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Coronavirus : la continuité du fonctionnement des groupements assurée

Une ordonnance du 25 mars 2020 adapte les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées et des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction des groupements de droit privé afin de leur permettre de continuer d’exercer leurs missions malgré les mesures de confinement.

par Xavier Delpechle 27 mars 2020

La période de confinement imposée par la crise sanitaire du covid-19 n’est pas sans risque pour les groupements. Leur activité est mise à mal. Mais c’est également la continuité de leur fonctionnement qui se trouve entravée. Comble de malchance, le printemps est l’époque où se réunissent généralement les assemblées générales annuelles, celles amenées à approuver les comptes du dernier exercice clos. Même si les moyens modernes de communication favorisent la tenue des organes des personnes morales sous forme dématérialisée – on pense en particulier à la visioconférence – tous les groupements ne sont pas à la page. Il était donc nécessaire que le « législateur » intervienne pour adapter la législation en ce domaine. Ce qui est fait, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ayant habilité le gouvernement à simplifier et à adapter par voie d’ordonnances « les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales » (art. 11, I, 2°, f). Cette ordonnance n’a pas tardé à être prise : il s’agit de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020. Elle doit encore être complétée par un décret d’application dont la publication est attendue rapidement.

Application de l’ordonnance

S’agissant de son application dans le temps, l’ordonnance du 25 mars 2020 est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 (art. 11).

S’agissant de son application dans l’espace, l’ordonnance est applicable, outre en métropole et dans les départements d’outre-mer, à Wallis-et-Futuna (art. 12).

Pour ce qui est de son application ratione personae, elle vise l’ensemble des personnes morales de droit privé, ainsi qu’aux entités dépourvues de personnalité. L’article 1er de l’ordonnance donne une liste non limitative de ces personnes et entités : sociétés civiles et commerciales, masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers (masses d’obligataires, essentiellement), groupements d’intérêt économique et groupements européens d’intérêt économique, coopératives, mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles, sociétés d’assurance mutuelle et sociétés de groupe d’assurance mutuelle, instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale, caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel, fonds de dotation, associations et fondations. S’agissant des entités non pourvues de la personnalité morale, on songe immédiatement à la société en participation (elle est d’ailleurs expressément citée par le rapport au président de la République), à l’association non déclarée ou encore, probablement, au fonds de titrisation.

 Règles applicables aux assemblées

L’ordonnance du 25 mars 2020 envisage le fonctionnement de l’assemblée générale d’un point de vue chronologique.

1. D’abord, les règles de convocation (art. 2). Elles sont, par hypothèse, plus strictes dans les sociétés cotées, certains membres devant être convoqués par voie postale. Or, selon la jurisprudence, une irrégularité dans la convocation est une cause d’annulation de l’assemblée (Com. 6 juill. 1983, D. 1983. IR 476 ; Rev. sociétés 1984. 76, note Y. Guyon). Cette jurisprudence est neutralisée par l’ordonnance, laquelle prévoit qu’« aucune nullité de l’assemblée n’est encourue du seul fait qu’une convocation n’a pas pu être réalisée par voie postale en raison de circonstances extérieures à la société ». Comme le précise le rapport au président de la République, ces circonstances extérieures « recouvrent notamment l’hypothèse dans laquelle les sociétés mentionnées audit article – ou leurs prestataires – ont été empêchées d’accéder à leurs locaux ou de préparer les convocations nécessaires, dans le contexte de l’épidémie de covid-19 ». Aucune disposition n’est prise concernant les règles de convocation applicables dans les autres groupements ; c’est donc, en ce qui les concerne, les règles habituelles qui s’appliquent.

2. Ensuite, l’information des membres du groupement (art. 3). L’ordonnance étend et facilite, dans tous les groupements de droit privé, l’exercice dématérialisé du droit de communication dont les membres des assemblées jouissent préalablement aux réunions de ces dernières. Pour rappel, ce droit de communication préalable peut être prévu par la loi (par ex. C. com., art. L. 223-26 pour les SARL) ou par les statuts (cas pour les associations, par ex.). L’ordonnance prévoit ainsi que « cette communication peut être valablement effectuée par message électronique, sous réserve que le membre indique dans sa demande l’adresse électronique à laquelle elle peut être faite ».

3. Concernant la participation à l’assemblée du groupement (art. 4), toutes formes juridiques confondues, l’ordonnance autorise exceptionnellement la tenue des assemblées sans que leurs membres – ainsi que, comme le précise le rapport au président de la République, les autres personnes ayant le droit d’y assister, telles que les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel – assistent à la séance. Cela, que ce soit en y étant présents physiquement ou par des moyens de visioconférence ou de télécommunication. L’assemblée aura alors lieu à huis clos.

Il faut pour cela que l’assemblée qui devait être convoquée fût prévue « en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ». Selon le rapport au président de la République, « cette mesure est nécessaire pour permettre aux assemblées de statuer sur les décisions relevant de leur compétence, dont certaines sont essentielles au fonctionnement des groupements, et dont l’ajournement pourrait avoir des conséquences significatives sur le financement de ces groupements, leurs membres et, dans le cas des sociétés cotées, les marchés financiers ». Par exemple, on sait, en effet, que la loi impose la réunion de l’assemblée générale annuelle dans les six mois de la clôture de l’exercice (C. com., art. L. 225-100, al. 1er). La décision de faire application de cette mesure incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée, qui peut déléguer sa compétence à cet effet au représentant légal du groupement.

Comme le précise le rapport, cette mesure « emporte dérogation exceptionnelle et temporaire au droit des membres des assemblées d’assister aux séances ainsi qu’aux autres droits dont l’exercice suppose d’assister à la séance (tels que, par exemple, le droit de poser des questions orales ou de modifier les projets de résolutions en séance dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions) ». En revanche, elle est sans effet sur les autres droits des membres du groupement, au premier chef, le droit de vote (mais également le droit de poser des questions écrites et le droit de proposer l’inscription de points ou de projets à l’ordre du jour dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions). D’aucuns diront que cet article est destiné à neutraliser les velléités de certains fonds dits « activistes » de mener la zizanie au sein des assemblées générales des sociétés cotées.

Puis, afin de faciliter la participation des membres des assemblées qui se tiendront à huis clos, l’ordonnance étend et assouplit exceptionnellement le recours à la visioconférence et aux moyens de télécommunication (art. 5). S’agissant des groupements pour lesquels ce mode de participation alternatif n’est pas déjà prévu par la loi (cas de la société en nom collectif, par exemple), l’ordonnance l’autorise exceptionnellement. S’agissant des groupements pour lesquels ce mode de participation alternatif est déjà prévu par la loi (SARL, par ex. ; C. com., art. L. 223-27, al. 3), l’ordonnance neutralise exceptionnellement les conditions exigées pour le vote par visioconférence (en particulier la condition tenant à l’existence d’une clause à cet effet dans les statuts). Selon le II de l’article 5, il importe que les moyens techniques utilisés respectent les exigences réglementaires et qu’ils « transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ». Il ne faudrait pas, en effet, que le procédé de visioconférence mis en œuvre soit de mauvaise qualité et ne permette pas de garantir l’intégrité et la qualité des débats.

Dans le même ordre d’idées, l’ordonnance assouplit le recours à la consultation écrite pour la prise de décision collective par les membres du groupement (art. 6). On songe à la SARL où cela est possible, sauf pour l’approbation des comptes, dès lors que les statuts le prévoient (C. com., art. L. 223-27, al. 1er). Dans les groupements où ce mode de participation alternatif qu’est la consultation écrite est déjà prévu par la loi, l’ordonnance la rend possible sans qu’une clause des statuts ou du contrat d’émission soit nécessaire à cet effet ou puisse s’y opposer. Cette mesure concerne l’ensemble des décisions relevant de la compétence des assemblées des groupements, y compris, le cas échéant, celles relatives aux comptes.

L’ordonnance prend enfin en compte une situation à laquelle de nombreuses sociétés ont dû être confrontées : elles ont commencé à procéder aux formalités de convocation avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance en vue d’une assemblée appelée à se tenir après cette date (art. 7). Or, compte tenu du confinement, l’assemblée ne pourra se tenir au lieu prévu par la convocation. Dans ce cas, si le groupement décide de faire application de la possibilité de tenir une assemblée hors la présence de ses membres à la séance ou de l’un des modes alternatifs de participation dont le recours est assoupli par l’ordonnance (visioconférence et moyens de télécommunication, consultation écrite), il doit alors en informer les associés, soit par voie de communiqué dans les sociétés cotées, soit par tous moyens permettant d’assurer l’information effective des membres dans les autres sociétés. Les formalités de convocation déjà accomplies à la date de cette décision n’ont pas à être renouvelées. En revanche, celles restant à accomplir doivent l’être.

Règles relatives aux organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction

Comme pour les assemblées, l’ordonnance du 25 mars 2020 étend et assouplit exceptionnellement le recours aux moyens de visioconférence et de télécommunication pour tous ces organes, toutes formes juridiques confondues (conseil d’administration, conseil de surveillance, etc.), que ce recours soit d’ores et déjà prévu par la loi ou non (art. 8). Ce procédé est exceptionnellement autorisé « sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer » et pour tout type de décision, y compris celles relatives à l’arrêté ou à l’examen des comptes annuels, ainsi que le précise le rapport au président de la République. Là encore, les moyens techniques mis en œuvre pour assurer la tenue de la réunion doivent permettre l’identification des membres de ces organes et garantir leur participation effective. C’est pourquoi il est requis que « ces moyens transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ».

Logiquement, l’ordonnance étend et assouplit le recours à la consultation écrite, là encore qu’elle soit déjà ou non prévue par la loi (art. 9). Les clauses contraires des statuts ou du règlement intérieur s’opposant à ce mode de consultation sont neutralisées. Il importe simplement que la consultation écrite soit réalisée dans des conditions – en particulier de délais, précise le rapport au président de la République – « assurant la collégialité de la délibération ». Cela doit vouloir dire que cette consultation doit pouvoir être précédée d’une période nécessaire au cours de laquelle les membres de l’organe ont pu, conformément au principe délibératif, librement échanger leurs points de vue sur les questions qui leur sont soumises.