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Conventionnalité du refus de transcription de l’acte de naissance étranger pour les enfants nés d’une GPA

La Cour européenne des droits de l’homme, si elle reconnaît l’existence d’une vie familiale entre les mères d’intention et l’enfant né d’une mère porteuse, refuse de condamner l’Islande sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne.

par Amélie Panetle 17 juin 2021

À l’heure où la Cour de cassation française a adopté des solutions extrêmement libérales dans les affaires de gestation pour autrui (GPA) (v. à ce sujet S. Bollée et B. Haftel, L’art d’être inconstant. Regards sur les récents développements de la jurisprudence en matière de gestation pour autrui, Rev. crit. DIP 2020. 267 ), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) semble au contraire tenir un cap respectueux de la (grande) marge d’appréciation des États en la matière. En témoigne cet arrêt Valdis Fjönlnisdottir et autres c. Islande du 18 mai 2021, dans lequel, concédant une vie familiale aux parents d’intention et à l’enfant né d’une mère porteuse américaine, elle respecte toutefois le point de vue islandais dont la législation prohibe toujours la GPA.

Un couple de femmes islandaises, Mme F… et Mme A…, sont mariées et vivent à Kópavogur, en Islande. Elles ont eu recours à une mère porteuse aux États-Unis, avec un double don de gamètes, et sont devenues les parents d’un petit garçon né par gestation pour autrui en Californie en février 2013. À leur retour en Islande, elles se heurtent au refus de l’état civil islandais d’enregistrer l’enfant comme étant le leur. En effet, constatant que l’enfant était né d’une mère porteuse américaine, les services islandais ont considéré que l’enfant n’avait pas automatiquement droit à la nationalité islandaise. Considéré comme mineur non accompagné, l’enfant a été pris en charge par les autorités islandaises et placé en accueil familial chez les deux mères d’intention. La décision de l’état civil est confirmée en appel par le ministre de l’Intérieur, en raison de l’absence de fondement en droit islandais pour accorder la nationalité à l’enfant : la femme qui accouche est toujours considérée comme la mère, indépendamment du fait de savoir si l’enfant a été conçu avec ses gamètes. Dans la mesure où rien n’indique que le père biologique de l’enfant avait la nationalité islandaise, l’enfant ne pouvait pas bénéficier de la nationalité islandaise. Les deux mères d’intention ont formé un recours mais l’enfant a bénéficié entre temps de la nationalité islandaise en application d’une loi de 2015 relative à l’octroi de la nationalité. Pour autant, les deux femmes ne furent pas enregistrées comme ses parents. Elles ont divorcé en mai 2015 et, leur agrément pour accueillir l’enfant à leur foyer ayant été invalidé, elles ont retiré leur demande d’adoption conjointe.

L’enfant a été ensuite accueilli au foyer de chacune des mères d’intention par période d’un an, avec un droit d’accès égal à l’autre.

Un tribunal de district rejeta en 2016 les demandes des requérantes tendant à leur enregistrement par l’état civil en tant que parents, considérant qu’en Islande, la mère biologique devait être la mère. La Cour suprême confirma le 30 mars 2017, estimant qu’il n’existait pas entre les mères d’intention et l’enfant de « vie familiale » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme au moment où l’état civil avait rendu sa décision.

En 2019, Mme F… put accueillir l’enfant de manière permanente avec sa nouvelle épouse, tandis que Mme A… se voyait accorder avec sa nouvelle épouse un droit d’accès égal.

Les requérants ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme en alléguant une violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction des discriminations) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Sur la violation de l’article 8, la CEDH relève que la gestation pour autrui est illégale en Islande, où la femme qui accouche est considérée comme la mère. Dans la mesure où les deux mères d’intention se sont occupées de l’enfant sans interruption depuis sa naissance, elle conclut à l’existence d’une vie familiale entre eux, nonobstant l’absence de lien biologique. Mais les autorités islandaises, en octroyant la nationalité islandaise à l’enfant et en le plaçant en accueil familial auprès des deux mères d’intention, avaient pris des mesures pour protéger cette vie familiale. L’État, agissant dans les limites de sa marge d’appréciation et dans le but de préserver son interdiction de la gestation pour autrui, n’a pas violé l’article 8, d’autant qu’il a permis aux requérantes de s’engager dans une procédure d’adoption de l’enfant né de mère porteuse.

On ne peut manquer la comparaison avec l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie (CEDH, gr. ch. 24 janv. 2017, req. n° 25358/12, Dalloz actualité, 10 févr. 2017, obs. V. Lefebvre ; D. 2017. 897, obs. P. Le Maigat , note L. de Saint-Pern ; ibid. 663, chron. F. Chénedé ; ibid. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017. 301, obs. C. Clavin ; ibid. 93, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2017. 426, note T. Kouteeva-Vathelot ; RTD civ. 2017. 335, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 367, obs. J. Hauser ), dans laquelle la grande chambre de la CEDH avait retenu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 par l’Italie, alors que l’enfant, issu d’une gestation pour autrui entre un couple d’Italiens et une femme russe, avait été pris en charge par les services sociaux italiens à l’âge de neuf mois. Compte tenu de l’absence de lien biologique entre l’enfant et ses parents d’intention et de la courte période de vie commune avant que l’enfant ne soit placé à l’adoption, la grande chambre avait conclu à l’absence de vie familiale entre le couple commanditaire et l’enfant. À l’inverse, dans l’affaire sous étude, la Cour de Strasbourg a bien reconnu l’existence d’une vie familiale de facto, qui n’a pas été entravée par les autorités islandaises. La relation entre les mères d’intention et l’enfant a au contraire été renforcée par l’écoulement du temps et le placement de l’enfant au foyer des requérantes. L’absence de lien biologique entre l’enfant et les requérantes n’a pas été jugée dirimante par la Cour européenne, alors que c’était un argument clé dans l’affaire Mennesson (CEDH 26 juin 2014, req. n° 65941/11, Dalloz actualité, 30 juin 2014, obs. T. Coustet ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs. , note F. Chénedé ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d’Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499 ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud ) pour inciter la France à transcrire la paternité du père d’intention, qui était également le père biologique de l’enfant.

La Cour européenne semble ici fidèle à sa jurisprudence (v. CEDH 19 nov. 2019, nos 1462/18 et 17348/18, D. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 131, obs. F. Berdeaux ) : nul besoin de transcrire un lien de filiation qui ne correspond pas à une réalité biologique, si l’enfant issu de mère porteuse à l’étranger a la possibilité d’être adopté par ses parents d’intention, pour autant qu’une vie familiale ait déjà été consolidée.