Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Convention d’arbitrage et action directe de la victime contre l’assureur

La Cour de cassation a jugé, au visa du principe de compétence-compétence, que la clause compromissoire d’un contrat d’assurance est opposable à la victime qui exerce une action directe contre l’assureur. Cette décision ne s’accorde ni avec l’effet relatif des conventions ni avec les mécanismes de circulation de la convention d’arbitrage.

par Vincent Chanteboutle 28 février 2019

Depuis l’arrêt Prunier, la rencontre de l’arbitrage avec le droit des assurances (sur l’ensemble de la question, v. B. Beignier, Assurance et arbitrage : la place de l’assureur dans l’instance arbitrale, Rev. arb. 2008. 227 ; J. Bigot, Arbitrage et assurance, in Mélanges en l’honneur de Yvonne Lambert-Faivre et Denis-Clair Lambert, Dalloz, 2002, p. 15) a quelquefois conduit la jurisprudence à adopter des solutions regrettables. Dans son arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de cassation en livre une illustration édifiante en jugeant que la clause compromissoire contenue dans une police d’assurance n’est pas manifestement inapplicable à l’action directe de la victime. Une telle affirmation, qui semble fondée sur des mécanismes propres au droit des assurances, produit quelques grincements dans les rouages du droit de l’arbitrage. 

En l’espèce, le propriétaire d’une péniche avait souscrit un contrat d’assurance contenant une clause compromissoire. À l’occasion d’un dommage occasionné par le navire, la victime exerça devant le tribunal de commerce de Nancy l’action directe prévue contre l’assureur par l’article L. 124-3 du code des assurances.

La cour d’appel de Nancy conclut à l’incompétence des juridictions étatiques dans la mesure où la convention d’arbitrage était, selon elle, opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs.

La victime se pourvut en cassation en soulignant que lui est inopposable, et donc manifestement inapplicable à l’action directe, la clause compromissoire stipul ée au contrat d’assurance, dès lors qu’elle n’y avait pas consenti.

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation estima, au visa du principe de compétence-compétence, que malgré l’absence de consentement, la clause compromissoire contenue dans la police d’assurance n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs.

La question de l’applicabilité de la convention d’arbitrage dans le cadre de l’action directe fait naître un conflit entre la règle de compétence-compétence et le principe en vertu duquel il ne saurait y avoir d’arbitrage sans consentement. Si la première de ces règles a pu conduire la Cour à juger que la clause compromissoire n’est pas manifestement inapplicable à l’action directe, le second principe aurait dû amener à conclure qu’elle n’est pas opposable aux victimes.

L’absence d’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire du contrat d’assurance à l’action directe de la victime

L’article 1448 du code de procédure civile dispose que « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ».

Ce texte, conçu pour l’hypothèse commune dans laquelle le litige oppose les parties à la convention d’arbitrage, prévoit que le juge doit en principe se déclarer incompétent et réserve l’exception aux rares situations où l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage est « évidente, incontestable, qu’aucune argumentation sérieuse n’est en mesure de mettre en doute » (P. Fouchard, La coopération du Président du TGI à l’arbitrage, Rev. arb. 1985. 5, spéc. p. 27, reproduit in Écrits, CFA 2007, p. 5) ou « le cas où le litige dont le juge est saisi se situe manifestement en dehors des prévisions de la convention d’arbitrage » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 680, p. 599).

L’adjonction de l’adverbe « manifestement », absent de l’article II de la Convention de New York, vise à dissuader les plaideurs de mauvaise foi de toute tentation de soulever des objections captieuses pour arguer d’une nullité ou d’une inapplicabilité qui n’apparaîtrait pas prima facie (v. E. Gaillard, Les manœuvres dilatoires des parties et des arbitres dans l’arbitrage commercial international, Rev. arb. 1990. 759). La jurisprudence se montre donc très restrictive (v. O. Cachard, Le contrôle de la nullité ou de l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, Rev. arb. 2006. 893 ; M. Boucaron-Nardetto, Retour sur les critères de contrôle de la nullité et de l’inapplicabilité de la clause compromissoire, Rev. arb. 2016. 853 ; J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, op. cit., nos 364 s.) et n’admet que rarement l’exception.

Ce terme invite-t-il pour autant le juge à se contenter d’un réflexe pavlovien le conduisant à décliner sa compétence dès que perce la lueur distante d’une convention d’arbitrage aux confins de la relation litigieuse ? (v. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, 8e éd., Économica, 2018, n° 1203)

L’effet négatif de la clause compromissoire implique par nature qu’une telle convention existe entre les parties au litige, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle, la victime n’est liée par aucune convention aux débiteurs de son indemnisation. L’élément déterminant n’est en effet pas la présence formelle d’une clause compromissoire mais le consentement à l’arbitrage.

Si on peut se convaincre de l’existence de la petite souris en faisant valoir que ces rongeuses existent assurément et qu’elles sont indiscutablement petites (v. A. Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison, combinaison des stratagèmes, nos 4 et 20), l’adhésion de la Cour de cassation à une telle argumentation, qui néglige l’essentiel, ne manquerait pas d’étonner. Pourtant, l’imagination enfantine et les partis pris jurisprudentiels se plaisent à déduire de la seule existence des musaraignes et des clauses compromissoires des vertus magiques comme le pouvoir de faire apparaître des jouets sous les oreillers ou de lier les justiciables contre leur volonté.

L’arrêt rapporté n’exclut en effet pas que la clause compromissoire conclue entre le souscripteur et l’assureur produise ses effets à l’égard de la victime de l’assuré. Selon la première chambre civile, « a exactement décidé (…) la Cour d’appel qui a retenu que la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ».

Le raisonnement implicite de la Cour de cassation semble le suivant : la victime qui agit dans le cadre de l’action directe exerce un droit de l’assuré tiré du contrat d’assurance. Nul ne pouvant transmettre plus de droits qu’il n’en a, le bénéfice du contrat est transféré avec ses accessoires, au rang desquels figure la clause compromissoire.

Si on analyse le contrat d’assurance de responsabilité comme une stipulation pour autrui (v. R. Dupeyré, L’arbitrage et les figures juridiques du droit de l’assurance, BJDA n° 61, févr. 2019 (à paraître) ; B. Beignier, op. cit., p. 233), le mécanisme de la stipulation n’interdit pas que le bénéficiaire se voit transmettre la convention d’arbitrage (Civ. 1re, 11 juill. 2006, Rev. arb. 2006. 969, note C. Larroumet) dans la mesure où il accepte la stipulation. Il ne semble cependant pas que l’argument soit pertinent puisque la stipulation avec charge n’est admise qu’à l’issue d’un bilan économique, que l’appréciation primae facie de l’inapplicabilité de la clause compromissoire semble exclure.

Selon la logique du droit des assurances, « l’action directe est fondée sur le droit à réparation de la victime, elle s’exerce néanmoins contre l’assureur » (v. Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, spéc. n° 776, 552, souligné dans le texte). Or, le procès en indemnisation contre l’assuré et les rapports souscripteur-assurance peuvent relever de la compétence de tribunaux distincts.

Lorsqu’elle est portée devant les juridictions étatiques, l’action directe suit le droit commun des règles de compétence (v. J. Bigot et al., Traité de droit des assurances, vol. 3 : Le contrat d’assurance, LGDJ, 2014, n° 2166, p. 1088). L’assureur étant défendeur à l’action, la compétence des tribunaux est déterminée par rapport à sa personne (v. M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, 2018, spéc. n° 756, p. 382) ou par rapport au contrat. Ainsi, même lorsque la victime du dommage est une personne publique, l’action directe relève de la compétence des tribunaux judiciaires dans la mesure où « l’action directe ne poursuit que l’exécution de l’assureur à cette réparation, laquelle est une obligation de droit privé » (T. confl., 3 mars 1969, RGAT 1969. 371, note A. Besson ; GADA, p. 131 ; 14 oct. 2013, Procédures, avr. 2014. Chron. 2, n° 2, obs. C. Bléry). Le contrat conclu entre l’assurance et le souscripteur est donc opposable à la victime, y compris en ce qu’il détermine la compétence des tribunaux.

En d’autres termes, « la victime ne peut par l’action directe attraire l’assureur devant un tribunal incompétent pour statuer sur les obligations nées du contrat d’assurance » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, op. cit., n° 777), ce qui devrait conduire à exercer l’action directe devant le juge des litiges assureur-assuré, c’est-à-dire l’arbitre.

La règle de l’opposabilité des exceptions posée par l’article L. 112-6 du code des assurances autorise en effet l’assureur à se prévaloir du contrat à l’égard de la victime. Selon la Cour de cassation, le droit de la victime « ne peut porter que sur l’indemnité d’assurance telle qu’elle a été stipulée, définie et limitée par ce contrat » (Civ. 1re, 1er oct. 1980, Bull. civ. I, n° 235). Effectivement, dans la mesure où leur créance à l’égard de l’assureur naît du contrat d’assurance, on peut soutenir qu’en exerçant l’action directe, les victimes réclament l’application du contrat dans toutes ses dispositions, y compris la convention d’arbitrage (contra, v. J. Bigot, Arbitrage et assurance, op. cit.).

Pourtant, si la victime se prévaut du contrat d’assurance, c’est en tant que bénéficiaire et non en tant que partie au contrat, ce qui aurait dû conduire à estimer que la clause compromissoire était manifestement inapplicable. La doctrine n’exclut pas que l’action directe confère un droit propre de la victime (v. P. Puig, L’influence de l’arbitrage en matière d’assurance sur les tiers, RGDA 2012. 191, spéc. n° 21, p. 200 ; B. Beignier, op. cit., spéc. p. 233 s.), autonome par rapport au contrat entre l’assureur et l’auteur du dommage, dont l’appel en cause n’est d’ailleurs pas une condition de recevabilité de l’action directe (Civ. 1re, 7 nov. 2000, JCP 2001. II. 10456, obs. J. Bigot ; D. 2001. 3320 , obs. H. Groutel ; ibid. 2002. 2115, obs. J. Bonnard ). Dès lors, comme le souligne Mme Boucaron-Nardetto, « la clause compromissoire sera manifestement inapplicable lorsqu’un tiers exerce une action, certes indirectement relative à un contrat stipulant une clause compromissoire, mais présentant un caractère autonome en ce qu’elle est exercée dans un objectif distinct de celui d’assurer le seul respect du contrat litigieux » (M. Boucaron-Nardetto, Retour sur les critères de contrôle de la nullité et de l’inapplicabilité de la clause compromissoire, préc., spéc. p. 868).

Surtout, l’argument peut être retourné. Si l’assureur peut opposer à la victime toutes les exceptions – convention d’arbitrage incluse – tirées du contrat d’assurance, c’est parce que sa volonté détermine la portée et les bornes de ses obligations ; la victime, elle aussi, doit pouvoir se prévaloir des mêmes limites et objecter qu’elle n’a jamais consenti à l’arbitrage.

C’est là un aspect que la Cour de cassation semble avoir laissé dans l’ombre. Les règles de compétence qui conduisent à concentrer le contentieux de la responsabilité devant le juge du contrat d’assurance sont pertinentes lorsqu’il s’agit de répartir les compétences ratione materiae entre les juridictions étatiques ; mais faute de consentement de la victime à l’arbitrage, elles peinent à fonder la compétence de l’arbitre, qui emporte renonciation à la justice étatique gratuite et à ses garanties de bonne justice au profit d’une procédure coûteuse et sans appel.

L’opposabilité de la clause compromissoire aux victimes exerçant l’action directe

Selon l’article 2061 du code civil, « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée ». En l’espèce pourtant, il n’est pas question de consentement et il serait vain de prétendre que la victime « succède aux droits et obligations de la personne ayant accepté la clause compromissoire ». L’assureur se substitue certes au responsable en tant que débiteur d’indemnités, mais l’inverse n’est pas vrai. À l’évidence, la victime ne devient pas l’assuré : elle reçoit une indemnisation et non une assurance.

La Cour de cassation juge pourtant que la convention d’arbitrage « accessoire du droit d’action, (…) était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ».

L’affirmation est audacieuse. Prétendre à l’issue d’un examen prima facie que la convention d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable avait pour seul effet de renvoyer au tribunal arbitral le soin de se déclarer incompétent, sous le contrôle vigilant du juge de l’annulation (v. V. Chantebout, La sentence d’incompétence, l’arbitre en liberté surveillée, Rev. arb. 2010. 525). Déclarer que la clause est opposable aux victimes semble trancher définitivement une question qui mérite un examen d’autant plus approfondi qu’on s’interroge sur les fondements d’une telle affirmation. Le pluriel utilisé par la Cour indique en outre une solution de principe.

La formule selon laquelle la clause compromissoire est accessoire au droit d’action est communément employée pour justifier la circulation de la convention d’arbitrage dans les cessions ou les chaines de contrats. Pour autant, il ne semble pas que les fondements, d’ailleurs incertains (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 206, p. 226 ; E. Loquin, Divergences et convergences dans le régime de la transmission et de l’extension de la clause compromissoire devant les juridictions françaises, Cah. arb. 2004. 49), d’une telle transmission soient présents lorsqu’est en cause l’action directe de la victime contre l’assureur.

Dans les hypothèses de cessions de contrats ou de chaines de contrats translatifs de propriété, le tiers non signataire se voit transmettre la clause compromissoire en tant qu’accessoire de son droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis. S’il n’a pas spécifiquement accepté la clause compromissoire, il acquiesce à la transmission et, en tant que cessionnaire, il consent au contrat cédé tel qu’il est, avec l’ensemble de ses clauses. Il se voit donc transféré volontairement un droit d’action né d’un contrat auquel il devient peu ou prou partie. La relation triangulaire assureur-assuré-victime n’autorise pas une telle construction : le souscripteur d’une assurance de responsabilité n’est pas titulaire d’un droit à indemnité qu’il transmettrait à la victime. Il a un devoir d’indemnisation transféré à l’assureur. Aucun des fondements de la transmission de la clause compromissoire n’est applicable à la victime dont le droit à réparation naît d’une responsabilité extracontractuelle qu’elle peut diriger contre l’assureur par l’effet de la loi.

L’opposabilité de la convention d’arbitrage peut-elle alors être fondée sur l’extension de la clause à un tiers immiscé dans l’exécution du contrat ? Même si on a pu parler de mécanisme purement objectif, cette « extension à un non-signataire (…) repose sur la recherche de la volonté implicite des parties » (F.-X. Train, L’extension de la clause compromissoire, chronique des années 2012-2017, Rev. arb. 2017. 389, spéc., p. 391 ; Adde, J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, Dalloz, coll. « Thémis », 2016, n° 325, p. 248) qui se manifeste par une implication dans la négociation, l’exécution ou la résolution du contrat (Civ. 1re, 27 mars 2007, ABS C/ Amcor, Rev. arb. 2007. 785, note J. El Adhab ; JCP 2007. I. 168, obs. C. Seraglini ; D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ).

Peut-on soutenir qu’en exerçant l’action directe la victime s’immisce dans l’exécution de la police d’assurance en réclamant son application et manifeste ainsi son consentement à être lié par ses dispositions ?

Même si la doctrine s’interroge sur le sens du terme « implication » (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 713, p. 640), seule une singulière tournure d’esprit pourrait conduire à en percevoir une quelconque trace chez le piéton écrasé par un véhicule terrestre à moteur ou percuté par une péniche. N’inversons pas les rôles : c’est l’assureur de responsabilité qui interfère dans la relation assuré-victime en consentant à se substituer au souscripteur dans l’indemnisation des tiers. Les modalités procédurales de cette réparation sont fixées par la loi et l’intervention de l’assureur ne saurait l’autoriser à configurer l’action de la victime sans le consentement de celle-ci.

On doit donc admettre avec M. Beignier que « dans l’assurance de responsabilité, le caractère impératif des droits de la victime interdit catégoriquement de lui opposer la clause d’arbitrage qui figurerait dans la police d’assurance signée par le responsable » (B. Beignier, Assurance et arbitrage : la place de l’assureur dans l’instance arbitrale, Rev. arb. 2008. 227, spéc. p. 233).

En effet, les mécanismes de circulation de la convention d’arbitrage sont souvent justifiés par des considérations de bonne administration de la justice : il est souhaitable de concentrer devant l’arbitre l’ensemble du litige afin d’accélérer la procédure, s’assurer qu’il dispose de l’ensemble des éléments de la cause et éviter les décisions contradictoires.

Les mêmes préoccupations devraient, en matière d’action directe, conduire au contraire à renvoyer l’ensemble du contentieux au juge étatique. En ouvrant l’action directe le législateur permettait à la victime de gagner un temps précieux en s’adressant à un débiteur solvable sans attendre que l’auteur du dommage appelle son assureur en garantie et sans subir les inconvénients de l’action oblique. La solution retenue en l’espèce semble priver de cette protection la victime qui doit saisir à la fois le juge de droit commun pour établir la responsabilité de l’auteur du dommage, et l’arbitre qui, s’il s’estimait par extraordinaire compétent, devrait surseoir à statuer pour connaitre le quantum de la condamnation de l’assuré avant de voir sa compétence remise en cause par le juge de l’annulation, faute de consentement à l’arbitrage. C’est la une perte de temps gravement préjudiciable à la victime pour laquelle la rapidité de l’indemnisation peut revêtir un caractère vital.

De plus, dans les mécanismes de circulation de la clause compromissoire, le tiers à qui on l’oppose peut aussi s’en prévaloir, ce qui peut présenter des avantages. En matière d’action directe où l’assureur ne formule en principe pas de demande, la clause compromissoire fonctionne à sens unique et peut constituer un obstacle au libre accès au juge.

Enfin, l’effet négatif du principe de compétence-compétence, fondement de la solution retenue, est basé sur la bonne foi et la volonté d’éviter les manœuvres dilatoires (v. supra). Il est permis de se demander qui de l’assureur ou de la victime manifeste un esprit de chicane en soulevant une objection procédurale. L’arrêt rapporté encourage les assureurs à insérer des conventions d’arbitrage dans les contrats d’assurance de responsabilité, dans l’espoir de dissuader l’exercice de l’action directe par le coût d’une procédure arbitrale, auquel les victimes risquent de ne pouvoir faire face (v. J. Clavel, Le déni de justice économique dans l’arbitrage international, thèse dactyl., Paris II, 2011, sous la dir. G. Khairallah). On a ainsi vu aux États-Unis les professionnels utiliser l’arbitrage comme obstacle aux class actions, afin de faire échec aux droits des consommateurs (v. AT&T Mobility v. Concepcion, 563 U.S. 333 (2011) ; DirecTV, Inc v. Imburgia 577 U.S. _ (2015).

Fort heureusement, le nouvel article 2061, alinéa 2, du code civil, à le supposer applicable en matière internationale (v. J.-B. Racine et C. Jarrosson, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1007), prévoit que le non-professionnel bénéficie d’une option. Or, la victime, quels que soient son statut ou ses fonctions doit être considérée comme un non-professionnel dans la mesure où elle « n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle », puisqu’elle n’a pas contracté du tout.

Il aurait donc été plus simple de juger qu’en intentant une action directe devant le juge étatique, les victimes exercent l’option ouverte par l’article 2061, alinéa 2, ce qui rend la clause inopposable et manifestement inapplicable. Une telle solution, plus équitable et respectueuse de la bonne foi aurait permis d’économiser du temps et des ressources, avantages habituellement attribués à la procédure arbitrale.