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Coronavirus : concilier obligation de sécurité de l’employeur et respect de la vie privée du salarié

Dès lors que les emplois ne sont pas éligibles au télétravail, que les salariés concernés n’ont pas fait valoir leur droit à garder leur(s) enfant(s) ou fait valoir qu’ils étaient à risque pour demeurer chez eux ou placés sous le régime de l’activité partielle, l’employeur peut-il exiger de son salarié de le tenir informé de ce qu’il peut être en contact avec un « cas source » ou être déjà « contaminé » ou probable « contaminant » pour éviter que d’autres salariés soient désormais des « cas exposés ».

Si chaque salarié aura sans doute le sens du devoir et des responsabilités en alertant sa hiérarchie dès qu’il présente des risques d’être contaminant ou contaminé, permettant à l’employeur de prendre toutes mesures utiles à la protection de la santé des autres salariés, qu’en est-il si le salarié concerné devait conserver le silence ?

De triste mémoire, l’on se souvient du vol 9525 de la Germanwings et de son copilote dépressif qui n’avait pas informé son employeur de sa maladie ni de son arrêt de travail en cours le jour même où il précipitait cent cinquante personnes contre une montagne.

Toutes proportions gardées, mais ne pouvant exclure que le silence d’un salarié peut avoir des conséquences sur la santé ou la sécurité d’autrui, ce dernier a-t-il l’obligation d’en informer son employeur, et l’employeur, à défaut, peut-il exiger de son salarié qu’il le tienne informé de sa situation au regard du coronavirus, et, dans l’affirmative, peut-il sanctionner son manquement à le faire ?

En cas de silence du salarié, le médecin traitant peut-il dénoncer la situation en cas de maladie hautement infectieuse à l’agence régionale de la santé (ARS) ? À la médecine du travail ? À l’employeur ?

Maladie : sphère de la vie privée

Il pourrait être espéré que le sujet soit résolu par la simple application des dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, qui rappelle que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi » et que, de cette obligation de loyauté, se déduirait celle pour le salarié d’avoir à informer son employeur dès lors qu’il a connaissance qu’un événement pourrait mettre en danger ses collègues ou la société.

En effet, dans le cadre de cette obligation de loyauté, non seulement le salarié doit s’abstenir de nuire mais aussi d’accomplir tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise et par extension à ses collègues.

L’hypothèse d’une obligation contractuelle justifiant celle d’une sanction disciplinaire, voire d’un licenciement pour faute (dès lors qu’elle serait par nature intentionnelle), suffirait à convaincre le salarié d’avoir à informer son employeur de toutes maladies infectieuses contractées ou d’avoir été en contact avec des personnes contaminées.

Toutefois, le respect de la vie privée, principe à valeur constitutionnelle, revêt lui aussi une importance telle qu’il prime sur l’obligation générale d’avoir à exécuter le contrat de travail de bonne foi.

Ainsi, l’état de santé relève de la sphère privée et l’article L. 1221-6 du code du travail veille à ce que « les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles ».

C’est sur ce principe et par une décision du 21 septembre 2015 que la Cour de cassation confirmait que « les renseignements relatifs à l’état de santé du candidat à un emploi ne peuvent être confiés qu’au médecin et [que l’employeur] ne peut se prévaloir d’un prétendu dol du salarié quant à son état de santé ou à son handicap, que ce dernier n’a pas à lui révéler ».

De même, et en vertu du principe général posé à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur ne peut prendre en considération l’état de santé du salarié pour prendre toutes décisions en matière disciplinaire, d’évolution de carrière et de salaire ou de rupture du contrat.

Il s’en déduit que le salarié n’a aucune obligation de révéler son état de santé, que ce soit dans le cadre de l’embauche mais aussi dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.

Pourrait-on compter sur une dénonciation des salariés de l’entreprise ou de leurs représentants qui, apprenant ou suspectant une maladie infectieuse, solliciteraient de l’employeur qu’il prenne les mesures qui s’imposent au nom de son obligation de sécurité en isolant ou licenciant le salarié concerné ?

Pas davantage. En effet, la Cour de cassation, dans un cas d’espèce dans lequel le salarié était atteint de tuberculose, a décidé que « le licenciement du salarié avait été prononcé brusquement sous le prétexte que, selon les délégués du personnel, le salarié présentait des risques de contagion dans l’entreprise, la cour d’appel a décidé à juste titre qu’en s’abstenant de provoquer l’avis préalable du médecin du travail, dont le rôle, en vertu de l’article L. 241-2 du code du travail, consiste notamment à surveiller les conditions d’hygiène du travail, les risques de contagion et l’état de santé des travailleurs, l’employeur avait agi avec une particulière légèreté » (Soc. 2 févr. 1993, n° 89-43.562).

Il est à préciser que le moyen de cassation soulevé visait à prétendre que la cause du licenciement ne résidait pas dans l’état de santé du salarié mais seulement dans la perturbation engendrée par la crainte de cette contagion par les salariés et la désorganisation de l’entreprise.

Ici encore, aucune rupture ou suspension du contrat de travail n’est possible dans le silence du salarié sauf à ce que la maladie soit dûment reconnue par la médecine du travail et rende inapte définitivement ou temporairement le salarié à la reprise du travail ou à ce que le salarié ne soit placé en arrêt maladie par son médecin traitant.

Mais alors… si un salarié, se sachant probable contaminant (comme ayant été proche d’une personne atteinte du virus) ou contaminé (donc contaminant), n’en informe pas son employeur ni n’est placé en arrêt maladie, et persiste à exécuter son contrat de travail, l’employeur est-il démuni de toutes solutions ?

Secret professionnel et protocole en matière de maladie infectieuse : le coronavirus sous surveillance

En principe

Ainsi, et comme ci-avant rappelé, les renseignements relatifs à l’état de santé du candidat à un emploi ne peuvent être confiés qu’au médecin du travail chargé de l’examen médical d’embauche (Soc. 21 sept. 2005, n° 03-44.855, D. 2006. 204, obs. E. Chevrier , note G. Loiseau ; Dr. soc. 2006. 106, obs. J. Savatier ; RTD civ. 2006. 303, obs. J. Mestre et B. Fages ).

L’article R. 4127-95 du code de la santé publique dispose que « le fait, pour un médecin, d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un organisme, quel qu’il soit, n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses missions ».

Le secret médical est surtout une obligation à la fois légale (CSP, art. L. 1110-4) et déontologique (CSP, art. R. 4127-4). Les prescriptions du médecin sont elles aussi couvertes par le secret médical envisagé à l’article R. 4127-4 du code de la santé publique.

Ces informations n’ont donc pas vocation à être portées à la connaissance d’un employeur et ce dernier ne peut en aucun cas s’y immiscer.

Ainsi, le médecin du travail n’a pas à révéler la pathologie d’un salarié à l’employeur.

De même, ne constitue pas un dol et a fortiori une violation de l’obligation de loyauté le fait de dissimuler son état de santé puisque ce dernier relève de la vie privée.

Toutefois, si le salarié bénéficie de la protection de sa vie privée et si l’employeur à une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés, ces derniers ont par réciprocité des formes l’obligation de se soumettre aux mesures de sécurité prises.

Obligations et droits de l’employeur

Il convient de rappeler que l’obligation de sécurité de l’employeur est prévue par les articles L. 4121-1 du code du travail, dont le premier prévoit que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs […]. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

L’employeur a plus spécifiquement une obligation de sécurité par application de l’article L. 4422-1 du code du travail, qui dispose que « l’employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques, conformément aux principes de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 ».

Dans le cadre général d’une politique de prévention, l’employeur peut demander un examen par le médecin du travail indépendamment des examens périodiques (C. trav., art. R. 4624-17), s’il suspecte une situation à risque.

Il peut dès lors, en raison de motifs plausibles de soupçonner des symptômes du covid-19, tels que fièvres ou toux persistantes, solliciter de la médecine du travail une visite médicale pour le salarié en dehors des cas périodiques prévus par la loi.

En effet, les entreprises sont tenues de prendre des mesures de prévention pour éviter la contamination de leurs collaborateurs et faire en sorte que l’entreprise ne devienne pas un outil de transmission et de propagation de l’épidémie.

Elles sont à ce titre tenues de préparer un plan de prévention et de protection de leur personnel, un « plan de continuité d’activité » abordé en concertation avec le comité social et économique (CSE), comme pour toute modification importante de l’organisation du travail, non seulement parce que l’employeur a une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés, mais aussi pour permettre de poursuivre leurs activités normales en limitant le nombre de personnes tombant malades du fait en particulier du renforcement des mesures d’hygiène face aux menaces de la pandémie, y compris en cas de fonctionnement en mode dégradé.

De même, l’employeur doit se tenir au courant des recommandations émises par les autorités sanitaires et gouvernementales et les appliquer dans l’entreprise selon les niveaux d’alerte.

Les mesures individuelles et organisationnelles d’hygiène en situation de pandémie ne doivent pas être considérées ni, a fortiori, présentées au personnel comme de simples recommandations mais bien comme des exigences et des consignes que les salariés ont l’obligation d’appliquer au même titre que les autres règles de sécurité édictées par l’employeur : ne pas respecter les consignes d’hygiène peut être considéré comme une faute disciplinaire, car cela peut mettre en danger la vie des autres salariés (C. trav., art. L. 4122-1).

Ainsi, si le salarié n’informe pas volontairement son employeur d’une raison possible d’envisager qu’il soit contaminant (personne asymptomatique mais sachant qu’il a été proche d’une personne porteuse du virus), ce comportement pourra être sanctionné, selon la gravité, d’un licenciement pouvant aller jusqu’à la faute grave.

La Cour de cassation a déjà eu à rappeler, pour un salarié malade qui avait mis en danger ses collègues en renversant des palettes sur un chantier après avoir refusé d’être placé en arrêt maladie, que : « la cour d’appel a constaté que le salarié n’avait pas été licencié en raison de son état de santé mais pour avoir continué à travailler sachant qu’il n’était pas en état de le faire et qu’appréciant souverainement les éléments de faits et de preuve qui lui étaient soumis, et faisant usage des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code travail, elle a estimé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse » (Soc. 12 oct. 2017, n° 16-18.836, Dalloz jurisprudence).

Il convient de mobiliser une cellule de coordination de crise entre la direction des ressources humaines, le CSE et l’ensemble des unités de l’entreprise pour s’assurer que les préconisations officielles y sont déployées de façon adéquate en fonction de la situation locale.

L’information précise et pertinente (campagne d’affichage, distribution de consignes écrites par tracts et/ou emails, etc.) des salariés sur les mesures prises par la hiérarchie, le service de santé au travail et le CSE est une condition fondamentale de prévention : le médecin du travail, avec le CSE, conseille l’employeur sur les actions à mettre en œuvre et sur l’information à donner aux salariés afin d’éviter la contamination dans l’entreprise.

La première mesure à prendre est de renseigner le document unique d’évaluation des risques pour y intégrer les éléments liés à une situation de crise sanitaire majeure : il faut notamment y prévoir une procédure rapide et efficace pour les salariés infectés ou revenant d’une zone à risque.

Ainsi, lorsque toutes les mesures sont prises, document unique d’évaluation des risques, plan de continuité de l’activité, information des représentants du personnel (CSE ou CSSCT), information du personnel (affichage), etc., chaque salarié dûment informé ne pourra prétendre ne pas avoir su pouvoir s’exonérer d’informer son employeur de sa situation à risque.

Le salarié reconnu comme « cas contact », c’est-à-dire présentant un risque de contamination, sera pris en charge et bénéficiera des indemnités journalières de la sécurité sociale et du complément de salaire prévu en cas de maladie pendant le temps de sa quarantaine (quatorze jours).

Et dans l’hypothèse du salarié qui n’informe pas son employeur…

Si le salarié n’informe pas son employeur d’une raison possible d’envisager qu’il soit contaminant (personne asymptomatique mais sachant qu’il a été proche d’une personne porteuse du virus) et que rien ne permet de considérer qu’il est le « cas source », selon la terminologie de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), par opposition au « cas exposé », alors il existe peu de chance que ce dernier soit sanctionné.

Toutefois, si le cas exposé développe le covid-19, alors une procédure conjointe du médecin traitant du patient, de l’ARS, mais surtout des services de santé au travail pourra diligenter une enquête visant à l’élaboration de « fiches d’investigations » à remplir au sein de la société, de rechercher le cas source, les sujets possiblement exposés et de rechercher leur réceptivité à la maladie (salariés à risque) et les circonstances de l’exposition afin de déterminer si celle-ci a pu entraîner une contamination.

Ces investigations sont codifiées par l’INRS et répertoriées selon la base de données EFICATT (exposition fortuite à un agent infectieux et conduite à tenir en milieu du travail).

De même, dès le diagnostic de cas probables ou confirmés, l’ARS et l’équipe régionale de santé publique France (qui sont alertés par tous médecins traitants) peuvent conjointement décider de la mise en œuvre de l’identification et de la prise de contact avec les personnes ayant eu des contacts étroits avec le cas à partir de vingt-quatre heures précédant l’apparition des symptômes.

Les personnes contacts à risque modéré/élevé (ayant partagé le même lieu de vie, à moins d’un mètre, les flirts, amis intimes, voisins de classe ou de bureaux, etc.) seront systématiquement appelées et feront l’objet d’une information sur la conduite à tenir.

La société sera informée via l’agence régionale de la santé et la médecine du travail, mais aussi les représentants du personnel (astreints eux aussi à la confidentialité), et l’employeur aura connaissance, par le biais de l’enquête réalisée et indirectement, de l’identité des salariés concernés, cas source et cas exposé(s), ce qui lui permettra de prendre les mesures de prévention relatives à la sécurité et à la santé des salariés concernés.

Le risque pour le salarié « source » qui n’aurait pas sciemment révélé sa situation est donc réel que l’enquête remonte jusqu’à lui et que l’employeur en tire les conséquences.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que l’infraction de mise en danger d’autrui est prévue par l’article 223-1 du code pénal qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

Selon la chambre criminelle, le règlement au sens de l’article 223-1 du code pénal s’entend des actes des autorités administratives à caractère général et impersonnel.

Les juges du fond doivent caractériser le lien direct et immédiat entre la violation de l’obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par le règlement et le risque de mort ou d’infirmité permanente exposant autrui (Crim. 6 oct. 2009, n° 09-81.037, Dalloz jurisprudence), ce dont il se déduit que le danger doit être certain.

Et ils sont tenus de préciser les circonstances de fait caractérisant le risque immédiat auquel le prévenu a exposé autrui (Crim. 19 avr. 2000, n° 99-87.234 P, D. 2000. 631, et les obs. , note Y. Mayaud  ; 3 avr. 2001, n° 00-85.546 P, D. 2001. 1996 ; RSC 2001. 575, obs. Y. Mayaud ).

En l’espèce, l’exposition d’un autre salarié au risque de contamination en violation du règlement imposant aux salariés « cas contacts » ou contaminés d’être en télétravail ou en arrêt maladie pourrait constituer la qualification de mise en danger de la vie d’autrui.

Gageons que la législation sera suffisamment dissuasive pour qu’aucun salarié ne devienne un Andreas Lubitz du covid-19.