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Copie privée : la directive Infosoc sans effet direct sur Copie France

La société de collection de la rémunération pour copie privée Copie France, puisqu’elle n’est pas une entité paraétatique, n’est pas soumise à l’effet direct vertical des directives européennes. Elle n’a donc pas à rembourser les redevances perçues en méconnaissance de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 (« Infosoc »).

par Ophélie Wangle 26 novembre 2021

L’exception de copie privée est une exception au droit d’auteur qui permet aux utilisateurs de copier des contenus protégés pour leur usage personnel. Cette exception a été harmonisée au niveau européen par la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (dite « directive Infosoc »).

Elle est compensée par une rémunération payée par les fabricants et importateurs de supports de copie (CD vierges, disques durs, etc.) et d’appareils exploitant ces supports (clefs USB, baladeurs numériques, etc.). Les redevances au titre de la copie privée sont perçues par la société Copie France et sont utilisées à 75 % pour rémunérer les ayants droit (auteurs, éditeurs, artistes-interprètes et producteurs) et à 25 % pour soutenir des actions collectives en faveur de la création artistique.

Le montant de la rémunération pour copie privée, fixée par la commission copie privée, a fait l’objet de nombreux débats juridiques. En 2008, une décision du Conseil d’État (CE 11 juill. 2008, Simavelec, n° 298779, Dalloz actualité, 16 juill. 2008, obs. S. Lavric ; Lebon ; AJDA 2008. 1414 ; D. 2008. 2074, obs. S. Lavric ; ibid. 2009. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; RTD com. 2008. 747, obs. F. Pollaud-Dulian ) a annulé la décision de la commission qui fixait un montant de rémunération prenant en compte les usages illicites des supports de copie. À la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 21 oct. 2010, Padawan, aff. C-467/08, Dalloz actualité, 15 nov. 2010, obs. J. Daleau ; D. 2010. 2646, obs. J. Daleau ; ibid. 2011. 2164, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2010. 333 et les obs. ; ibid. 2011. 95, comm. V.-L. Benabou ; RTD com. 2010. 710, obs. F. Pollaud-Dulian ), une seconde décision du Conseil d’État datant de 2011 (CE 17 juin 2011, Canal + Terminaux e.a., nos 324816, 325439, 325468, 325469, Dalloz actualité, 7 juill. 2011, obs. J. Daleau ; Lebon ; D. 2011. 1678, obs. C. de presse ; ibid. 2012. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2011. 397 et les obs. ; RTD eur. 2011. 888, obs. D. Ritleng ) a annulé la décision de la même commission qui prenait en compte, dans le montant de la rémunération pour copie privée, tous les supports vendus, indifféremment de leur usage. En effet, selon la jurisprudence européenne, il convient d’exclure du calcul les supports et appareils utilisés à des fins professionnelles puisque ceux-ci ne servent pas à effectuer des copies privées. Dans les deux arrêts précités, le Conseil d’État a reporté l’effet dans le temps de la nullité prononcée à six mois à compter de la notification de la décision.

À la suite de ces décisions du Conseil d’État qui ont eu pour conséquence la réduction du montant dû au titre de la rémunération pour copie privée, la société Imation, fabricant de CD et DVD vierges, a assigné en justice la société Copie France en formant, d’une part, une demande en répétition de l’indu pour les sommes qui auraient été trop perçues depuis la transposition de la directive européenne et, d’autre part, une demande de dommages et intérêts. La société Imation souhaitait également qu’une série de questions préjudicielles soient transmises à la CJUE, notamment la question suivante : « Le droit de l’Union autorise-t-il une juridiction nationale à limiter la portée d’un constat de violation du droit de l’Union aux seules situations acquises à l’expiration d’un délai de six mois à compter de sa notification, et ce alors même que la violation est constatée sur le fondement d’une interprétation donnée par la Cour de justice elle-même dans un arrêt dont elle n’a pas limité la portée ? »

Dans un arrêt du 9 octobre 2018, la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes de la société Imation et a dit n’y avoir lieu à transmettre les questions préjudicielles. La société Imation s’est donc pourvue en cassation. Ses moyens portent aussi bien sur la demande en répétition de l’indu que sur la demande de dommages et intérêts.

Demande en répétition de l’indu

La demande en répétition de l’indu formée par la société Imation se fonde sur l’argument selon lequel le droit français, entre la transposition de la directive Infosoc en 2002 et la date de prise d’effet des décisions du Conseil d’État, ne respectait pas le droit de l’Union et devait donc être écarté. Les moyens avancés par la société s’appuient sur les deux principes fondamentaux du droit européen : son effet direct et sa primauté sur les droits nationaux.

Effet direct de la directive : Copie France n’est pas une entité étatique

Dans son deuxième moyen, la société Imation avance que la directive Infosoc s’imposait à la société Copie France, plutôt que le droit national alors en vigueur, du fait de l’effet direct vertical des directives qui protège les droits des particuliers vis-à-vis des États membres (v. CJUE 4 déc. 1974, Van Duyn, aff. C-41/74). Selon la société Imation, Copie France, malgré sa forme juridique de société civile de droit commun, devait être considérée comme une émanation de l’État aux fins de l’application directe des directives.

En effet, sont considérés comme de telles émanations les organismes soumis au contrôle ou à l’autorité d’une autorité publique et ceux qui sont chargés d’une mission d’intérêt public et qui disposent de pouvoirs exorbitants pour l’accomplir (v. CJUE 10 oct. 2017, Farrell, aff. C-413/15, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. E. Autier ; RTD eur. 2018. 359, obs. L. Coutron ). Or la société Imation avançait que Copie France pouvait répondre aux deux définitions. D’une part, Copie France serait chargée d’une mission d’intérêt public, le soutien à la création auquel sont affectés 25 % des sommes récoltées pour la rémunération de la copie privée, et elle disposerait de pouvoirs exorbitants pour l’accomplir (agents assermentés pour contrôler le paiement de la rémunération). D’autre part, Copie France serait soumise au contrôle d’une autorité publique puisqu’elle doit adresser des rapports au ministre de la Culture.

La Cour de cassation commence par rappeler que l’effet direct des directives ne peut jouer que verticalement, à l’égard de l’État ou d’une émanation étatique, mais qu’une directive n’a pas d’effet direct horizontal entre particuliers. Elle précise que, dans un litige entre particuliers, l’existence d’une directive européenne ne permet pas au juge de faire une interprétation contra legem d’une disposition nationale ni d’écarter une disposition nationale contraire (pt 11). Ce principe ressort effectivement d’une jurisprudence constante de la CJUE (v., par ex., en plus des arrêts cités par la Cour de cassation, CJUE 4 juill. 2006, Adeneler e.a., aff. C‑212/04, AJDA 2006. 2271, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 2209 ; Dr. soc. 2007. 94, note C. Vigneau ; 24 janv. 2012, Dominguez, aff. C-282/10, Dalloz actualité, 24 févr. 2012, obs. L. Perrin ; D. 2012. 369 ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T. ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis ).

Puis, pour rejeter le moyen de la société Imation, la Cour rappelle et approuve le raisonnement de la juridiction d’appel pour écarter Copie France de l’effet direct vertical des directives. D’abord, Copie France, selon la cour d’appel, n’est pas investie d’une mission de service public mais gère des intérêts « certes collectifs, mais qui demeur[ent] particuliers ». D’ailleurs, l’affectation de 25 % de la rémunération au soutien à la création ne doit être interprétée que comme une simple « modalité de compensation de l’exception de copie privée » (pt 12). Ensuite, Copie France n’est pas non plus soumise au contrôle ou à l’autorité d’une autorité publique, l’État « ne faisant pas partie des associés, n’y étant pas représenté et ne pouvant agir, s’il estimait que des illégalités avaient été commises, que par des actions en justice » (pt 13). Ainsi, la société Copie France ne peut être considérée comme une entité étatique ou paraétatique à laquelle s’imposerait l’effet direct vertical des directives.

Primauté du droit européen : la directive ne permet pas d’écarter une disposition nationale

La société demanderesse au pourvoi avance ensuite trois arguments distincts qui, même en l’absence d’effet direct horizontal des directives, tentent de s’appuyer sur le principe de primauté du droit européen pour écarter l’application du droit national au profit de la directive Infosoc.

Dans son premier moyen, la société Imation reproche à la cour d’appel d’avoir refusé de juger de la conformité des décisions de la commission copie privée, actes administratifs, au droit de l’Union, ce qui serait contraire, selon la société, au principe de primauté du droit européen. Dans les trois premières branches du troisième moyen, la société avance que les décisions du Conseil d’État ayant repoussé la date de prise d’effet de l’annulation des décisions de la commission copie privée ne pouvaient s’imposer à la cour d’appel face au principe de primauté du droit de l’Union. Enfin, dans la quatrième branche du troisième moyen, elle affirme que la cour d’appel aurait violé ce principe de primauté en refusant d’écarter les dispositions de la loi de transposition de la directive Infosoc qui se sont révélées contraires à la directive elle-même.

La Cour de cassation rejette successivement ces trois arguments en rappelant qu’en l’absence d’effet horizontal direct, une directive ne permet pas d’écarter une disposition nationale dans un litige entre particuliers.

Demande de dommages et intérêts

La société Imation demandait des dommages et intérêts à Copie France en réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait du traitement différencié entre sociétés françaises et étrangères.

La jurisprudence française a considéré un temps que les vendeurs de supports étrangers ne pouvaient être redevables de la rémunération pour copie privée – seuls les particuliers acheteurs l’étaient en tant qu’importateurs (Paris, 22 mars 2007, CD Folie, Nierle Media, Dabs.com c/ Rue du Commerce et a., n° 05/20609, Dalloz actualité, 12 avr. 2007, obs. C. Manara ; Civ. 1re, 27 nov. 2008, n° 07-15.066, Dalloz actualité, 4 déc. 2008, obs. C. Manara ; D. 2008. 3081, obs. C. Manara ; ibid. 2009. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; RTD com. 2009. 131, obs. F. Pollaud-Dulian ). En 2011, l’arrêt Stichting rendu par la CJUE est venu contredire cette interprétation (CJUE 16 juin 2011, aff. C-462/09, Dalloz actualité, 6 juill. 2011, obs. J. Daleau ; D. 2011. 1816 ; Légipresse 2011. 397 et les obs. ; RTD com. 2011. 551, obs. F. Pollaud-Dulian ). La Cour de justice y affirme en effet que le lieu de résidence du vendeur est sans incidence sur l’obligation faite aux États membres de garantir aux auteurs une compensation pour la copie privée.

La société Imation s’estimait donc lésée par le fait que les sociétés étrangères n’étaient pas considérées comme redevables de la rémunération pour copie privée jusqu’à l’arrêt Stichting. Elle reprochait à Copie France son absence d’initiative pour remédier aux distorsions sur le marché. Dans son quatrième moyen, la société fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande alors que l’interprétation énoncée par la CJUE dans l’arrêt Stichting aurait dû s’imposer depuis l’implémentation de la directive Infosoc.

La Cour de cassation rappelle les motifs de la cour d’appel qui a relevé que la société Copie France avait entrepris des actions pour recouvrer la rémunération pour copie privée sur les ventes à distances avant l’arrêt Stichting (procédures engagées contre des commerçants localisés artificiellement à l’étranger et informations des particuliers importateurs sur son site) et a depuis engagé de nombreuses actions contre des cybercommerçants étrangers. La Cour considère ainsi que la cour d’appel a pu écarter toute faute de Copie France au vu de ces circonstances et rejette donc le moyen.

Ainsi, le pourvoi de la société Imation est finalement rejeté sans transmission des questions préjudicielles proposées.