Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Coronavirus : le Conseil de l’Europe veille au traitement des personnes privées de liberté

Le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe a adopté le 20 mars une déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte du coronavirus. Celle-ci coïncide avec la publication le 25 mars d’un rapport relatif aux centres de rétention en France.

par Charlotte Collinle 27 mars 2020

Le rôle du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe

Établi par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe, entrée en vigueur en 1989, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe, ou CPT, est chargé d’évaluer la manière dont les personnes privées de liberté sont traitées dans les États membres du Conseil de l’Europe. Ces lieux incluent les prisons, les centres de détention pour mineurs, les postes de police, les centres de rétention pour étrangers, les hôpitaux psychiatriques, foyers sociaux, etc. Pour ce faire, les délégations du CPT, composées d’experts indépendants et de membres élus par les États membres, peuvent exercer des visites et jouissent d’un accès illimité à tout lieu de détention et ont le droit de se déplacer sans restriction à l’intérieur de celui-ci. Elles peuvent y mener des entretiens sans témoin avec des personnes privées de liberté et peuvent entrer en contact librement avec toute personne susceptible de leur fournir des informations. Le CPT n’est pas une commission d’enquête, mais un mécanisme non judiciaire, à caractère préventif, destiné à protéger les personnes privées de liberté contre la torture et toute autre forme de mauvais traitement. Il complète ainsi le travail judiciaire de la Cour européenne des droits de l’homme. Le CPT dresse ensuite un rapport détaillé, qui est publié sur son site internet, et demande une réponse détaillée des autorités de l’État examiné.

Le dernier rapport du Comité, publié le 25 mars, concerne la France et analyse les données récoltées lors de visites qui ont eu lieu du 23 au 30 novembre 2018 ainsi que la réponse des autorités françaises. Le rapport pointe une série de dysfonctionnements. Par exemple, en matière de soins de santé, le Comité relève qu’« il ressort des constatations faites lors de la visite que les personnes placées en rétention ou maintenues en zone d’attente ne bénéficiaient pas toutes systématiquement d’un examen médical à leur arrivée dans les lieux d’hébergement. Le Comité rappelle – une fois encore – l’importance de cet examen, en particulier pour dépister sans délai des maladies ou des troubles nécessitant des soins urgents (comme des maladies transmissibles ou des addictions), identifier les personnes présentant des risques de suicide ou d’automutilation, et dispenser en temps utile les soins médicaux et le soutien psychologique éventuellement nécessaires ; de plus, cet examen pourrait permettre d’identifier, en vue de leur prise en charge, les victimes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements subis dans leur pays d’origine ou durant leur parcours migratoire. Il réitère sa recommandation selon laquelle toutes les personnes placées en rétention ou maintenues en zone d’attente doivent systématiquement bénéficier d’un examen médical le jour (ou au plus tard le lendemain) de leur arrivée ».

Un rappel de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants des personnes privées de liberté

Alors que les États multiplient les mesures restrictives pour lutter contre la propagation de l’épidémie du covid-19, le CPT a par ailleurs publié une déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus afin que ces mesures restrictives n’aboutissent pas à un traitement inhumain ou dégradant des personnes privées de leur liberté, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette déclaration dispose en particulier que :

1. Le principe de base doit être de prendre toutes les mesures possibles pour protéger la santé et la sécurité de toutes les personnes privées de liberté. Prendre de telles mesures contribue également à préserver la santé et la sécurité du personnel. 

2. Les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé sur la lutte contre la pandémie ainsi que les directives sanitaires et cliniques nationales conformes aux normes internationales doivent être respectées et pleinement appliquées dans tous les lieux de privation de liberté.

3. Davantage de personnel devrait être disponible et ce personnel devrait recevoir, d’une manière appropriée afin de pouvoir continuer à remplir ses tâches dans les lieux de privation de liberté : un soutien professionnel, une protection en matière de santé et de sécurité, ainsi qu’une formation.

4. Toute mesure restrictive prise à l’égard des personnes privées de liberté pour empêcher la propagation du covid-19 devrait avoir une base juridique et être nécessaire, proportionnée, respectueuse de la dignité humaine et limitée dans le temps. Les personnes privées de liberté devraient recevoir des informations complètes sur ces mesures, dans une langue qu’elles comprennent.

5. Étant donné que les contacts rapprochés favorisent la propagation du virus, des efforts concertés devraient être mis en œuvre par toutes les autorités compétentes pour recourir à des mesures de substitution à la privation de liberté. Une telle approche s’impose, en particulier dans les situations de surpopulation. En outre, les autorités devraient recourir davantage aux alternatives à la détention provisoire, aux peines de substitution, à la libération anticipée et à la mise à l’épreuve ; réévaluer la nécessité de poursuivre le placement non volontaire des patients psychiatriques ; libérer les résidents des foyers sociaux ou leur assurer une prise en charge dans la collectivité, dans la mesure du possible ; et s’abstenir, dans toute la mesure du possible, de détenir des migrants.

6. En ce qui concerne l’offre de soins de santé, une attention particulière devra être accordée aux besoins spécifiques des personnes détenues, en particulier en ce qui concerne les groupes vulnérables et/ou à risque, telles que les personnes âgées et les personnes souffrant de problèmes médicaux préexistants. Cela comprend, entre autres, le dépistage du covid-19 et l’accès aux soins intensifs si nécessaire. En outre, les personnes détenues devraient recevoir davantage de soutien psychologique de la part du personnel dans cette période.

7. S’il est légitime et raisonnable de suspendre des activités non essentielles, les droits fondamentaux des personnes détenues pendant la pandémie doivent être pleinement respectés. Cela comprend notamment le droit de maintenir une hygiène personnelle adéquate (y compris l’accès à l’eau chaude et au savon) et le droit d’accès quotidien à l’air libre (d’au moins une heure). En outre, toute restriction des contacts avec le monde extérieur, y compris les visites, doit être compensée par un accès accru à d’autres moyens de communication (tels que le téléphone ou la communication par protocole de voix sur internet).

8. En cas d’isolement ou de mise en quarantaine d’une personne détenue infectée ou suspectée d’être infectée par le virus du SRAS-CoV-2, la personne concernée devrait pouvoir avoir des contacts humains significatifs tous les jours.

9. Les garanties fondamentales contre les mauvais traitements des personnes détenues par les forces de l’ordre (accès à un avocat, accès à un médecin, notification de la détention) doivent être pleinement respectées en toutes circonstances et à tout moment. Des mesures de précaution (telles que l’obligation pour les personnes présentant des symptômes de porter un masque de protection) peuvent être appropriées dans certaines circonstances.

10. Le contrôle par des organismes indépendants, notamment les mécanismes nationaux de prévention (MNP) et le CPT, reste une garantie essentielle contre les mauvais traitements. Les États devraient continuer à garantir l’accès des organes de contrôle à tous les lieux de détention, y compris les lieux où des personnes sont maintenues en quarantaine. Tous les organes de contrôle devraient cependant prendre l’ensemble des précautions nécessaires pour respecter le principe de « ne pas nuire », en particulier vis-à-vis des personnes âgées ou de personnes ayant des antécédents préexistants.

Les principes listés par le CPT devraient être appliqués par toutes les autorités compétentes en charge des personnes privées de liberté dans l’espace du Conseil de l’Europe, et donc par les autorités françaises.