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Les contrôles de la nouvelle Agence française anticorruption

La nouvelle agence française anticorruption vient de publier une charte des droits et devoirs à destination des parties prenantes au contrôle.

par Pauline Dufourqle 10 novembre 2017

Le 10 octobre dernier, le directeur de la nouvelle Agence Française anticorruption (« AFA ») signait ses premières lettres de mission désignant les entreprises qui feront l’objet d’un contrôle par l’AFA du respect de la mise en œuvre de leur programme anticorruption.

L’agence chargée des contrôles

Pour mémoire, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin II ») confie à l’AFA le contrôle du respect de la mise en œuvre d’un programme anticorruption que doivent adopter les sociétés et les établissements publics à caractère industriel et commercial employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 M€. L’AFA est également chargée du contrôle des procédures de prévention et de détection des atteintes à la probité au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique (P. Dufourq et F. Mazon, Le projet de loi Sapin II : Quelles évolutions en matière de lutte contre la corruption ?, RDPA).

Si les espoirs nés de la création de l’agence sont nombreux, il est regrettable que son statut ne lui assure pas une parfaite indépendance. Cette nouvelle entité sui generis, est en effet placée sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget. Si bien qu’il est délicat de concevoir que l’agence ne pourra recevoir, ni solliciter d’instructions d’aucune autorité administrative et gouvernementale ; ce point fut notamment abordé lors des débats parlementaires ayant entouré l’adoption de la loi Sapin II, certains députés préférant un statut d’autorité administrative indépendante (« AAI » ; Dossier législatif loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, Communiqué de presse Transparency international, 2016 ; C. Rolland, Création de l’Agence française anticorruption par la loi « Sapin II » : quels moyens pour quelle action, AJCT 2017. 124 ; E. Daoud et S.Sfoggia, Que doit-on attendre de la nouvelle Agence française anticorruption ?, RLDA, n° 125, 1er avr. 2017).

L’objet du contrôle

L’AFA est chargée de contrôler le respect de l’obligation de conformité pour les personnes morales définies ci-dessus, consistant à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence.

Il s’agit pour l’entreprise de respecter l’obligation prévue à l’article 17 de la loi Sapin II qui porte non seulement sur la mise en place du dispositif exigé de prévention et de détection de la corruption et du trafic d’influence, mais également sur la qualité de celui-ci.

La finalité principale de ce contrôle est de s’assurer que le risque d’exposition ou de transgression dans les entités concernées soit le plus faible possible. Il en résulte que l’AFA doit contrôler la qualité et l’efficacité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place.

Les pouvoirs d’enquête conférés à l’agence

L’organisation des contrôles sera dévolue à la sous-direction du contrôle, laquelle pourra mettre en œuvre tant des contrôles sur pièce que des contrôles sur place. Le contrôle sur place devra en principe être précédé d’un contrôle sur pièce, mais il pourra être dérogé à cette règle en cas de circonstances particulières. L’absence de définition du concept de circonstances particulières est néanmoins à regretter.

En pratique, les contrôles sur pièce s’organiseront de la façon suivante : les dirigeants seront informés, par lettre recommandée avec accusé de réception, du contrôle dont ils font l’objet. La lettre indique l’objet, le périmètre ainsi que la durée du contrôle. Dans ce cadre, les agents de l’AFA se font communiquer sur leur demande tout document professionnel ainsi que tout renseignement utile. Une notification similaire est prévue pour le contrôle sur place, les dirigeants seront ainsi informés de la date du premier rendez-vous sur place, de la teneur et de la durée prévisionnelle du contrôle. 

Dans le cadre du contrôle sur place, les agents de l’AFA pourront s’entretenir avec toute personne dont le concours paraît nécessaire afin de vérifier l’exactitude des informations transmises. Pour autant, rien n’est dit sur le cadre dans lequel de tels entretiens seront menés, ni les garanties accordées aux personnes auditionnées. Une telle insuffisance législative est critiquable et source d’insécurité juridique, notamment eu égard aux risques de sanctions auxquelles l’entreprise est exposée. Il sera par conséquent essentiel que le recours à de tels entretiens ne soit pas dévoyé par la nouvelle agence anticorruption.

Enfin, il est demandé aux dirigeants de l’entité contrôlée de désigner à l’AFA une personne pour les représenter lors de l’ensemble des opérations de contrôle et répondre aux courriers et pièces de procédure adressées par l’AFA. Ce représentant peut se faire assister par une personne de son choix.

Les garanties accordées aux entreprises

Il convient à titre liminaire de souligne que l’AFA ne dispose pas d’un véritable pouvoir d’enquête. Les agents ne pourront pas mener des interrogatoires ou user de pouvoir de contrainte à l’instar d’une mesure de garde à vue. En outre, les contrôles ne pourront être mis en œuvre qu’à heures ouvrables et uniquement dans les locaux professionnels de l’entreprise (Dossier législatif de la loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016).

Les entreprises disposent du pouvoir de se faire assister par une personne de leur choix lors de ces contrôles.

Une fois le contrôle réalisé, l’entreprise pourra présenter des observations dans un délai de deux mois en cas de manquements constatés. Par ailleurs, les dirigeants de l’entité contrôlée disposent de la possibilité de présenter oralement leurs observations devant l’AFA.

En cas de renvoi devant la Commission des sanctions, l’entreprise mise en cause peut former une demande de récusation d’un membre siégeant au sein de cette Commission. Pour ce faire, l’entreprise devra formuler cette demande dans le délai de huit jours à compter de la date figurant sur l’avis de réception de la lettre de notification des griefs par acte remis au secrétariat de la commission qui en délivre récépissé, ou par une déclaration qui est consignée par ce secrétariat dans un procès-verbal. La demande indique avec précision les motifs de la récusation et fournit les pièces propres à la justifier.

L’entreprise peut se faire assister par le conseil de son choix.

Les suites du contrôle

À l’issue du contrôle, l’AFA dresse un rapport écrit comportant des observations sur le dispositif de prévention et de lutte contre la corruption de l’entreprise. Le cas échéant l’AFA pourra formuler des recommandations.

En cas de manquements constatés au respect des mesures et procédures mentionnées à l’article 17 de la loi Sapin II, et après avoir mis en demeure la personne concernée de lui présenter ses observations écrites dans un délai de deux mois, le directeur de l’agence peut lui délivrer un avertissement.

Il peut aussi saisir la Commission des sanctions afin qu’il soit enjoint à l’entité contrôlée d’adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption et de trafic d’influence.

Il peut en outre saisir la Commission des sanctions afin que soit prononcée une sanction pécuniaire. Cette dernière pourra ainsi ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision.

L’AFA peut enfin aviser le procureur de la République compétent des faits susceptibles de constituer un crime ou un délit dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions.

L’ensemble de ces mesures marquent une profonde mutation en matière de lutte contre la corruption. Si de telles évolutions sont louables, il apparaît essentiel que ces évolutions soient assorties de garanties procédurales. Actuellement, les prévisions consacrées tant par la loi que la nouvelle charte restent lacunaires, il faut espérer que cet édifice soit rapidement achevé.