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Convention de Lugano : compétence et changement de domicile du consommateur

La Cour de justice se prononce pour la première fois à propos de la mise en œuvre des règles protectrices des consommateurs prévues par la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 dans une hypothèse où le consommateur a déménagé, suite à la conclusion du contrat, dans un autre État.

L’application de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale est entrée en vigueur le 1er janvier 2010 pour l’Union européenne, le Danemark et la Norvège, le 1er janvier 2011 pour la Suisse, le 1er mai 2011 pour l’Islande. Elle donne lieu à un contentieux limité mais régulier (par ex., Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 17-28.555 F-P+B, Dalloz actualité, 18 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 261 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Rev. crit. DIP 2019. 820, note C. Chalas ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; CJUE 2 mai 2019, aff. C-694/17, Dalloz actualité, 27 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 997 ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; RTD com. 2019. 790, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

L’arrêt de la Cour de justice du 30 septembre 2021 mérite de retenir l’attention car il se prononce pour la première fois sur une difficulté que les auteurs spécialisés ne semblent pas avoir envisagée.

Un particulier domicilié en Allemagne avait ouvert un compte courant dans ce même État, auprès d’un établissement bancaire de droit allemand. Ce compte présentant un solde débiteur, un litige apparut entre les parties et l’établissement bancaire saisit un juge allemand. Or, le consommateur s’était, postérieurement à la conclusion du contrat mais avant la saisine du juge allemand, installé en Suisse.

La question à résoudre était, dans ces conditions, la suivante : la compétence du juge devait-elle être appréciée à la date de la conclusion du contrat – auquel cas il s’agissait d’un simple litige interne soumis au droit allemand – ou fallait-il prendre en considération l’apparition postérieure d’un élément d’extranéité lié au déménagement du consommateur en Suisse ?

Pour bien comprendre l’arrêt, il faut rappeler que :

- l’article 15 de cette convention dispose qu’« en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par (les art. 15 à 17), sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 : a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ; b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont cet État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activité » ;
- l’article 16 ajoute, notamment, que « l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié » et que « l’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la (…) convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur ».

La notion de domicile du consommateur est donc essentielle, notamment au regard de l’article 15, §1er, sous c), applicable en l’espèce.

Or, en application de l’article 18 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 qui énonce par ses articles 17 à 19 des règles équivalentes à celles posées par les articles 15 et suivants de la Convention de Lugano, la Cour de justice a jugé que cette notion doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel (CJUE, ord., 3 sept. 2020, mBank, aff. C-98/20, RTD com. 2021. 227, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

L’arrêt du 30 septembre 2021 rappelle cette solution. Il ajoute que l’article 15 de la Convention de Lugano ne prévoit pas que, à la date à laquelle le contrat a été conclu, l’activité professionnelle doit nécessairement être dirigée vers un autre État que celui du siège du professionnel et que, par ailleurs, rien n’indique non plus que l’État dans lequel le consommateur a son domicile doit être, à cette date, un État autre que celui du siège du cocontractant professionnel (arrêt, pt 42). L’arrêt précisé également qu’aucune des trois hypothèses visées à l’article 15 ne fait mention de la nécessité que l’activité exercée présente un élément d’extranéité à la date de la conclusion du contrat (arrêt, pt 49).

La Cour en déduit que l’article 15, paragraphe 1, sous c), « détermine la compétence dans le cas où le professionnel et le consommateur, parties à un contrat de consommation, étaient, à la date de la conclusion de ce contrat, domiciliés dans le même État lié par cette convention, et où un élément d’extranéité du rapport juridique n’est apparu que postérieurement à ladite conclusion, en raison du transfert ultérieur du domicile du consommateur dans un autre État lié par la Convention de Lugano ».

Cette position peut être approuvée, même s’il est certain qu’elle n’a vocation à être mise en œuvre que rarement. Certes, la détermination des règles de compétence applicables dépend alors de la volonté du consommateur, s’il décide de déménager dans un autre État lié par la Convention de Lugano. Toutefois, le risque d’une manipulation de ces règles est très limité car il appartient au juge saisi de vérifier la réalité du nouveau domicile dont il se prévaut. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’objet des dispositions de la Convention de Lugano consacrées aux contrats de consommation est précisément d’offrir au consommateur, considéré par principe comme une partie faible, des règles protectrices.

Il est enfin à noter que la solution retenue par l’arrêt du 30 septembre 2021 peut être transposée à propos des articles 17 et suivants du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, compte tenu de la proximité des règles énoncées par ce texte et celles de la Convention de Lugano.