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Article
Coronavirus : complément aux règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale
Coronavirus : complément aux règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale
Afin de faciliter la reprise de l’activité juridictionnelle malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour ralentir la propagation du virus covid-19, l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 précise, entre autres, les règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale.
par Géraldine Maugainle 3 juin 2020
Comme la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 l’y a autorisée, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 a adapté les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement notamment de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant ces juridictions (art. 11, I, 2°). Cette première ordonnance est modifiée et complétée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, afin, selon le rapport fait au président de la République, « de faciliter la reprise de l’activité juridictionnelle malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour ralentir la propagation du virus covid-19 ».
Le champ d’application de ces règles doit retenir l’attention. Tout d’abord, contrairement à ce qui a été envisagé, elles restent limitées à la matière non pénale. Ensuite, l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2010 prévoit que ses dispositions sont applicables pendant une période s’étendant du 12 mars jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Or, conformément au I de l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, l’état d’urgence sanitaire, déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, est prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus. Les règles prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance du 20 mai 2020, doivent donc recevoir application jusqu’au 10 août 2020.
Ceci étant précisé, les modifications apportées par le décret du 20 mai 2020 s’articulent autour de deux grandes idées : la limitation des contacts au sein des juridictions et la recherche d’une information effective.
La limitation des contacts au sein des juridictions
Accès aux juridictions
Cette limitation passe tout d’abord par un encadrement de l’accès aux juridictions. L’ordonnance du 20 mai 2020 insère un nouvel article 6-1 à l’ordonnance du 25 mars 2020, qui précise, dans son I, que les « les chefs de juridiction définissent les conditions d’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public » tout cela dans le respect des règles sanitaires en vigueur et en informant le public par voie d’affichage.
Juge unique
Ensuite, l’ordonnance du 20 mai 2020 apporte trois précisions quant à la possibilité offerte aux présidents de juridiction, par l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020, de recourir au juge unique.
En premier, elle précise les règles applicables devant le conseil de prud’hommes et le recours à la formation restreinte – tenant lieu de juge unique devant cette juridiction paritaire – recours qui semble d’ailleurs être imposé. En effet, alors que l’alinéa précédent précise que, devant le tribunal de commerce, le président du tribunal peut recourir à la formation d’un juge unique, l’alinéa 4 de l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020, indique expressément que « le conseil de prud’hommes statue en formation restreinte ». Le présent de l’indicatif sonne comme un impératif qui ne laisserait pas le choix au président de la juridiction. L’ordonnance du 20 mai 2020 précise alors qu’en cas de départage, un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes statue seul, après avoir recueilli l’avis des conseillers prud’homaux. Mais s’il n’a pas tenu l’audience de départage avant le 10 août 2020, alors l’affaire est renvoyée devant la formation restreinte présidée par ce juge. Cette dernière disposition est intéressante car elle prévoit, au-delà de la période d’application des règles exceptionnelles d’organisation juridictionnelle, la mise en œuvre d’une formation extraordinaire qui n’est pas prévue par le code du travail. Selon son article L. 1454-2, en cas de départage, l’affaire est tranchée par le bureau de jugement présidé par un juge du tribunal judiciaire, même si le départage est intervenu devant le bureau de conciliation ou d’orientation. La formation de départage comporte donc habituellement cinq membres (C. trav., art. R. 1423-35, 4°), sauf en cas de référé (C. trav., art. R. 1423-35, 2°) et, maintenant, sauf si le départage est intervenu pendant la période de crise sanitaire augmentée d’un mois, mais n’a pas pu être résolu dans cette même période.
La deuxième précision concerne la possibilité pour le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport de tenir seul l’audience de plaidoiries dans une procédure écrite ordinaire. Cette faculté n’est pas nouvelle, puisqu’après avoir longtemps figuré à l’article 786 du code de procédure civile, elle se trouve, depuis le 1er janvier 2020, à l’article 805 du même code. On notera toutefois que l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 modifié par l’ordonnance du 20 mai 2020 a écarté l’absence d’opposition des avocats, laissant le juge décider seul de l’opportunité d’entendre seul les plaidoiries. Il doit toutefois en informer les parties par tout moyen et en rendre compte au tribunal. On peut alors imaginer que la mention dans l’arrêt que les débats ont eu lieu devant un seul magistrat qui a fait rapport à la formation collégiale, devrait alors suffire à établir qu’il a bien rendu compte des débats à ses collègues, comme c’est le cas lorsqu’il met en œuvre le mécanisme prévu aujourd’hui à l’article 805 du code de procédure civile (Com. 20 janv. 1998, Procédures 1998, n° 90, obs. Laporte).
Enfin, la troisième précision concerne le champ d’application de l’extension du recours au juge unique et plus exactement la désignation des affaires concernées. Il s’agit des affaires dans lesquelles l’audience de plaidoirie ou la mise en délibéré de l’affaire dans le cadre de la procédure sans audience a lieu entre le 12 mars et le 10 août 2020.
Publicité des débats
Enfin, l’ordonnance du 20 mai 2020 confie, non plus au président de juridiction, mais au juge ou au président de la formation de jugement, le rôle de prendre les mesures qu’il estime nécessaires en termes de publicité des débats. On peut alors imaginer des approches différentes au sein d’une même juridiction, chaque juge pouvant adapter l’exigence de publicité aux cas qui lui seront soumis, soit en la restreignant, soit en l’écartant en décidant que les débats se dérouleront en chambre du conseil. Lorsque le nombre de personnes admises à l’audience est limité, les personnes qui souhaitent y assister saisissent par tout moyen le juge ou le président de la formation de jugement (ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 6-1). Enfin, c’est également au juge ou au président de la formation de jugement d’autoriser la présence de journalistes, que l’audience soit publique ou non.
Présence des protagonistes
Mais la possibilité de limiter la présence physique aux audiences ne se cantonne pas à celle du public. Le juge, le président de la juridiction ou le juge des libertés et de la détention peuvent limiter la présence des protagonistes des affaires.
Ainsi, ils ont la faculté, sans qu’ils aient à exposer de circonstances particulières, de recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle, pour tenir une audience, mais aussi éventuellement, et c’est un ajout de l’ordonnance du 20 mai 2020, pour tenir une audition (ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 7, al. 1). La seule condition est que l’on puisse s’assurer de l’identité des personnes y participant et garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Plus encore, le juge peut décider, si la visioconférence est impossible, de recourir à tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, pour entendre les parties, leur avocat ou les personnes à auditionner. C’est ce qui se pratique notamment dans le cadre des hospitalisations d’office. Là, encore, il faut que le média utilisé permette de s’assurer de l’identité des personnes et garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. Mais comment peut-on s’assurer de l’identité d’une personne par téléphone ? Et comment garantir la qualité des échanges ? Ces questions sont d’autant plus importantes que la décision du juge, du président de la formation de jugement ou du juge des libertés et de la détention est insusceptible de recours. Toutefois, dans son ordonnance de référés du 10 avril 2020 (nos 439883 et 439892, AJDA 2020. 814 ; AJ fam. 2020. 265 et les obs. ), le Conseil d’État énonce qu’en autorisant, sous les conditions prévues, le recours dérogatoire à des moyens de communication à distance pendant la période prévue à l’article 1er de l’ordonnance, dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaires statuant en matière non pénale, l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense (M. Kebir, Coronavirus et adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires : rejet des référés devant le Conseil d’État, Dalloz actualité, 20 avr. 2002).
Les questions restent toutefois nombreuses. Le dernier alinéa de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 tel que modifié par l’ordonnance du 20 mai 2020 prévoit que « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d’une habilitation légale ou d’un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l’audience ou à l’audition peuvent se trouver en des lieux distincts ». Ce que l’ordonnance du 25 mars 2020 avait prévu pour les avocats et les interprètes est ainsi largement étendu. Mais dans quelles hypothèses pourra-t-on avoir affaire à ce tribunal déstructuré ? Le dernier alinéa précise « dans les cas prévus par le présent article ». Or l’article 7 ne semble prévoir aucun cas particulier… cela dépendrait de la volonté du juge. En outre, peut-on imaginer une audience où chaque protagoniste est chez soi ? Et même si les moyens de communication utilisés par les membres de la formation de jugement garantissent le secret du délibéré, garantissent-ils leur qualité ?
Procédure sans audience
Enfin, c’est également la technique du jugement sur dossier qui est développée, par l’ordonnance du 20 mai 2020. Elle précise qu’à tout moment de la procédure, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider qu’elle se déroulera sans audience. Les parties ont quinze jours pour s’opposer à cette décision, sauf dans les procédures caractérisées par la célérité (notamment les procédures de référés et les procédures accélérées au fond). L’ordonnance du 20 mai 2020 apporte toutefois des précisions en matière de soins psychiatriques sans consentement. « La personne hospitalisée peut à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention », sans pouvoir toutefois exiger une rencontre physique. Il lui est garanti une audition par tout moyen permettant de s’assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.
Ces dispositions s’appliquent aux affaires dans lesquelles la mise en délibéré de l’affaire est annoncée pendant la période s’étendant du 12 mars au 10 août 2020.
La recherche d’une information effective
Notification
Concernant de décisions de justice, l’ordonnance du 25 mars 2020 semblait doubler les dispositions relatives à leur notification, de l’obligation de les porter à la connaissance des parties par tout moyen. L’ordonnance du 20 mai 2020 précise qu’il s’agit là d’une simple faculté qui concerne la notification des décisions aux parties et à toute personne intéressée (ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 10, al. 1).
L’ordonnance du 20 mai 2020 précise également que « les convocations et les notifications qui sont, à la charge du greffe sont adressées par lettre simple lorsqu’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception est prévue » (ord. n° 2020-304, 25 mars 2020, art. 10, al. 2). L’idée est d’augmenter la possibilité de porter à la connaissance effective des parties ladite décision.
Communication
Enfin, l’ordonnance du 20 mai 2020 insère un article 11-4 dans un nouveau chapitre de l’ordonnance du 25 mars 2020 intitulé « Dispositions relatives au SAUJ ». Les agents de ce service peuvent assurer la réception et la transmission, par voie électronique, d’un certain nombre d’actes, jouant pleinement leur rôle d’intermédiaires entre la justice et les justiciables. Tout d’abord, il s’agit de tous les actes en matière civile, lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Ensuite, il en est de même en matière prud’homale pour les requêtes et les demandes de délivrance de copie certifiée conforme, d’un extrait ou d’une copie certifiée conforme revêtue de la formule exécutoire. Enfin, c’est aussi le cas des demandes d’aide juridictionnelle. Là, à nouveau, un doute peut apparaître quant à la signification du verbe « pouvoir » (« les agents de service de greffe […] peuvent assurer […] »). Il semble toutefois qu’il n’offre pas une faculté des agents du SAUJ, mais reconnaît leur capacité lorsque le justiciable fera le choix de la communication électronique.
Dans tous les cas, le dernier alinéa de l’article 11-4 prévoit que, s’il a été reçu par voie électronique, le document original établi sur support papier doit être produit par son auteur avant qu’il ne soit statué sur sa demande.
Une réflexion
Ces mesures ont des airs de déjà-vu. La plupart, à l’image de la procédure sans audience, ont été promues ces dernières années pour assurer la célérité de la justice et le respect du délai raisonnable, conduisant à un inexorable éloignement physique des acteurs de la justice. La preuve en est que ces mesures sont aujourd’hui accentuées pour assurer la distanciation sociale que le covid-19 impose. Il est alors à souhaiter que le juge ne fasse usage de ces possibilités que dans des circonstances exceptionnelles, même lorsque les textes ne prévoient rien de tel, et que les pouvoirs publics ne prolongent pas ces mesures au-delà de ce qui est nécessaire, car une justice de qualité ne saurait se passer de présentiel.
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