ». Ce contentieux relève, bien entendu, du juge administratif.

Quant au juge judiciaire, il lui revient d’assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l’origine du litige est soit sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l’opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit liée à la mise en œuvre de l’accord ou du document de l’opération de réorganisation.

Cette solution a ainsi étendu la compétence du juge administratif en matière de contrôle des PSE...

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