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Coronavirus : précisions pratiques et réglementaires sur le mécanisme de prêt garanti par l’État

La loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020, complétée par un arrêté du même jour, a mis en place un mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros. Il est d’ores et déjà possible de tirer quelques enseignements pratiques sur les conditions d’octroi de cette garantie, dont le cadre réglementaire vient d’être affiné.

par Xavier Delpechle 23 avril 2020

La mesure emblématique contenue dans la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative consiste en la mise en place d’un mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros (art. 6). A également été publié un arrêté du même jour qui fixe le cahier des charges des prêts éligibles à la garantie de l’État et précise les conditions d’octroi de celle-ci. Enfin, a été diffusée le 1er avril dernier sur le site du ministère des finances une foire aux questions (FAQ) qui a vocation à répondre aux interrogations des entreprises bénéficiaires et à assister les réseaux bancaires dans l’instruction des demandes. Le dispositif fonctionne depuis près d’un mois. Au jour du 21 avril, ainsi que l’a annoncé Bruno Le Maire, les banques ont accordé 24 milliards de prêts garantis par l’État à 174 000 entreprises. Il est d’ores et déjà possible déjà possible de tirer quelques enseignements pratiques sur les conditions d’octroi de cette garantie, dont le cadre réglementaire vient d’être affiné.

Enseignements pratiques sur les conditions d’octroi de la garantie

La procédure d’octroi de la garantie se veut aussi simple que possible, mais diffère en fonction de la taille de l’entreprise qui sollicite le prêt.

1. S’agissant de celles qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins 5 000 salariés et dégagent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros, la garantie est octroyée sur la base d’un arrêté du ministre chargé de l’économie. C’est le dispositif d’octroi dit « individuel ». Dans ce cas de figure, le gouvernement a subordonné le bénéfice de la garantie à une condition supplémentaire – non inscrite dans la loi, de sorte, au passage, que sa légalité pourrait faire débat : l’entreprise qui demande un prêt garanti par l’État (ou un report d’échéances fiscales et sociales) doit s’engager à ne pas verser de dividendes en 2020 à ses actionnaires en France ou à l’étranger (hors entités ayant l’obligation légale de distribuer une fraction au cours de l’année 2020) et à ne pas procéder à des rachats d’actions au cours de cette même année 2020 (Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie, 2 avr. 2020).

Le dispositif prévu en faveur des grandes entreprises donnant lieu à un arrêté publié au Journal officiel, il est aisé de savoir, en ce qui les concerne, quand et dans quelles conditions l’État délivre sa garantie. D’ailleurs, comme l’a révélé un arrêté du 18 avril (JO 19 avr., texte n° 5), c’est une entreprise emblématique du secteur de la distribution, à savoir la société Fnac Darty SA, qui a inauguré la série. Il faut dire que cette entreprise, qui réalise l’essentiel de ses ventes en magasin, a été durement affectée par la décision des pouvoirs publics, prise en vertu de l’arrêté du 14 mars 2020 modifié portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, de fermer jusqu’à la fin de la période de confinement les « lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la nation ». Comme le précise l’arrêté du 18 avril, le prêt garanti par l’État en faveur Fnac Darty porte sur un montant élevé – il s’élève à 500 millions d’euros – et a été consenti par un pool bancaire réunissant pas moins de neuf établissements. Ce même arrêté précise que le montant du prêt respecte le plafond fixé par l’article 5 de l’arrêté du 23 mars, qui est en principe de 25 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise bénéficiaire du prêt. De son côté, la direction de Fnac Darty a apporté certaines précisions sur la finalité et les caractéristiques de l’emprunt : il sera destiné à sécuriser la liquidité du groupe et à préparer la reprise des activités de Fnac Darty. Il sera garanti à hauteur de 70 % par l’État français. Il aura une maturité – c’est-à-dire une échéance de remboursement – d’un an, avec option d’extension jusqu’à cinq années additionnelles (soit jusqu’à avril 2026).

2. Pour les autres, celles de plus petite taille, il suffit de remplir les conditions posées par le cahier des charges et la garantie s’obtient sur simple notification à Bpifrance Financement SA, la banque publique chargée de la gestion du dispositif. C’est le dispositif d’octroi de « masse ». Encore faut-il, bien évidemment, que les entreprises aient obtenu le prêt bancaire qu’elles sollicitent, la banque restant souveraine dans la décision d’octroyer ou non celui-ci, comme le rappelle la foire aux questions. Le principe cardinal de liberté du crédit n’est pas remis en cause en dépit du contexte actuel tout à fait exceptionnel qui entraîne des besoins de financement tout à fait inédits pour les entreprises.

Un cadre réglementaire affiné

Un arrêté du 17 avril 2020, venu modifier l’arrêté du 23 mars 2020, affine le régime de la garantie d’État. Tout d’abord, il précise que la garantie de l’État est « irrévocable et inconditionnelle [et] valable sur toute la durée du prêt » (arr. 23 mars 2020, art. 1er, al. 2 compl.). Nul doute que cette précision sera à même de rassurer les établissements prêteurs, parfois réticents à consentir un crédit. Ils auront ainsi la certitude que, s’ils font face à un impayé et actionnent l’État en sa qualité de garant, ce dernier ne leur opposera pas des exceptions se rattachant à la dette garantie (par ex. la mauvaise situation de l’emprunteur), pour tenter de s’opposer au paiement. Sur le terrain de la qualification, sur laquelle la loi du 23 mars 2020 était restée muette, cette précision contribuera à écarter définitivement la qualification de cautionnement au profit de la garantie autonome (voire peut-être de l’assurance-crédit ; sur ce débat, v. K. Magnier-Merran, Observations sur l’impact du Covid-19 en droit bancaire et financier, AJ contrat 2020. 183).

Ensuite, l’arrêté du 17 avril 2020 vient apporter des précisions sur la mise en œuvre de la garantie par l’établissement prêteur lorsqu’il fait face à une situation qui occasionne le déclenchement de celle-ci, à savoir un « événement de crédit » (défaillance, par ex.) ou lorsque « le paiement contractuellement dû par le débiteur n’est pas honoré » (arr. 23 mars 2020, art. 6, al. 5 et 6 nouv.). Il prévoit un système en deux étapes :

• d’abord le paiement d’une provision par l’État d’un montant correspondant à une « estimation solide » du montant des pertes susceptibles d’être supportées par le prêteur, cela dans les quatre-vingt-dix jours de sa demande ;

• puis, lorsque le montant indemnisable en faveur de l’établissement prêteur est définitivement connu, paiement d’une somme supplémentaire ou restitution du trop-perçu selon que la provision versée est d’un montant inférieur ou supérieur à ce montant.